Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XVI. LETTRES — VOLUME VI

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

Index OCR

 

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Lettres de Saint François de Sales. Année 1613. 16

DCCCLXXIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Pèlerinage à Milan. — Ostension du saint Suaire de Turin. — Deux audiences princières attendues. — Annonce du retour à Annecy. 16

DCCCLXXIV. A l'Empereur d'Allemagne, Mathias (Minute). Dépouillé par les Genevois de son pouvoir et de ses biens temporels, l'Evêque de Genève s'excuse de ne pouvoir prêter son concours à l'Empereur. 17

DCCCLXXV. A la Mère de Chantal. Le Saint se dispose à repartir pour la Savoie. — Une protectrice pour la Visitation. — Messages et avis divers. 17

DCCCLXXVI. A M. Antoine des Hayes. D'où venait l'empêchement pour le Saint d'aller prêcher à Paris ; égards que lui témoigne le duc de Savoie. — L'incivilité d'un libraire et la Defense de la Croix. — Ouvrages et éditeurs. — M. et Mme de Charmoisy. 18

DCCCLXXVII. A Madame de Peyzieu (Inédite). Témoignages d'affection filiale ; félicitations à la destinataire à propos du mariage de l'un de ses fils. 19

DCCCLXXVIII. A la Mère de Chantal. Retour du Saint (Billet inédit). — Salutations dès l'arrivée. — Promesse d'une visite pour le lendemain. 20

DCCCLXXIX. A la même (Fragment). Aspiration du Saint à la fin d'une journée. — Souhaits spirituels pour la Mère de Chantal. 21

DCCCLXXX. A la même. Encore l'héritage de Mme de Miribel. — Première entrevue du Saint et des «bonnes damoyselles» qui devaient concourir à la fondation du monastère de Lyon. 21

DCCCLXXXI. A Madame de Giez. Un bienfait extraordinaire pour une jeune femme. — Trois vertus qui comprennent toute la dévotion. — Souhaits de piété. — Moyen de rendre plus doux le joug du Sauveur. 22

DCCCLXXXII. A la Mère Anne de la Vesvre, Ursuline. Sympathies du Saint pour la Congrégation des Ursulines de Franche-Comté. La clôture ne lui paraît pas conforme à l'esprit de cet Institut. 22

DCCCLXXXIII. A la Mère de Chantal. Un désir du Saint pour la Mère de Chantal et pour lui-même ; pourquoi il regrette d'avoir dû quitter le matin la rédaction du Traitté de l'Amour de Dieu. — Les voies les plus faciles ne sont pas toujours les meilleures. — User d'amour et de douceur envers les petits esprits et les cœurs faibles. 24

DCCCLXXXIV. A Madame de la Valbonne (Inédite). Une âme dévoyée : pourquoi les «Dames de la Visitation» ne sont pas répréhensibles de l'avoir assistée. — Quand faut-il empêcher le mal. — Messages et souhait. 25

DCCCLXXXV. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Supplique instante en faveur de M. de Charmoisy et de M. du Noyret. — Si le Duc reçoit les plaintes contre les Annéciens, «sans praejudice des defenses des accusés, Dieu sera obei.». 25

DCCCLXXXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Les voyageuses de Lyon et les préliminaires d'une fondation. — Le P. Grangier. — Un visiteur attendu. 27

DCCCLXXXVII. A Madame de la Fléchère. Un dépositaire fidèle. — Suspension des hostilités entre la France et la Savoie. — Invitation aux noces de Louis de Sales. — Craintes et espérances à propos de M. de Charmoisy. 27

DCCCLXXXVIII. A la Mère de Chantal (Fragment inédit). «Fraische rosee» et «tempeste» ; l'odeur des œillets sur la fin de la journée. 28

DCCCLXXXIX. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie (Inédite). Raisons nouvelles présentées au prince en faveur de MM. de Charmoisy et du Noyret. — Le Saint intercède aussi pour des gentilshommes bourguignons et déclare ne craindre nullement ses calomniateurs. 28

DCCCXC. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Un cadeau du Saint. — Les plaintes de Berthelot contre Janus de Sales, sujet de mortification pour l'Evêque. 29

DCCCXCI. A Madame de Travernay. Remerciements à la destinataire ; affection de sa fille pour le Saint. 30

DCCCXCII. A une personne inconnue (Fragment). Oraison funèbre de la première des filles du Saint, qui alla voir au Ciel ce que Dieu préparait aux autres. 31

DCCCXCIII. A la Mère de Chantal (Fragment). Effusions et souhaits de piété à l'occasion de la fête de saint Jean-Baptiste. — Panégyrique du Précurseur. 32

DCCCXCIV. A Madame d'Aiguebelette. Saint François de Sales n'est pas insensible aux petites marques d'une sainte amitié. — Le désir et les effets des vertus. — Bonnes nouvelles de Mme de Charmoisy. 32

DCCCXCV. A la Mère de Chantal. L'impatience de Celse-Bénigne en arrivant chez le Saint. — Recommandations de celui-ci à la Mère de Chantal ; charité et délicate discrétion de l'Evêque à l'égard de la mère et de son fils. 33

DCCCXCVI. A la Duchesse de Mercoeur (Inédite). Un grand Saint qui a vécu à la façon des anciens Evêques Envoi de ses reliques. 34

DCCCXCVII. A M. Claude de Blonay. Entremise charitable du Saint pour hâter la conclusion d'une alliance. 34

DCCCXCVIII. A Madame de la Fléchère. Nouvelles, messages ; envoi de reliques de saint Charles Borromée. 35

DCCCXCIX. Au Pere Pierre de Berulle, Oratorien. Le Saint recommande au Fondateur de l'Oratoire le porteur de la présente lettre, et le prie de l'agréer dans son Institut, pour ses rares qualités. 36

CM. A M. Nicolas de Soulfour (Fragment). Affectueux intérêt de l'Evêque de Genève pour l'Oratoire. — Grands éloges d'un ami qui désirait entrer dans cette Congrégation. 37

CMI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d’Orbe. Une messagère qui vaut mieux que la meilleure lettre. — Témoignages de cordial dévouement. 37

CMII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Requête du Saint en faveur de ses frères et de MM. de Charmoisy et du Noyret ; Dieu exige que le Duc leur rende justice. 37

CMIII. Au Marquis de Lans. L'Evêque de Genève avise le gouverneur de Savoie de son retour de Gex, des intentions des Bernois à l'égard du désarmement et des divers déplacements du duc de Bellegarde. 39

CMIV. A la Mère de Chantal. Le bon plaisir de Dieu. — Les déserts et les fertiles campagnes de la vie spirituelle. — Pourquoi le Saint ne voulait pas d'abord et voulut ensuite que la Mère de Chantal fût «abeille». 39

CMV. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Eveque de Belley. Excuses pour une réponse tardive. — Mgr Camus ayant écrit au Saint qu'il désirait se démettre de sa charge, celui-ci l'engage discrètement à n'en rien faire. — Il est prié de s'intéresser à l'honneur d'une famille. — Mort de Mgr de Villars, archevêque de Vienne. 41

CMVI — Au Duc de Bellegarde. L'Evêque annonce à son pénitent l'envoi d'une méthode pour examiner sa conscience. — Exhortation à la vie chrétienne. — La vie éternelle. — Obligation de réparer le passé. — Le plus vif de tous les amours. — Quelques exercices recommandés. — Un moyen de se convertir plus parfaitement au Sauveur. — La toute-puissance de l'Eucharistie et l'expérience du Saint. 43

CMVII. A la Mère de Chantal. Avis pour la dernière étape. — Souhaits affectueux de bienvenue à la voyageuse. 44

CMVIII. A M. Amé de Montfort (Inédite). Assistance et conseils du Saint dans des affaires de famille. 45

CMIX. A la Mère de Chantal. Ce que le Saint voulait éviter en retardant l'oblation de la Sœur Humbert. — Une course à Sainte-Catherine. 46

CMX. A la Présidente Brulart. Le retour offensif des ennemis qu'on croyait vaincus nous apprend deux leçons. — Avantages des tribulations. — Comment pratiquer l'oraison mentale et y suppléer lorsqu'on ne peut la faire longue. 47

CMXI. A Madame de Peyzieu (Inédite). Témoignage de constant souvenir. — Félicitations sur la vocation apostolique d'un des fils de la destinataire. 48

CMXII. A Madame de la Fléchère. L'Introduction à la Vie devote et la perfection. — Un bon remède à l'infidélité envers Dieu. — Ne pas subtiliser, ne pas picoter sur sa conscience. — Souhaits spirituels. 48

CMXIII. A Monseigneur Antoine de Revol, Evêque de Dol. Un regret et une tentation du Saint. — Les serpents et le charmeur. — Comment Dieu récompensera «la sainte inutilité» apparente des missionnaires du bailliage de Gex. 50

CMXIV. A M. Louis Girod, Curé d'Arlod (Inédite). Le monastère des Ciarisses d'Annecy menaçant ruine, l'Evêque de Genève invite chacun de ses diocésains à faire quelque aumône à cette intention. 50

CMXV. A la Mère de Chantal (Fragment). Un songe de la Sœur de Blonay proposé au Saint ; sa réponse. — Les «veritables marques des veritables graces surnaturelles.». 51

CMXVI. A Madame de Peyzieu (Inédite). Le Saint demande à la destinataire de favoriser de sa recommandation un proche parent. — La raison et le droit en ce temps-là. 52

CMXVII. A la Soeur Favre, Religieuse de la Visitation (Fragment inédit). Pourquoi les âmes religieuses sont heureuses. — Une correspondante trop discrète. 53

CMXVIII. A la Soeur de Bréchard, Religieuse de la Visitation. Un service de charité aimablement refusé. — Les «pauvres gens» servis comme frères et membres de Jésus-Christ, plus heureux que le «pauvre pere.» — Espérance qui consolait celui-ci de ne voir pas à son gré ses filles de la Visitation. 53

CMXIX. A Madame de Murat de la Croix. Les déceptions de la vie et ses fugitives consolations. — Sympathies et condoléances. — Dieu seul consolateur efficace, et à quelle condition. — Promesse de prières et offre de services. 54

CMXX. A Madame de la Fléchère. Compassion du Saint pour une pauvre veuve dont il avait béni le mariage. — Les vicissitudes de la vie humaine. — Deux nouvelles oblations à la Visitation. 55

CMXXI. A des inconnus. Rien n'est mauvais de ce que l'Eglise ordonne. — La Communion sous la seule espèce du pain. — A quoi servent et comment il faut présenter les ablutions. — Pourquoi doit-on célébrer le Mariage devant l'autel. 55

CMXXII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Demande d'un renseignemen. 56

CMXXIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Remerciements au prince pour l'élargissement des amis du Saint ; celui-ci espère qu'ils pourront rentrer bientôt dans Annecy. 57

CMXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Supplique pour obtenir au Chapitre de Saint-Pierre de Genève la cession de l'église et du prieuré du Saint-Sépulcre d'Annecy. 57

CMXXV. Au même. Recommandation en faveur d'un gentilhomme qui avait ses biens en France. 59

CMXXVI. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Bienveillante courtoisie du comte de Tournon pour le Saint et pour ses frères. — Gratitude de François de Sales. — Nouvelles diverses. — Un écrivain fertile. 60

CMXXVII. A Madame de la Fléchère. Une illusion du prieur de Blonay. — Tout va très bien à la Visitation. — De Lyon et de Paris on a demandé les Constitutions. — Pourquoi faut-il tenir son cœur «net, debonnaire et pauvre.»   61

CMXXVIII. A Madame de Cornillon, sa soeur. Le «frere le plus aymant» et la «seur la plus aymee.» — Envoi d'un chapelet rapporté de Milan. — Un moyen d'avoir toujours le cœur content. 61

CMXXIX. A Madame de la Fléchère. Souhaits spirituels. — Nouvelles de Mme de Charmoisy. 63

CMXXX. A Madame de Grandmaison. La part de l'imagination dans nos tristesses. — Les «pasquins» et le monde ; comment se guérit le mal de la calomnie. — Un mot de saint Grégoire. — Les injures et le Crucifix. — A quoi sert une revue annuelle de l'âme ; manière de la faire. — Les chutes graves et le progrès en la dévotion. 64

CMXXXI. A M. Jacques de Vallon (Inédite). Le Saint conseille à son parent d'acquiescer à un ordre du prince de Nemours. — Que faire contre la violence, quand il n'y a remède. — Une preuve de courage contre une maigre vengeance. — Encouragements et sympathies. 66

CMXXXII. A Madame de la Fléchère. Souhaits de bon voyage et salutations. 67

CMXXXIII. A la même. Le prieur de Blonay. — «Le grand ouvrier des merveilles.» — Un moyen d'être très heureux. — Le voyage d'une jeune mariée. — Privilège de ceux qui sont à Dieu. 67

CMXXXIV. A la Duchesse de Mantoue, Marguerite de Savoie(Minute). La Congrégation de la Visitation à la fin de l'année 1613 ; son esprit, ses pratiques. — Le Saint demande à la duchesse de vouloir bien être la protectrice officielle de l'Institut, de procurer en sa faveur des lettres patentes du duc de Savoie et de faire poser en son nom la première pierre du futur oratoire. 68

CMXXXV. A M. Balthazard de Peyzieu (Inédite). Amitié du Saint pour la famille de Peyzieu. — Pourquoi il faut mépriser les calomnies anonymes. 70

CMXXXVI. A la Mère de Chantal. Nos sentiments pour la créature et pour le Créateur. — Joie et piété du Saint la veille du 8 décembre. 71

CMXXXVII. A M. Philippe de Quoex. Ce que souhaite le Saint et ce qui lui est indifférent ; son humilité et sa modération. — La charité et la diversité d'opinions. — Double projet de réforme à Talloires. — Deux remèdes de François de Sales contre les contradictions. — Que faire quand on s'oppose aux fautes. 71

CMXXXVIII. A la Soeur Favre, Religieuse de la Visitation. Une lettre qui a consolé, embaumé l'âme du Saint. — Les productions de l'amour-propre. — Rien ne répare une faute comme de l'avouer naïvement. — Une grande partie de notre perfection. 73

CMXXXIX. A une dame. Saint François de Sales espère terminer les prédications de l'Avent. — Réflexions sur la fuite imperceptible des années. — Aspirations vers l'éternité ; souhaits pour sa possession. 74

CMXL. A la Mère de Chantal. Le «grand petit Enfant de Bethleem» et Salomon. — L'haleine du bœuf et de l'âne, et les aspirations de notre cœur. — Gratitude du Saint pour un ornement, ouvrage de la Mère de Chantal. 74

CMXLI. A la même. C'est en toutes circonstances qu'il faut aimer la très sainte volonté de Dieu. — Pourquoi le Saint a choisi le dernier jour de l'année pour faire de «petitz et grans changemens» en sa Congrégation. 75

CMXLII. A la même. Le côté percé du Sauveur, abri divin. — Le Sauveur, Roi des cœurs, toujours prêt à leur donner audience. 75

CMXLIII. A un ecclesiastique. Procès entre l'Evêque de Maurienne et le curé de Lullin. — Intervention du Saint en faveur de ce dernier. 77

CMXLIV. A la Mère de Chantal. Pourquoi faut-il se confier à la Providence de Dieu. 78

CMXLV. A une cousine (Fragment inédit). Exhortation à l'amour de Notre-Seigneur. 78

CMXLVI. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, Prieur de Talloires. Obligation pour un supérieur de réduire au devoir des sujets scandaleux. — Circonstances qui aggravent la culpabilité des délinquants. 79

CMXLVII. A la Mère de Chantal (Fragment). Apologue du musicien devenu sourd, et la sainte musique d'une âme qui sert Dieu, sans joie, abandonnée entièrement au bon plaisir divin. 80

CMXLVIII. A une Religieuse de la Visitation. Ce qui tenait occupé le Saint toutes les matinées ; l'emploi meilleur qu'il aurait voulu en faire. — «L'amour propre ne meurt jamais ;» ses fruits et ceux de la vraie charité. — Quel est le seul remède. — Les séparations pour les mondains et les amis de Dieu. 80

Année 1614. 82

CMXLIX. A Madame d'Escrilles. Quand faut-il s'abandonner entièrement entre les bras de la Providence. — Comment parler des personnes qui nous ont fait tort. — Ce qui est plus efficace contre le mal que le ressentiment. 82

CML. Au Père Nicolas de Soulfour, Oratorien. Envoi de lettres pour l'Evêque de Bazas et pour M. de Fontaines. — Attachement du Saint pour la Congrégation de l'Oratoire ; il désire en connaître les règlements. — Le Traitté de l'Amour de Dieu l'empèche d'entreprendre un travail qui lui est proposé. 83

CMLI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. Salutations affectueuses envoyées au destinataire de passage à Lyon. — Le Saint s'excuse de ne pouvoir accepter l'invitation de prêcher à Toulouse. 84

CMLII. A la Mère de Chantal. Saint François de Sales se sent pressé d'activer la rédaction de son grand ouvrage. 84

CMLIII. A la même. Le Saint ménage à sa chère Congrégation la bienveillance du Conseil de Ville d'Annecy. — Pourquoi il ne veut pas qu'on demande de sa part du beau papier à M. Rolland. 86

CMLIV. A la même. Un triduum de prières. — Souhait d'unité. 87

CMLV. A la même. Plusieurs visiteurs ont empêché le Saint d'aller voir la Mère de Chantal. — Il se promet de célébrer avec elle, le lendemain, l'anniversaire de sa naissance et de dire la Messe à la Visitation. 87

CMLVI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Le Duc ayant agréé le projet de confier aux Barnabites le collège de la ville, est supplié de le faire réussir. 87

CMLVII. A M. Philippe de Quoex. La réforme de Talloires et l'affaire de Mme des Gouffiers. — Nouvelles et commissions pour Rome. — Instructions à suivre dans une négociation auprès des Congrégations romaines. 88

Mémoire pour M. Philippe de Quoex concernant Madame des Gouffiers (Fragment). 89

CMLVIII. A Madame de la Valbonne. Il ne faut jamais cesser de coopérer de son mieux au salut du prochain. — Comment aborder une âme pécheresse et avec quel sentiment. — Le moindre brin du divin amour, préférable à tous les trésors du monde. 91

CMLIX. A M. Claude de Blonay. Affaires d'argent. — Reconnaissance du Saint pour un service que lui a rendu Mgr Gribaldi. — Nouvelles et messages. 92

CMLX. A Monseigneur Hildebrand Jost, Evêque nommé de Sion (Minute). Regrets sur la mort d'Adrien de Riedmatten, évèque de Sion ; éloge de son zèle et de ses vertus. — Les airs de deuil transformés en chants d'allégresse à l'élection de Mgr Jost. — François de Sales lui offre son concours pour la cérémonie du sacre. — Promesse d'entier dévouement. 92

Autre minute de la lettre précédente. 94

CMLXI. A M. Claude de Blonay. Une entrevue jugee necessaire. 96

CMLXII. A M. Antoine des Hayes. Entremise du Saint pour l'une de ses parentes. — Son aversion pour les affaires d'intérét. — Passage a Chambèry du Cardinal d'Est. 96

CMLXIII. A la Mère de Chantal. Le texte des Litanies de saint Joseph, revu, corrigé et accentué par le Fondateur de la Visitation. 98

CMLXIV. A Madame de la Valbonne (Fragment). Pourquoi l'intercession de saint François de Paule est propice à l'espérance des mères. 99

CMLXV. A un gentilhomme (Billet inedit). Remerciements pour un envoi de venaison. 99

CMLXVI. A Madame de la Fléchère. Une lettre recommandée. 100

CMLXVII. A la Mère de Chantal (Inédite). Deux plans proposés pour la première église de la Visitation. — Le saint Fondateur désire «une petite eglisette bien façonnee.». 100

CMLXVIII. Aux Chanoines de la Collegiale de Sainte-Marie de Samoens. Les statuts du Chapitre de l'église cathédrale d'Annecy doivent servir de type à la collégiale de Samoëns. 100

CMLXIX. A Madame d'Escrilles. Compassion et consolation du Saint. — Etre sur la croix, grace insigne pour les âmes dédiées à Dieu. 101

CMLXXI. A la Mère de Chantal. Impressions rétrospectives de l'Evêque de Genève à propos de l'ostension du saint Suaire. — Ce qui lui vint au cœur de dire au Cardinal de Savoie. — Une recette de Mme de Boisy. — La mort, source de la vie nouvelle. 103

CMLXXII. A Madame de la Fléchère. Etre toute sainte : ce que renferme ce bref souhait. — La valeur d'une once de douceur durant un procès. — Une heureuse naissance. 103

CMLXXIII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Gratitude et félicitations. — Un Théatin célèbre du temps, orateur et écrivain. 105

CMLXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Un moyen d'accroître la dévotion au pays du Chablais. — L'abbaye de Ripaille et la piété des princes de Savoie. — Fermeté et constance de l'Ordre des Chartreux. 106

CMLXXV. A Madame de la Fléchère. Le baptême d'un neveu du Saint : il se promet d'y voir M. et Mme de Charmoisy. — Nouvelles et messages. 107

CMLXXVI. A la même. Le duel et les censures de l'Eglise au XVIIe siècle. — Le courage «desreglé» des catholiques qui acceptent le duel. — Ce qui tourmentait le plus François de Sales à leur sujet. — Une pieuse industrie. 108

CMLXXVII. A M. Claude de Quoex. Avis et démarches pour obtenir l'annulation des vœux de Mme des Gouffiers. 109

CMLXXVIII. A la Mère de Chantal. Préparatifs d'une course sur le lac. 110

CMLXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Les Pères Barnabites à Annecy. — Le Duc est prié de favoriser leur mission, d'une incomparable utilité pour le collège de la ville. 110

CMLXXX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Nouvelles de la santé du Saint. — Regret d'avoir manqué une visite désirée. 111

CMLXXXI. Au Roi de France, Louis XIII. Actions de grâces pour une gratification accordée aux églises du pays de Gex. 111

CMLXXXII. Au Duc de Bellegarde. Double interprétation du titre de «filz» désiré par le destinataire. — Exhortation aux pratiques de piété. — Le monde, malgré sa malignité, estime les vrais dévots et la dévotion sérieuse et toute suave. 112

CMLXXXIII. Au Baron François du Villars (Inédite). Plainte du Saint contre une prétention exorbitante qu'avaient eue Us protestants à l'assemblée des Etats du bailliage de Gex. 113

CMLXXXbis. A la Mère de Chantal (Fragment). Piété et patience de Gallois de Sales, frère du Saint, durant sa dernière maladie. 114

CMLXXXIV. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. François de Sales s'abstient prudemment de fréquenter le duc de Nemours, alors à Annecy. — La réimpression en petit format de l'Introduction à la Vie devote engage l'auteur à préparer une nouvelle édition. — Affaires de MM. du Noyret et de Portes. 114

CMLXXXV. A Dom Bruno d'Affringues, Général des Chartreux. L'Evêque de Genève sollicite l'admission d'une postulante chez les Chartreusines de Mélan. 115

CMLXXXVI. Au Baron Jean-Bérold de Cusy (Inédite). Les brebis gagnent à l'absence des mauvais bergers. — Pourquoi on allait à la guerre au dix-septième siècle. 115

CMLXXXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Saint François de Sales et les offenses. — L'amitié et la charité. — Une amitié un peu forte ne doit pas être chatouilleuse. — Un louable projet de retraite. 116

CMLXXXVIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Une visite empêchée. 117

CMLXXXIX. A la Mère Claudine de Blonay, Abbesse de Sainte-Claire d'Evian. Unique préface pour toute une correspondance. — Propriétés de l'eau vive que l'on puise en Notre-Seigneur par la sainte oraison ; erreur et malheur des familles religieuses qui ne s'appliquent pas à cet exercice. — Un ignorant qui en sait plus que beaucoup de savants. — Les Œuvres de sainte Thérèse. — Vertus a faire fleurir dans un monastère. — Utilité d'un bon et vertueux confesseur pour une Communauté. 118

CMXC. A Madame de la Valbonne. Se consacrer à Notre-Seigneur, c'est une grâce dont la grandeur se découvre avec le temps. — Pourquoi Dieu permet les «secousses de l'amour-propre.» — Salutations. 120

CMXCI. A Madame de la Fléchère. Affaires diverses. — Un malade bien résigné. — La seule chose digne d'être estimée. 121

CMXCII. Au Duc de Bellegarde. Pourquoi l'amour paternel est puissant ; celui du Saint comparable au feu. — L'idéal qui sied à une grande âme. — Préservatifs conseillés contre les malignes influences de la cour. 122

CMXCIII. A M. Guillaume-François de Chabod, Seigneur de Jacob (Inédite). Témoignages de sympathie à un ambassadeur qui n'avait pas réussi dans sa mission. — Discrète invitation à sanctifier ses derniers jours. — Promesse d'une visite. 123

CMXCIV. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley. «La mousse des exemptions.» — Une vertu qui vaut un procès de canonisation. — Un déplaisir et une crainte du Saint. — Injuste ingérence de l'Etat dans l'exercice du pouvoir spirituel de l'Eglise. — L'Evêque de Genève se confie, pour la défense de ses droits, à la vaillance de son ami. — Messages pour Dijon. 124

CMXCV. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex (Inédite). Règlement de plusieurs affaires intéressant diverses paroisses du pays de Gex. 125

CMXCVI. A Madame de la Fléchère. Les mauvais procédés et les répugnances de l'amour-propre : excellentes occasions de pratiquer l'humilité. 126

CMXCVII. Au Duc de Bellegarde. Progrès spirituels du duc de Bellegarde. —A quelle condition peut-on servir Dieu à la cour. — Pourquoi Dieu est le plus digne objet de notre amour. 126

CMXCVIII. Au Baron Paul Damas d'Anlezy (Inédite). Mme des Gouffiers aspirante à la Visitation ; accueil que lui préparent le Fondateur et les Religieuses. — Sa famille n'aura nul sujet de blâmer son choix. 128

CMXCIX. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Un échange qui accommoderait infiniment les monastères de Saint-Dominique et de la Visitation ; il se fera, si le prince de Nemours en témoigne le désir. — Le destinataire est prié d'en parler à Sa Grandeur. 129

M. A M. Pierre-François Jay, Curé de Bonneville. Un futur assistant du Saint aux Offices de la cathédrale. 130

MI. A La Mère de Chantal. Une visite des Pères Barnabites annoncée à la Mère de Chantal. 131

MII. A la même. Reprise d'un travail interrompu à regret. — Un concours, et «l'eschange des jardins» à acheminer. 132

MIII. A MM. les Proviseurs du College de Savoie a Louvain. L'introduction des Barnabites au collège d'Annecy laisse subsister l'alliance avec le collège de Savoie à Louvain. — Les Proviseurs sont priés d'agréer ce qui a été fait et de correspondre au désir du Saint. 133

MIV. A Madame des Gouffiers, Religieuse du Paraclet. Dieu guide les âmes qui remplissent avec humilité quelque mission de sa Providence. — Le vrai esprit de la Visitation, et comment elle doit considérer les autres genres de vie. — Pourquoi Dieu l'a créée. — C'est sa «plus grande gloire qu'il y ayt une Congrégation de la Visitation au monde.» — Humilité du Fondateur ; son affection pour les Ursulines. 133

MV. A la même (Inédite). Succès des négociations entreprises pour l'obtention d'une dispense en Cour de Rome. — Le P. de Villars à Lyon. — Prudence recommandée à la destinataire. — Messages divers. 135

MVI. A la Soeur de Chastel, Religieuse de la Visitation. La nature et la grâce en la Sœur de Chastel. — Conduite à tenir dans ce conflit. — A quelles conditions Dieu chérit les âmes tracassées. 136

MVII. A Madame des Gouffiers, Religieuse du Paraclet. Le Saint donnera de bon cœur ses Filles pour la fondation de Lyon. — Pourquoi le genre de vie de la Visitation en facilite la diffusion. — Un trait de la Providence divine et le suffrage du Patron de l'Eglise lyonnaise. — Un des plus grands avantages des Congrégations au XVIIe siècle. — Déférence que méritent les Carmélites. — Messages et salutations. 137

MVIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Une consolation refusée au Saint. — Il termine la rédaction du Traitté de l'Amour de Dieu. — Encore l'échange des jardins. — L'entrée au monastère de la Visitation permise àquelques dames de Chambéry, mais à une condition. 139

MIX. A la même (Inédite). Une sénatrice à confesser ; le Saint lui donne rendez-vous à la Visitation. 140

MX. Au Chanoine Maurice Marpeaud (Inédite). Le destinataire est prié de loger en vertueuse compagnie le fils de Mme d'Escrilles. 141

MXI. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. L'Evèque de Genève conserve l'espoir du prochain retour du prince. — Raisons pressantes pour le Duc de résider à Annecy. — Charles-Emmanuel désire qu'il y demeure, la guerre lui en fait un devoir. — Son absence paraîtrait un abandon et amènerait une séparation d'avec la cour de Savoie. 142

MXII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Le Saint déplore le départ du prince de Nemours. — Une paroisse très mal desservie. — L'épitaphe du poète Nouvellet. 143

MXIII. A Madame de la Fléchère. Bonnes nouvelles. — Le premier essai d'une fille «bien resolue et de bon esprit.» — Annonce d'un départ. — Achèvement du Traitté de l'Amour de Dieu. — Divers messages. 145

MXIV. A la Mère de Chantal. Le Saint retenu chez lui par le grand nombre des visiteurs ; il se promet toutefois d'aller voir le lendemain la Mère de Chantal. 145

MXV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Pénurie de prédicateurs dans la province des Capucins de Thonon. — Intervention du Saint en faveur des Cordeliers savoyards, menacés d'une séparation préjudiciable à leurs études. — Une besogne qui n'est pas déplaisante à son auteur. — Pourquoi le Traitté de l'Amour de Dieu pourrait avoir moins de succès que l'Introduction à la Vie devote. 147

MXVI. A Monseigneur Hildebrand Jost, Evêque nommé de Sion. Plusieurs raisons inclinent François de Sales à obliger l'Evêque de Sion. — Il lui sera très agréable de prendre part à l'office de sa consécration. 148

MXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Voyages en Tarentaise et en Valais. — Nouvelles diverses. 149

MXVIII. A Madame de la Fléchère. Annonce d'une messagère de confiance. — Encouragements. — Fidélité du Saint à sa chère Eglise de Genève, sa première épouse. 149

MXIX. A la Mère de Chantal. Une nouvelle prétendante pour la Visitation. 151

MXX. A la même. Une première étape et la pensée de zèle qui donnait un élan joyeni an saint voyageur. — Consolations spirituelles réservées aux âmes apostoliques. — Commentaire d'un texte de saint Paul. 151

MXXI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Avis donné au Duc sur la politique du gouverneur de Milan en Valais. — Eloge détaillé du nouvel Evêque de Sion. — Un présent qu'il n'a pas reçu. 152

MXXII. Au Marquis Sigismond de Lans. Renseignements politiques. — Les agissements du gouvernenr de Milan pour attirer le Valais au parti de l'Espagne. — Opposition de l'Evêque de Sion. — Mesures à prendre. — Un festin de six heures. — Qualités du nouvel Evêqne. 153

MXXIII. A la Mère de Chantal. Réponse à donner à une personne qui combat une vocation. — Respect dû à la liberté des âmes. 154

MXXIV. A Dom Placide Bailly, Benedictin. Excellente disposition pour recevoir de grandes grâces. — Comment vivre «en ce petit pelerinage.» — Document pour commencer une bonne vie religieuse. — Un anniversaire très pieusement célébré par le Saint. 154

MXXV. A la Mère de Chantal. Mme des Gouffiers propose de venir prendre la Mère de Chantal pour l'accompagner à Lyon ; le Saint agrée provisoirement ce projet. 155

MXXVI. A la même. Où réside la foi dans l'âme des saints qui sont tentés contre cette vertu. — Les souffrances spirituelles de la Mère de Chantal ne troublent pas son saint Directeur. 156

MXXVII. A la même. Une malade reprise pour ses imprudences. 156

MXXVIII. A la même. Demande et envoi de nouvelles. 157

MXXIX. A Madame de Peyzieu. Pour être tout à Dieu, nous devons crucifier nos affections les plus vives. — Il nous faut surtout un cœur amoureux envers le prochain. — Quand cet amour est-il plus excellent. 157

MXXX. A M. Jean de la Ceppède (Minute). Remerciements au destinataire pour l'envoi d'un poème. — L'auteur a su transformer les muses païennes en chrétiennes. — Puisse-t-il servir d'exemple à d'autres poètes. — Le pouvoir des vers pour pénétrer les cœurs. 158

MXXXI. A la Mère de Chantal. Une occasion est offerte à la Mère de Chantal d'écrire à son cher enfant. — De quoi elle avait peur. 158

Année 1615. 160

MXXXII. A M. Claude de Blonay. Pourquoi le saint Fondateur désire envoyer à Lyon les meilleurs de ses sujets. — Marie-Aimée de Blonay sera l'une des fondatrices ; son père est prié d'agréer cette mission si glorieuse pour sa fille. 160

MXXXIII. A Madame Gasparde de Ballon, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine. La débonnaireté de Notre-Seigneur en sa crèche ; ce qu'on y trouve et dans quelle posture il faut s'y tenir. — Que faire quand l'ennemi nous détourne de la sainte dévotion ; le péril de quitter l'oraison. 161

MXXXIV. A Madame de la Fléchère. La malignité humaine, grand sujet de résignation. — Quels esprits ne sont pas bons à l'office de chapelain. — On attend à Annecy les délégués de l'Archevêque de Lyon. 161

MXXXV. A la même. Départ imminent de la Mère de Chantal pour Lyon. — Souhait du Saint. 162

MXXXVI. A la Mère de Chantal. Sept billets pour le voyage. — Souhaits et bénédictions. — Les âmes vraiment inséparables. — Motifs de confiance et de courage. — La joyeuse ardeur de saint Ignace, martyr. — Promesse de la protection des bons Anges. — Douceur de l'unité des cœurs et des esprits. — Ardente prière pour la Fondatrice ; bénédictions à ses filles. 163

MXXXVII 163

MXXXVIII 163

MXXXIX. 164

MXL. 164

MXLI 165

MXLII 165

MXLIII. A Madame de Peyzieu. Les marques du pur amour. — De quel prix ont été payées les vertus des chrétiens. 166

MXLIV. A M. Claude de Quoex. Gratitude de Son Altesse envers le Saint pour un avis important. 167

MXLV. A la Mère de Chantal, a Lyon. Sentiments du Saint après le départ de sa chère fille spirituelle. — Nouvelles détaillées du Monastère, des Religieuses, de Françoise de Chantal, de son goût pour la parure et de la piété de Mme de Thorens. — Désir de savoir les particularités de l'«abord» à Lyon. —Bénédictions à la Fondatrice et à chacune de ses filles qui l'accompagnaient. 167

MXLVI. A M. Antoine des Hayes (Inédite). Une chère ville que le Saint serait content de revoir. — C'est l'invitation et la société d'Antoine des Hayes qui auraient ses préférences s'il pouvait aller prêcher à Paris. — Pourquoi il prend patience dans son «buisson.» — Promesse d'adresser à son ami les premiers exemplaires du Traitté de l’Amour de Dieu. — M. de Granier. 169

MXLVII. Au Prince-Cardinal Maurice de Savoie. Les pièces pour la cause du bienheureux Amédée de Savoie ont été envoyées et reçues en temps opportun. — Le Cardinal est prié de s'intéresser à la prospérité du collège d'Annecy, gêné par l'insuffisance des revenus. 170

MXLVIII. A Madame de Peyzieu. Souhaits, offre de services, encouragements à une dame infirme et âgée. — Le moyen de rendre les langueurs salutaires et aimables. 171

MXLIX. A la Mère de Chantal, a Lyon. D'où procèdent les découragements dans la vie spirituelle. — Il ne faut jamais s'arrêter dans le travail de la perfection. — Un précepte des Saints recommandé à la Mère de Chantal. — La présence du Saint-Sacrement, trésor de vie pour les maisons qui en jouissent. 171

ML. A la meme, a Lyon. Trois consolations dont le Saint a été gratifié au château de Sales. — Son attendrissement en voyant les pigeons faire place aux petits oiseaux et leur laisser pour leur repas des restes à suffisance. 172

MLI. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Dispense de l'abstinence. — Une dénonciation effrontée contre un frère du Saint. 173

MLII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. La nuit et les œuvres de la nuit. — Pourquoi les princes sont tenus en conscience de ne pas recevoir sans examen les accusations. — Courageuse remontrance du saint Evêque au duc de Nemours. 175

MLIII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Pourquoi François de Sales s'affligeait de la calomnie faite contre ses frères. Une prédiction du saint Evêque. 175

MLIV. Au meme (Inédite). Protestation d'amitié. 176

MLV. A M. Jean de Chatillon. Informations à prendre sur un ecclésiastique. 177

MLVI. Au Prince Cardinal Maurice de Savoie. La ville d'Annecy mérite d'être exemptée des charges de guerre. — Le Saint demande au Cardinal de favoriser ce bon peuple. 177

MLVII. A la Comtesse de Tournon. La destinataire est priée de faire exonérer des impôts deux pauvres veuves réduites à la misère. 177

MLVIII. A la Mère de Chantal, a Lyon. L'amour ne va pas toujours en ordre. — Pourquoi, même à Sainte-Claire, François de Sales, en parlant de saint Joseph, n'a pas eu la ferveur qui lui est habituelle à la Visitation. — Bonnes nouvelles de plusieurs Religieuses et de toute la Communauté. 179

MLIX. A Madame de Peyzieu. Souhaits de pieuse affection. — La fièvre amoureuse du Sauveur capable d'adoucir la fièvre corporelle. — Promesse de prières. 180

MLX. A la Mère de Chantal, a Lyon. La préoccupation d'un écrivain «embesoigné». — Une consultation du médecin de la Sainte. — Précautions épistolaires suggérées par la charité. — Les sorties, et l'autorité du Père spirituel du Monastère. — Confesseurs de dévotion et confesseurs extraordinaires. 181

MLXI. A M. Benigne Milletot. Soulèvement d'une paroisse qui refuse une partie de la dime au Chapitre de Genève. — Pourquoi le saint Evêque voudrait et ne voudrait pas châtier la mutinerie. — Les femmes de Seyssel. — Il faut ramener les délinquants au devoir. 182

MLXII. A Madame de Cornillon, sa sœur (Inédite). Affectueux bonsoir à la destinataire dont la visite est très désirée par le Saint. — Assurance qu'un service promis sera rendu. 183

MLXIII. A la Mère de Chantal, a Lyon (Inédite). Les distractions en l'oraison. — Sainte affection du Bienheureux pour l'âme de sa chère fille spirituelle. — Nouvelles de plusieurs Religieuses de l'abbaye de Sainte-Catherine et de la Visitation. — Salutations particulières. 184

MLXIV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Entremise du Saint pour faire rentrer en grace auprès du destinataire un parent qui l'avait offensé. — Remerciements pouf l'offrande d'un opuscule. — Portrait du jeune Louis des Hayes. — Eloge des Pères Barnabites. 185

MLXV. A la Mère de Chantal, a Lyon. L'affaire de Mme des Gouffiers. — Ne pas recevoir les postulantes avant l'âge requis. — Pourquoi la Mère de Chantal pouvait répondre hardiment pour le Saint. — Avis sur les sorties extraordinaires. — Trois hôtesses du Monastère d'Annecy. — Un sermon de deux heures et demie. 186

MLXVI. A la même, a Lyon (Fragment). De la réception des prétendantes. — Les sorties extraordinaires et pour quelles visites il faut les permettre. 188

MLXVII. A Madame de la Fléchère. Faut-il rechercher la cause de nos sécheresses ? — Pourquoi Dieu les envoie. — A quoi servent quelquefois les séparations. 188

MLXVIII. A une dame. Le double avantage qu'on retire souvent de certaines maladies. — Dieu n'abandonne jamais le premier l'âme qu'il a d'abord attirée à lui. 189

MLXIX. A Madame de Peyzieu. La santé du corps et la santé de l'âme vont souvent en mouvement contraire. — La maladie purifie le cœur. — Quel est le plus excellent sacrifice qu'on puisse faire, au temps de la vieillesse et des infirmités. 190

MLXX. A M. Antoine des Hayes. L'Evêque de Genève s'excuse de ne pouvoir accepter une proposition qui l'obligerait à résider en France. — Remerciements pour des services rendus. — Privilèges et privilèges. — Qualités et défauts de Louis des Hayes. — Une de ses réponses ; son affection pour le Saint. — Nouvelles militaires. 191

MLXXI. A Dom Jean de Saint-Malachie Obry, Feuillant. Amitié du Saint pour les religieux Feuillants. — Affectueuse mention de Mme Brûlart. — Dévotion de François de Sales à saint Bernard. — Nouvelles de la Visitation. 192

MLXXII. A la Mère de Chantal, a Lyon. Un billet hâtif. — Union d'intimité spirituelle entre les âmes des deux Saints. 193

MLXXIII. A la même, a Lyon. Aucune distance ne peut éloigner les cœurs que Dieu unit. — Une crainte du Saint. — La liberté qu'il faut garder à tout prix dans l'Institut de la Visitation. — Pourquoi le Fondateur voulait qu'on s'accommodât de certains esprits un peu difficiles. — Un vingt-troisième anniversaire cher au Bienheureux. 194

MLXXIV. A la même, a Lyon. Puissants désirs de servir le divin amour qui affluent dans le cœur du Saint. — Consolations qu'il reçoit des progrès spirituels de ses chères filles d'Annecy. — Que faire pour permettre à Dieu de parachever son œuvre dans les âmes. 194

MLXXV. A la Soeur Favre, Assistante de la Visitation de Lyon. Inquiétudes résignées du Bienheureux sur la santé de la Mère de Chantal. — Voyage de M. Grandis à Lyon. 196

MLXXVI. A la Mère de Chantal, a Lyon. Zèle croissant du Saint pour le service de Dieu. — Béatitude et suavité des âmes totalement résignées au vouloir divin. — Attente de nouvelles. 197

MLXXVII A la même, a Lyon. Acquiescement de François de Sales à la volonté de Dieu. — Nouvelles de son propre cœur. 198

MLXXVIII. A la Soeur de Bréchard, Assistante de la Visitation d'Annecy (Inédite). Prières publiques pour la guerre. — Affaire d'argent. 199

MLXXIX. A M. Balthazard de Peyzieu (Inédite). Condoléances, — Eloge d'un frère défunt. — La seule chose qui nous mette en repos. — Préparer la mère tout doucement à la fâcheuse nouvelle. — Une grande erreur. 200

MLXXX. A Madame de Peyzieu. Condoléances à la destinataire, sur la mort de son fils. — Le monde le plus désirable de tous. — Consolations à la mère «quasi sur le despart» pour aller où est son enfant. 201

MLXXXI. A la Soeur Favre, Assistante de la Visitation de Lyon. La Mère de Chantal hors de danger. — Nouvelles et avis spirituels. — Salutations aux chères Sœurs et aux bienheureuses Novices. 202

Minutes écrites par Saint François de Sales pour d'autres personnes. 203

MLXXXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier, pour les Religieuses de la Visitation. Remerciements et promesse de prières à Son Altesse en retour de la protection qu'elle accorde à la Visitation. 203

MLXXXIII. Au Cardinal Maffeo Barberini, pour Madame des Gouffiers (Inédite). Mme des Gouffiers se félicite d'avoir le Cardinal pour intercesseur dans son affaire. — Elle en espère le succès de sa charitable intervention. 203

MLXXXIV. A la Duchesse de Mantoue, Marguerite de Savoie, pour les Religieuses de la Visitation (Inédite). Les Religieuses de la Visitation d'Annecy rendent compte à leur protectrice de leurs consolations : pose de la première pierre de l'église, envoi prochain de trois d'entre elles pour dresser un nouveau monastère à Lyon. 204

MLXXXV. A un Secrétaire du Duc de Savoie, pour le Supérieur d'une Communauté (Inédite). Une réclamation injustifiée. 206

Appendice. 207

I. Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants. 209

A. Lettres de Commission de Mgr Pierre-François Costa, Nonce Apostolique a Turin. 209

B. Lettre du Père Jacques-Philibert de Bonivard de la Compagnie de Jésus. 210

C. Lettre du Père Mathias de Dole, Capucin (Fragment). 211

D. Lettre de Mgr Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley. 211

E. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie. 212

F. Lettre du Cardinal Caffarelli-Borghese, Secrétaire d'Etat. 212

G. Lettre de Mathias, Empereur d'Allemagne. 213

H. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie. 215

I. Lettre du Prince Cardinal Maurice de Savoie. 215

J. Lettre du Cardinal Caffarelli-Borghese, Secrètaire d'Etat. 216

K. Lettre de Dom Bruno d'Affringues, Général des Chartreux. 217

L. Lettre du Père Etienne Binet de la Compagnie de Jésus. 217

II. Lettres de princes et autres personnages a differents destinataires. 218

A. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie, aux Religieuses de la Visitation d'Annecy. Le Duc de Savoie. 218

B. Lettre de l'infante Marguerite de Savoie, Duchesse de Mantoue, a la Mère de Chantal 218

C. Lettre de M. Philippe de Quoex a son frère Claude. 220

D. Lettres patentes de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie, au Souverain Sénat. Le Duc de Savoye. 224

E. Lettre Du Même Aux Nobles Syndics d'Annecy. Le Duc de Savoye. 225

F. Lettre du meme aux Administrateurs du Collège Chappuisien. Le Duc de Savoye. 226

G. Lettre de M. Renaud de la Grange au duc de Villeroy. 226

H. Lettre du Prince Cardinal Maurice de Savoie aux Administrateurs du College Chappuisien. Il Principe Mauritio, Cardinale di Savoia. 228

I. Lettre des proviseurs du Collège de Savoie a Louvain aux Administrateurs de celui d'Annecy. 228

J. Lettre de Mgr Anastase Germonio, Archevêque de Tarentaise, au Clergé de son Diocèse (Fragment)  229

III. La fondation du Ier Monastère de la Visitation de Lyon, deuxieme de l'Ordre. 230

Lettres patantes du Roy sur l'establissement des Dames Religieuses du Monastaire Saincte Marie de ceste ville de Lyon. 234

 

 

Lettres de Saint François de Sales. Année 1613

(Suite)

 

 

 

DCCCLXXIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Pèlerinage à Milan. — Ostension du saint Suaire de Turin. — Deux audiences princières attendues. — Annonce du retour à Annecy.

 

Turin, 6 mai 1613.

 

            Hier tout tard je receu vostre lettre, ma tres chere Fille, et tout a la haste, je vous annonce nostre retour de Milan, ou, et tout le long du chemin, nous avons [1] esté extremement caressés. Avanthier je fus l'un de ceux qui firent l'ostension fort solemnelle du saint Suayre, ou Son Altesse me fit l'honneur de me tesmoigner beaucoup de bienveuillance en diverses occasions. Je n'attens plus que d'avoir une bonn'audience d'elle, selon qu'elle me la promit a Trein, et une autre de Monseigneur de Nemours: et puis, me voyla de rechef a cheval pour retourner en ma pauvre petite coquille, qui m'est plus chere que tous les palais des grans Princes, desquelz les caressent (sic) m'obligent extremement, sans m'engager nullement.

            Je vous escriray dans deux ou troys jours par M. de Vallon, et a tous mes amis, sinon que je fusse si heureux de pouvoir estre despeché pour aller moy mesme; mays ce tems de guerre ne me fait pas faveur pour cela. J'espere pourtant que ce sera bien tost, non jamais tant que je desire. [2]

            Nous laisserons donq lâ la croix pour cette fois. Je salue toute nostre chere trouppe et Mme des Gouffier et tout, si ell' y est. Dieu benisse a jamais nostre unique cœur, ma tres chere Mere. Me voyci visité; partant, Dieu soit avec vous. Je suis en luy pour vous ce quil sçait, et vrayement vous mesme.

            6 may 1613, a Thurin.

                        A Madame

            [Madame la] Barone de Santal,

                        Superieure de la Visitation de Nicy.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, au Séminaire de Saint-Sulpice.

 

DCCCLXXIV. A l'Empereur d'Allemagne, Mathias (Minute). Dépouillé par les Genevois de son pouvoir et de ses biens temporels, l'Evêque de Genève s'excuse de ne pouvoir prêter son concours à l'Empereur.

 

Annecy, 9 mai 1613.

 

            Quam vellem, Imperator Augustissime, mandatis Majestatis Vestrae Caesareae ad amussim obtemperare posse, [3] comitiis nimirum imperialibus, quae nunc indicit, interesse, ingenium, si quod in me sit, operamque meam honorificentissimis suis conatibus impendere ac denique augustissimum invictissimi Caesaris vultum coram venerari! Verum haereticorum Gebennensium rebellio, quae episcopalem hanc cathedram omni penitus rerum humanarum praesidio per summam perfidiam spoliavit, efficit ne quod volo bonum, hoc faciam.

            Quare, quod superest, Serenissime Caesar, nunquam intermittam, quin Deum optimum, maximum, Sacrificiis [4] precibusque placare contendam, ut tribuat tibi auxilium de sancto, et omne tuum pium consilium confirmet. Amen.

            Caesareae Majestatis Vestrae augustissimae,

            Humillimus et observantissimus,

                        FRANÇS, Ep. Gebenn.

            Annessii Gebennensium, 9 Maii....

 

 

 

            Très Auguste Empereur,

            Que je voudrais obéir à la lettre aux commandements de Votre Majesté Impériale, en assistant à la diète qu'elle publie maintenant, [3] et en consacrant mon industrie, selon mes moyens et mon travail, à ses très honorables entreprises! Que je voudrais aussi rendre en présence mes hommages à la très auguste personne du très invincible Empereur! Mais, du fait de la rébellion des hérétiques genevois, cette chaire épiscopale se voit absolument dépouillée, par une très grande perfidie, de tout moyen d'assistance humaine: de là, pour moi, l'impossibilité de faire le bien que je veux.

            Aussi, à l'avenir, Sérénissime César, je ne cesserai pas d'offrir [4] mes Sacrifices et mes prières, afin d'apaiser le Dieu tout bon et tout-puissant, pour qu'il vous envoie son secours d'en-baut et qu'il confirme entièremement votre pieux projet.

            De Votre Majesté Impériale très auguste,

            Le très humble et très obéissant serviteur,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, le 9 mai....

 

 

 

DCCCLXXV. A la Mère de Chantal. Le Saint se dispose à repartir pour la Savoie. — Une protectrice pour la Visitation. — Messages et avis divers.

 

Turin, 14 mai 1613.

 

            Et moy, ma chere Fille, je vous escris encor plus courtement pour responce a vostre lettre du 5 de ce mois, tant pour mille petites affaires et visites que je reçoy, que pour la ferme esperance que j'ay de vous voir bien tost, resolu, Dieu aydant, de partir d'icy samedi ou Dimanche prochain, pour estre a Neci au jour de la sainte Pentecoste, puisque je n'arreste plus que pour l'affaire de ces pauvres bannis; car, quant [5] aux despeches, je laisseray le bon M. de Blonay qui, de bon cœur, demeurera pour les solliciter. Mais cette negociation de l'appaisement de Monseigneur de Nemours ne peut estre faite qu'en presence; or, j'ay toute ma confiance en Dieu d'en reüscir.

            Je vous ay des-ja fait sçavoir que nous aurons madame la Duchesse de Mantoue, qui est la vertu mesme, pour nostre protectrice; mays il ne faut pas encor en faire du bruit, pour une rayson que je vous diray. M. de la Bretonniere est encor en volonté de nous ayder en quelques choses pour l'edification de nostre oratoire.

            Caressés cordialement les messieurs qui s'en revont, en particulier M. Floccard. Je suis en peyne du retardement de madame des Gouffiers, remettant neanmoins cela a la sainte providence de Nostre Seigneur, comme aussi nostre pauvre petite malade. Nous ramenerons vostre filz, qui, a la verité, a grand desir de s'employer a la guerre, si elle suit.

            Je salue fort ma chere fille madame de Thorens, et Mlle de Rabutin, qui est aussi ma fille; comme encor toutes celles qui sont autour de vous, que vous sçavés m'estre pretieuses plus qu'il ne se peut dire. [6]

            Dieu soit a jamais dedans nostre cœur, pour y vivre et regner eternellement. C'est luy qui sçait ce qu'il luy plaist que nous soyons, en la tres parfaite union qu'il a faite en luy mesme et par luy mesme. Amen.

            A Thurin, le 14 may 1613.

            Il seroit mieux qu'on accommodast le proces en mon absence, a cause de ma trop grande condescendance. Je prieray pour le pauvre sire Pierre, et louë Dieu qu'il soit passé en bonne disposition.

                        A Madame

[Madame] la Baronne de Chantal,

            Superieure de la Visitation, a Neci.

 

 

 

DCCCLXXVI. A M. Antoine des Hayes. D'où venait l'empêchement pour le Saint d'aller prêcher à Paris ; égards que lui témoigne le duc de Savoie. — L'incivilité d'un libraire et la Defense de la Croix. — Ouvrages et éditeurs. — M. et Mme de Charmoisy.

 

20 mai 1613.

 

                        Monsieur,

            Je receu a Thurin vostre lettre du 30 mars, avec une extreme confusion d'y voir le remerciment que vous me faites de ma perseverance au desir de servir vostre parroisse le Caresme prochain; puisque ma volonté, [7] ma perseverance, mon esperance demeurent frustrees et inutiles, Son Altesse ne m'ayant pas voulu accorder que je sorte d'icy pour les praedications, avec des paroles tant honnorables que rien plus, mais nullement favorables a mon intention. De sorte, Monsieur, que je vous supplie de ne plus vous amuser a moy en façon quelcomque, puisque je suis si impuissant a vous rendre le service que je vous dois. J'ay bien neanmoins encor un ressort en main, lequel je vay faire jouer des demain, mays je ne m'en ose rien promettre. Si vous sçavies, Monsieur, d'ou vient l'empeschement, vous admireries l'industrie du dœmon qui s'oppose a nos desirs.

            Pour Dieu, Monsieur, croyes bien, je vous supplie, que mon cœur est totalement dedié au vostre, et mes desirs a vos affections, et que si je sçavois faire mieux pour faire reuscir vos intentions, je le ferois. Je vous diray ce mot en la confiance que j'ay de vostre prudence: M. Troüillouz, qui sert Son Altesse es affaires de France, dit a Thurin, sur le propos de la recherche qui a esté faite ci devant de me faire aller a Paris: C'est Charmoysi et le sieur des Hayes qui ont ce dessein, nul autre n'y eut pensé qu'eux. De lâ, on passe a d'autres pensees. Jusques a quand sera ce que l'on vivra ainsy? Hors cette particularité, que vostre seule consideration me faysoit avoir plus a cœur qu'autre chose quelcomque de celles que j'avois a traitter, Son Altesse m'a [8] comblé de tesmoignages d'estime et de faveur autant que l'action de la guerre en laquelle je le treuvay le pouvoit permettre.

            Je treuve tres mauvaise la procedure du libraire qui a osé, sans rime ni rayson, mettr' un tiltre si impudent au livret de la Croix. Hors le tiltre et l'obmission de l'Advant Propos, sans lequel ce livre semble un songe, je n'en serois pas si fasché, bien que tous-jours ce seroit un'incivilité commise en mon endroit. Et sil m'eut adverti, je luy eusse rendu ce livret mille fois plus vendable, par la correction et amendement que j'y eusse fait. Mays, pour tout cela, je ne vous supplieray point de prendre la peyne de faire faire les deffences qui seroyent requises pour en empescher la debite, car ce vous seroit une trop grande importunité. Je me contenteray bien qu'il vous playse luy faire dire quil me donne cette satisfaction de remettre le tiltre. Rien ne m'est plus a contre cœur que l'ambition des tiltres:

                                     «Je hay l'architecteur qui, privé de rayson,

                                     «Fait le portail plus grand que toute la mayson.» [9]

            J'ay promis le livre de l'Amour a Rigaud, de Lion, et certaine petite besoigne pour ce diocaese a un autre. Passé cela, si jamais je metz la main a la plume, ce sera pour Paris, a vostre gré; mays certes, je ne sçai ce que je pourray jamais faire.

            J'espere dans cinq ou six jours voir monsieur de Charmoysi en liberté. J'escris a madame de Charmoysi, qui vous fera sçavoir ce qui en est et l'advis que je luy donne, puisque je suis pressé de finir.

            Monsieur, je suis plus qu'homme qui vive,

                        Vostre tres humble, fidele serviteur,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve,

qui vous souhaite, et a madame vostre chere moytié, tout le bonheur du Ciel et de la terre.

            XX may 1613.

            Monseigneur de Nemours va en France dans huit jours.

                        A Monsieur

Monsieur des Hayes, Maistre d'hostel du Roy,

                                               Gouverneur de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Rouen. [10]

 

 

 

DCCCLXXVII. A Madame de Peyzieu (Inédite). Témoignages d'affection filiale ; félicitations à la destinataire à propos du mariage de l'un de ses fils.

 

21 mai 1613.

 

                        Madame ma chere Mere,

            Les mains d'un si digne porteur vous rendront, je m'asseure, ce papier aggreable, outre la faveur maternelle delaquelle vous recevés tout ce qui vous est presenté de ma part. Ce n'est, Madame ma Mere, que pour vous ramentevoir l'humble et veritable affection filiale que j'ay dediee et que vous aves acquise en moy pour vostre service. Faites moy lhonneur, je vous supplie, de me continuer aussi au rang que vous m'aves donné en vostre bienveuillance, delaquelle je suis extremement jaloux et ambitieux, comme d'un bien que je ne merite pas et que neanmoins m'est assigné.

            Au demeurant, Madame ma chere Mere, il faut bien que je me res-jouisse avec vous de la consolation que vous aves de vous voir assistee et accompaignee d'une nouvelle bonne et bellefille, et que je vous conjure de luy [11] ordonner qu'elle me reçoive en sa bonne grace, comme un de vos enfans plus humbles qui est, outre cela,

                        Vostre fidele et tres affectionné serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            21 may 1613.

            A Madame de Pezieu.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Troyes,

à l'aumônerie des Dames des SS. Cœurs, dites de Picpus.

 

 

 

DCCCLXXVIII. A la Mère de Chantal. Retour du Saint (Billet inédit). — Salutations dès l'arrivée. — Promesse d'une visite pour le lendemain.

 

Annecy, 25 mai 1613.

 

Et me voyci donq au pres de ma tres chere Mere, moy mesme sans autre, avec tesmoignage de tous ceux qui me voyent que je me porte fort bien. Demain, Dieu [12] aydant, ma tres chere Mere m'en dira de mesme et que je soys le bien venu; ce qu'attendant, je la salue tres humblement de tout mon cœur, et toutes nos cheres Seurs aussi.

            Dieu vous donne le bonsoir, ma tres chere Mere, a qui je suis de tout mon cœur en Nostre Seigneur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Zeiller,

à Lunéville (Meurthe-et-Moselle).

 

DCCCLXXIX. A la même (Fragment). Aspiration du Saint à la fin d'une journée. — Souhaits spirituels pour la Mère de Chantal.

 

Annecy, [26 mai 1613.]

 

            Mon Dieu, ma tres chere Mere, quil me fera grand bien d'aller doucement achever la journee aupres de nostre Sauveur! et je supplieray sa Bonté quil aille luy mesme verser dans vostr' ame un doux et tranquille repos, emmi lequel il la remplisse de la plus parfaite suavité de son amour. Bon soir donq, la chere Mere de mon cœur, et bonsoir le cher cœur de ma pauvre Mere. Dormes doucement sous la fraich'ombre des aisles du celeste Colombeau, qui soit a jamais nostre paix et protection. J……………………………………………………………………………….

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Collonges,

aumônier de la Visitation de Chambéry. [13]

 

 

 

DCCCLXXX. A la même. Encore l'héritage de Mme de Miribel. — Première entrevue du Saint et des «bonnes damoyselles» qui devaient concourir à la fondation du monastère de Lyon.

 

Annecy, 27 mai 1613.

 

            Il est mieux, ma tres chere Fille, que vous luy escrivies, puisque le reste s'est passé avec vous. Je voudrois bien que monsieur de Beaumont en fut, par ce quil rangeroit plus puissamment l'esprit de la partie. Toutefois, si l'assemblee est de telle qualité qu'elle puisse suffire, il ni aura pas grand hazard, puisque mesme ce [14] n'est que pour prendre un compromis. Je vous donneray Pierre, si vous en aves besoin.

            Vous sçaves bien que je suis vostre. Bon soir, ma tres chere Fille. J'ay bien esté content de voir ces bonnes damoyselles ce matin, et particulierement Mme de Gouffier, que je voy toute telle que vous m'aves dit.

            Dieu aggrandisse de plus en plus son saint amour en nostre cœur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant aux Missionnaires de Saint-François

de Sales, à Annecy. [15]

 

DCCCLXXXI. A Madame de Giez. Un bienfait extraordinaire pour une jeune femme. — Trois vertus qui comprennent toute la dévotion. — Souhaits de piété. — Moyen de rendre plus doux le joug du Sauveur.

 

Annecy, [fin mai] 1613.

 

                        Madame,

            J'ay esté estonné quand j'ay sceu que vous n'avies pas receu le remerciment que je vous avois fait, pour l'honneur qu'il vous pleut me departir en m'escrivant. Croyes, je vous supplie, que je ne suis pas si ingrat et nonchalant que d'avoir oublié ce devoir-la. Mays puisque cette action de grace ne vous est pas arrivee, je la refay maintenant de tout mon cœur, vous asseurant que c'est avec un grand surcroist de l'estime que j'avois de vostre bienveüillance, par la description plus particuliere que Madame de Baume m'a fait des qualités et conditions de vostre esprit, que j'ay treuvé extremement aymable, priant Dieu qu'il luy playse les affermir et accroistre de plus en plus. [16]

            C'est un benefice extraordinaire, qu'entre les aggreemens du monde, emmi le printems d'une jeunesse et entre les louanges de plusieurs, vous aymies et estimies les saintes vertus. Celles d'humilité, de modestie et de douceur sont celles qui comprennent toute la tres sainte devotion. Seigneur, disoit le Roy David, vous m'aves enseigné des ma jeunesse, et jusqu'à present j'annonceray vos merveilles. Que reste-il, ma chere Dame, sinon qu'il playse a cette souveraine Bonté de vous tenir de sa main, affin que vous puissies dire avec le mesme Roy: Jusqu'à ma viellesse et decrepitude, Seigneur Dieu, ne me delayssés point. Faites que cette aube croisse jusqu'au plein midy du saint amour celeste, et que vostre printems fleury se convertisse en une automne fructueuse.

            Pour moy, je me res-jouy infiniment avec vous de quoy l'Espoux sacré a touché les entrailles de vostre ame et vous a fait odorer le parfum de ses attraitz, et ne puys m'empescher de vous dire que vous couries apres luy, et que vous couries de sorte que vous le puyssies attaindre. Vous estes bien heureuse d'avoir un mary si chrestien comme est celuy que Dieu vous a donné en sa debonnaireté, car le joug du Sauveur, qui est en soy si doux et suave, le devient encor davantage quand deux le portent ensemblement.

            Je ne cesseray jamais de vous honnorer d'un respect et amour fort particulier, et vous souhaiteray tous-jours la perfection du divin amour. Obligés moy, Madame, de vostre dilection, et implorés sur mon ame la misericorde souveraine de nostre Createur, auquel et pour lequel je suys et veux estre des-ormais fort entierement,

            Madame,

                        Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [17]

 

 

 

DCCCLXXXII. A la Mère Anne de la Vesvre, Ursuline. Sympathies du Saint pour la Congrégation des Ursulines de Franche-Comté. La clôture ne lui paraît pas conforme à l'esprit de cet Institut.

 

Annecy, juin 1613.

 

                        Ma chere Seur,

            Ce me sera tous-jours une grande consolation de sçavoir que vous et vostre Congregation profites au service de nostre commun Maistre, et si j'estois digne de contribuer a vostre advancement, personne du monde ne s'y employeroit plus volontier que moy.

            Or, pour le regard de l'advis que vous me demandes, je vous diray sans hesiter, que vous ne deves [18] nullement vous obliger a la closture; vostre Institut ne tend pas a cela. A Milan, d'ou je viens, il y a quantité de Congregations, mais pas une n'observe la closture, ains sortent pour de certaines causes limitees et gaignent beaucoup en leurs sorties. Suivés l'esprit de vostre Compaignie, qui fleurit en tant de lieux et despuis un si long tems en pieté.

            Voyla mon advis, que je vous escris sans loysir, vous suppliant de m'aymer tous-jours en Nostre Seigneur et me recommander perpetuellement a sa misericorde.

 

DCCCLXXXIII. A la Mère de Chantal. Un désir du Saint pour la Mère de Chantal et pour lui-même ; pourquoi il regrette d'avoir dû quitter le matin la rédaction du Traitté de l'Amour de Dieu. — Les voies les plus faciles ne sont pas toujours les meilleures. — User d'amour et de douceur envers les petits esprits et les cœurs faibles.

 

Annecy, [6 juin] 1613.

 

            Que je suis consolé, ma tres chere Mere, de la bonne nouvelle de vostre santé! Le grand Dieu, que ma pauvre [19] ame et la vostre veut a jamais servir, soit beni et loué, et veuille de plus en plus fortifier cette chere santé que nous avons dediee a sa sainteté infinie.

            Mais ce pendant, nostre cher cœur comme se porte-il en vous? Helas, ma tres chere Mere, que je luy desire de benedictions! Quand sera-ce que l'amour, triomphant entre toutes nos affections et pensees, nous rendra tous unis au cœur souverain de nostre Sauveur, auquel le nostre aspire incessamment? Ouy, ma tres chere Mere, il y aspire incessamment, quoy que insensiblement pour la pluspart du tems. Certes, j'ay esté bien marry ce matin, qu'il m'ayt fallu quitter ma besoigne sur le point qu'il m'estoit arrivé une certaine affluence du sentiment que nous aurons pour la veuë de Dieu en Paradis, car je devois escrire cela en nostre livret; mays maintenant je ne l'ay plus. Neanmoins, puisque je me suis diverti seulement pour aller prendre les arres de cette mesme veuë en la sainte Messe, j'espere qu'il me reviendra quand il en sera tems. O Dieu, ma tres chere et unique Mere, aymons parfaittement ce divin objet qui nous prepare tant de douceur au Ciel; soyons bien tout a luy, et cheminons nuit et jour entre les espines et les roses, pour arriver a cette celeste Hierusalem.

            La grande fille va par un chemin fort asseuré, pourveu que son aspreté ne la descourage. Les voyes les plus faciles ne nous menent pas tous-jours plus droitement ni asseurement; on s'amuse quelquefois tant au playsir qu'on y a et a regarder de part et d'autre les veuës aggreables, qu'on en oublie la diligence du voyage.

            Il faut estre court. Voyés ce billet qu'on m'a envoyé [20] ce matin; et parce que je n'ay point veu cette pauvre creature, et que peut estre vous la verrés devant moy, j'ay pensé que je ferois bien de vous l'envoyer. Helas! ma tres chere Mere, que la vanité fait de tort a ces chetifz petitz espritz, qui ne se connoissent pas et se mettent entre les hazars! Mais pourtant, comme vous sçavés, en bien remonstrant, il faut user d'amour et de douceur; car les advertissemens font meilleure operation comme cela, et autrement on pourroit detraquer ces cœurs un peu foibles. Seulement, je ne sçai comme vous pourres dire que vous sçaves la dissension. Or bien, Dieu inspirera a nostre cœur ce qu'il dira pour ce regard, comme je l'en supplie, et de m'inspirer aussi ce que je prescheray ce soir.

            J'escris entre plusieurs distractions. Bon soir, ma tres chere Mere. Je suis

                        Vostre tres affectionné serviteur en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

DCCCLXXXIV. A Madame de la Valbonne (Inédite). Une âme dévoyée : pourquoi les «Dames de la Visitation» ne sont pas répréhensibles de l'avoir assistée. — Quand faut-il empêcher le mal. — Messages et souhait.

 

Annecy, [7 ou 8 juin] 1615.

 

            La femme delaquelle vous m'escrives, m'a donné [21] un desplaysir extremement sensible, ma tres chere Fille, d'estre allee en un lieu ou elle ne pouvoit estre sans donner un tres grand scandale. Pendant le Caresme, elle s'estoit fort bien comportee, et je commençois a prendre de la consolation en son bonheur. Despuis, je ne l'ay point veuë, sinon a son despart pour Belley, qu'elle vint ceans, mais en une occurrence qui m'empescha de luy pouvoir parler a souhait parce que j'estois plein de gens.

            Le monde a tort de prendre a contrepoil l'office de charité que les Dames de la Visitation ont cuidé faire en son endroit. Dieu a caché le secret des choses a venir aux hommes, et si nous ne devions servir sinon les ames qui doivent perseverer, nous serions bien en peyne comme les discerner d'avec les autres. Il faut, quand ce ne seroit que pour une heure, empescher le mal du prochain. Et pleust a Dieu que cette pauvre femme fust demeuree dans les resolutions qu'elle avoit prises a la Visitation! elle eust esté bien heureuse et de bonne odeur a tous les bons. Je dis. cecy affin que vous sçachies respondre doucement a ceux qui murmurent.

            Au reste, ma tres chere Fille, je me res-jouis de la santé de Mme de Monthoux et luy souhaite toute sainte benediction. Je n'escris pas a Mme la Generale, mais puis [22] qu'elle se confie en vous, vous luy dires que cette creature s'en est allee a Belley, et espere qu'elle ne reviendra plus que pour amasser ses hardes et se retirer du tout.

            Mais vous, ma tres chere Fille, vives tous-jours toute a Dieu, qui vous y a tant obligee par les graces et instructions quil vous a departies; et je suis, d'un cœur parfait,

                                                           Vostre plus humble oncle et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Madame de la Valbonne.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

 

 

DCCCLXXXV. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Supplique instante en faveur de M. de Charmoisy et de M. du Noyret. — Si le Duc reçoit les plaintes contre les Annéciens, «sans praejudice des defenses des accusés, Dieu sera obei.»

 

Annecy, 9 juin 1613.

 

                        Monseigneur,

            Puysqu'il vous pleut m'accorder la liberté de monsieur de Charmoysi, mon parent, je l'attens infalliblement de vostre bonté, laquelle j'ay des-ja supplié tres humblement par quattre diverses lettres, d'en avoir la memoire qu'ell'a accoustumé de tenir en faveur de ses tres obeissans serviteurs, entre lesquelz je suis des plus certains. Monsieur du Noyeret aussi est en la mesm' attente, [23] ayant escrit la lettre de la sousmission (qu'il ne peut jamais rendre asses grande) laquelle estoit desiree pour cet effect.

            Je supplie donques tres humblement Vostre Grandeur, Monseigneur, de m'exaucer pour l'un et pour l'autre, et de recevoir la multitude des plaintes que, par artifice, pourront estre faites contre tous ses sujetz de cette ville, sans praejudice des defences et legitimes allegations des accusés. Car ainsy, Dieu sera obei et respandra, selon mon continuel desir, ses plus cheres graces sur Vostre Grandeur, a laquelle faysant tres humblement la reverence, je suis en toute fidelité,

            Monseigneur,

                        Tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 9 juin 1613.

                        A Monseigneur

[Monseigneur] le Duc de Genevois,

                        de Nemours et de Chartres.

 

Revu sur l'Autographe qui se trouvait à Lyon, chez les RR. Pères Jésuites,

rue Sainte-Hélène. [24]

 

DCCCLXXXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Les voyageuses de Lyon et les préliminaires d'une fondation. — Le P. Grangier. — Un visiteur attendu.

 

Annecy, [vers le 10] juin 1613.

 

                        Ma chere Mere,

            Faites voir, je vous prie, ces lettres a nostre madame des Gouffier, et les voyes vous mesme; c'est affin qu'elle considere si je dis bien au P. Grangier selon ce qui s'est passé.

            La jeune damoyselle de Lion desire encor de me [25] parler, ainsy que M. Michel m'a dit. J'irois tres volontier la, pour luy gaigner la peyne de venir et pour me gaigner le contentement de vous voir; mais j'attens M. Berthelot, et ne sçai l'heure quil viendra. Si cependant elle venoit, je luy parlerois ou devant ou apres, pourveu qu'ell' eut un peu de patience, car l'affaire de M. Berthelot veut un peu de loysir et je desire le luy donner.

            Mays bonsoir, ma tres chere et tres bonne Mere. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Marseille. [26]

 

 

 

DCCCLXXXVII. A Madame de la Fléchère. Un dépositaire fidèle. — Suspension des hostilités entre la France et la Savoie. — Invitation aux noces de Louis de Sales. — Craintes et espérances à propos de M. de Charmoisy.

 

Annecy, 11 juin 1613.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Vous estes absolument dame de tout ce qui est en mon pouvoir; tout ce que vous m'envoyerés sera retiré et gardé soigneusement. La verité est que je ne croy nullement que monsieur le Grand de France pense a nous attaquer pour le present, puysque Son Altesse est en suspension d'armes et en projet d'accommodement, joint que tout le bord du Rosne a esté jusques a present exempt de soldatesque. Si Dieu nous garde, nous serons bien gardés. Hé, je le supplie, par sa bonté, qu'il soit nostre protection.

            Nous nous attendons au bien de vous voir, en ces noces, desquelles la presence de monsieur vostre mari [27] et celle de nostre seur et la vostre seront la meilleure consolation que je puiss' avoir.

            Je suis grandement desplaysant de n'avoir encor point l'ordre de la liberté du cher cousin, car vous pouves penser comme ce retardement luy est ennuyeux et combien d'imaginations il luy peut causer. Neanmoins je demeure ferme et tiens asseuré ce qu'on m'a promis, esperant que l'ordre estant arrivé, l'ennuy de l'attente sera effacé.

            Dieu soit a jamais le grand et souverain object de nos affections. Je suis en luy, sans fin ni reserve,

                                               Vostre plus humble et invariable serviteur et compere,

                                                                                                                      F., E. de G.

            11 juin 1613.

            Je salue cherement la seur et suis son serviteur. Item, je salue la bonne voysine.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

                        A Rumilly.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bruxelles. [28]

 

 

 

DCCCLXXXVIII. A la Mère de Chantal (Fragment inédit). «Fraische rosee» et «tempeste» ; l'odeur des œillets sur la fin de la journée.

 

Annecy, [vers le 14 juin] 1613.

 

            Nicephore. En somme, le matin m'a esté comm'une fraische rosee, et cet apres disner j'auray la tempeste. Bienheureux si, sur le tard, je puis ressembler a vos œilletz, car leur odeur s'affine et s'augmente en suavité sur la fin de la journee. Hé, Dieu nous face la grace que, tirans tous-jours plus du costé de nostre vespre, nous croissions devant Dieu en odeur de suavité. Amen.

            Le bon soir a la dame de Gouffier.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Paray-le-Monial.

 

 

 

DCCCLXXXIX. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie (Inédite). Raisons nouvelles présentées au prince en faveur de MM. de Charmoisy et du Noyret. — Le Saint intercède aussi pour des gentilshommes bourguignons et déclare ne craindre nullement ses calomniateurs.

 

Annecy, 14 juin 1613.

 

                        Monseigneur,

            La nouvelle peyne en laquelle le sieur de Charmoysi se treuve a cause du danger de peste qui l'environne, [29] ains le presse dedans sa mayson mesme me fait encor une fois supplier tres humblement Vostre Grandeur de m'envoyer l'ordre quil vous a pleu, Monseigneur, de m'accorder pour sa liberté, affin qu'il puisse au plus tost s'oster de cette mayson suspecte et, apres sa quaranteyne, s'esloigner de ces perils.

            Le bonhomme monsieur du Noyeret a quelque opinion, et moy aussi, que Vostre Grandeur n'ayt pas receu la lettre de sousmission moyennant laquelle elle m'avoit gratifié de le vouloir eslargir, et ses enfans, puisqu'il n'a point encor la jouissance de cette faveur; c'est pourquoy il a derechef escrit la ci jointe, laquelle, en son nom, je presente a Vostre Grandeur, avec tres humble supplication que je vous fay, Monseigneur, de l'exaucer et moy aussi.

            Ces gentilshommes bourguignons pour lesquelz je fis encor pareille demande a Vostre Grandeur, attendent aussi les effectz de la bonne volonté qu'elle me tesmoigna pour leur regard, et meritent d'autant plus de les recevoir, qu'ilz ne les desirent que pour la jalousie qu'ilz ont de pouvoir sans contradiction porter par tout le nom de tres humbles serviteurs de Vostre Grandeur, puisque [30] soudain qu'ilz auront sa faveur, ilz se retireront en leurs pais, sinon que quelque digne service de Son Altesse ou de Vostre Grandeur les retint; auquel cas, ilz tesmoigneroyent bien le tort qu'on a eu de les accuser de manquement de respect et d'honneur envers elle, a laquelle ilz font speciale profession de tres humble affection, et sont de telle qualité et condition qu'ilz sont dignes d'estre estimés.

            Et quant aux artifices par lesquelz, aforce deseplaindre, on voudroit faire treuver mauvaise l'intercession que j'ay faite pour tant de gens, je ne les crains nullement; car je sçai que Vostre Grandeur ne se laissera point surprendre par telles ruses, et moyennant cela, je suis trop asseuré de luy faire tous-jours paroistre la sincerité et equité de mes remonstrances et supplications. Et tandis, je persevere a souhaiter que Dieu comble de prosperité

            Vostre Grandeur, delaquelle je suis infiniment,

                        Monseigneur,

                                   Tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                                           orateur et serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII juin 1613, a Neci.

                        A Monseigneur

Monseigneur le Duc de Genevoys,

            de Nemours et de Chartres.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse.

 

 

DCCCXC. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Un cadeau du Saint. — Les plaintes de Berthelot contre Janus de Sales, sujet de mortification pour l'Evêque.

 

Annecy, 14 juin 1613.

 

                        Monsieur,

            Je vous remercie de la part qu'il vous plait me faire de vos nouvelles, que je mesnageray tous-jours le plus [31] discrettement que je pourray. Vous aures les primices du vin grec de Monpelier, lesquelles, puysque j'avois destinees a monsieur le Marquis de Lans, nostre gouverneur general, se rencontreront a propos entre vos mains pour luy estre donnees, bien que je ne me veuille pas pour cela exempter de luy envoyer les secondes traittes, desquelles aussi, peut estre, reciproquement vous fera-il part.

            Mes freres sont tous vos serviteurs et se rendront tous-jours pour vous suivre par tout; mais voyla Bernardet qui me dit qu'il n'est plus tems pour ce coup, puysque Son Excellence part soudain apres disné, estant arrivee des ce soir passé.

            Je suis sans nouvelles de monsieur de Charmoysi nostre cousin, et ce sont bonnes nouvelles, car sil y en avoit d'autres je serois adverti. Or, j'attens tous les jours l'ordre de sa liberté que Monseigneur de Nemours m'a promis; c'est pourquoy je ne luy envoye point jusques a ce que je l'aye. A ce propos, on m'a dit que le sieur Bertelot avoit fait faire des grandes plaintes contre mon frere le chevalier a Son Excellence, mays il se treuvera que c'est a tort et pour des frivoleries: comme de ne le saluer pas, non plus qu'il n'est pas salué de luy, et semblables choses indifferentes et dont les plaintes peuvent estre reciproques, quoy que non egales en l'inegalité des personnes. Nous sommes icy en occupation pour telles petites observations, et cela me tient lieu de [32] mortification, car en verité, j'aurois bien d'autres choses a faire qui seroyent plus utiles.

            Je prie Dieu quil vous comble de benedictions, et suis sans fin,

            Monsieur,

                                   Vostre tres humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII juin 1613, a Neci.

                        A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise Pensa, à Turin.

 

 

 

DCCCXCI. A Madame de Travernay. Remerciements à la destinataire ; affection de sa fille pour le Saint.

 

Annecy, 15 juin 1613.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Ce n'est que pour vous remercier bien simplement que je vous escris ce billet, me sentant extremement obligé dequoy vous aggrees si fort mes lettres et l'affection que je porte a vostre ame, a laquelle en verité je souhaite toute sainte consolation et perfection.

            Je fay un mot de response a la bonne madamoyselle des Crilles, puisqu'il vous plaist de l'envoyer.

            La petite chere filleule, comme je pense, a quelque ressentiment secret de l'amour que je luy ay, puisqu'elle [33] me cherit si fort. Dieu la rende si brave et si bonne que vous en ayes le contentement que vous en deves esperer.

            Je suis de tout mon cœur et sans fin,

                        Ma tres chere Fille,

                                               Vostre tres humble et tres affectionné

                                                           serviteur et compere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 15 juin 1613, a Neci. A Madame de Trevernay.

 

DCCCXCII. A une personne inconnue (Fragment). Oraison funèbre de la première des filles du Saint, qui alla voir au Ciel ce que Dieu préparait aux autres.

 

Annecy, [18-20] juin 1613.

 

            Madame de Chantal confia samedi a la terre le cors de la pauvre chere petite Seur Roget, fille tres [34] aymable, tres vertueuse et tres aymee dans sa Congregation, et l'esprit de laquelle, comme je croy, fut retiré au Ciel le jour precedent, car c'estoit une petite ame toute pure. Je luy conferay ses derniers Sacremens, mais je n'eus pas la consolation de la voir expirer; et certes, c'eust esté avec suavité que j'eusse receu les derniers souspirs de cette premiere de mes filles qui est allee voir au Ciel ce que Dieu reserve et prepare aux autres.

            Je vous prie de prier pour elle, encor que je croy qu'elle prie pour nous      

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastere

de la Visitation d'Annecy.

 

DCCCXCIII. A la Mère de Chantal (Fragment). Effusions et souhaits de piété à l'occasion de la fête de saint Jean-Baptiste. — Panégyrique du Précurseur.

 

Annecy, 23 ou 24 juin 1613-1614.

 

            Je prie Nostre Seigneur, qui est l'Aigneau que nostre grand saint Jean nous monstra, qu'il vous reveste toute de la tres sainte laine de ses merites, ma tres chere [35] Mere, ma Fille. O Dieu, quelle admirable pureté de cœur, quelle indifference a toutes choses en cet admirable ange humain, ou homme angelique, qui semble n'aymer quasi pas son Maistre pour l'aymer davantage et plus purement. Je ne sçay comme il eut le courage de demeurer en son desert apres qu'il y eut veu son Sauveur et qu'il l'eut veu s'en aller de la. Il continue neanmoins ses predications, et, d'une sainte dureté, il ne se laisse point vaincre a la tendreté et suavité de l'amour de la presence de son souverain Bien; mays, avec un amour austere, constant et fort, il le sert en absence pour son amour.

            Dieu et le grand saint Jean vous veuillent visiter en la douceur de leurs consolations, avec toutes nos filles.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

DCCCXCIV. A Madame d'Aiguebelette. Saint François de Sales n'est pas insensible aux petites marques d'une sainte amitié. — Le désir et les effets des vertus. — Bonnes nouvelles de Mme de Charmoisy.

 

Annecy, 24 juin 1613.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Ce m'a esté une lettre bien douce que celle que vous m'aves envoyee pour tesmoignage du contentement que vous avés de mon retour; car bien que je ne puisse jamais douter de vostre sainte amitié, si est ce que ces petites marques me sont aggreables. Vous aves tous-jours esté en ma memoire, mais sur tout es lieux pieux que j'ay visité. Maintenant que vous estes, comme vous [36] dites, en solitude, je vous prie, ayes bien reciproquement souvenance de moy, affin quil plaise a Nostre Seigneur me donner les effectz des vertus desquelles il m'a donné le desir.

            Je receu il y a trois jours une lettre de la petite cousine, qui a rencontré autant de bonheur dela, que son mari de rigueur par deça. Elle me prie fort particulierement de vous saluer de sa part, et je le fay en vous saluant moy mesme de la part de mon cœur qui vous souhaite mille et mille benedictions, comme fait Mme de Chantal.

            Je suis sans fin, tout parfaitement vostre.

                        Madame,

                                   Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le XXIV juin 1613.

                        A Madame d'Aiguebelette.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

DCCCXCV. A la Mère de Chantal. L'impatience de Celse-Bénigne en arrivant chez le Saint. — Recommandations de celui-ci à la Mère de Chantal ; charité et délicate discrétion de l'Evêque à l'égard de la mère et de son fils.

 

Annecy, fin juin ou commencement de juillet 1613.

 

            Ce sera moy, si je puis, qui le premier vous annonceray, ma tres chere Fille, l'arrivee du bienaymé Celse [37] Benine. Il vint hier au soir tout tard, et nous eusmes de la peyne a le retenir de vous aller voir dans le lit, ou vous esties toutes indubitablement.

            Que je suis marri de ne pouvoir estre tesmoin des caresses quil recevra d'une mere insensible a tout ce qui est de l'amour naturel, car je croy que ce seront des caresses terriblement mortifiees. Ah! non, ma chere Fille, ne soyés pas si cruelle. Tesmoignes luy du gré de sa venue, a ce pauvre jeune Celse Benine; il ne faut pas faire ainsy tout a coup, des si grans signes de cette mort de nostre naturelle passion.

            Or sus, je vous iray voir, si je puis, mays sobrement; car aupres d'un objet si aymable, nous ne sçaurions pas bonnement estre visibles.

Dieu soit nostre tout, car l'amitié descend plus qu'elle ne monte. Je me contenteray de ne cesser point de vous cherir autant comme ma fille, que vous le cherires comme vostre filz; et si, je vous desfie de faire mieux que moy ce mestier.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans. [38]

 

DCCCXCVI. A la Duchesse de Mercoeur (Inédite). Un grand Saint qui a vécu à la façon des anciens Evêques Envoi de ses reliques.

 

Annecy, 6 juillet 1613.

 

                        Madame,

            La commodité d'une si digne porteuse m'a donné le courage de vous presenter des reliques que j'ay aportees de Milan, du grand saint Charles Borrhomee, saint qui a vescu en ce mesm'aage auquel nous sommes, mais a la façon de ces anciens Evesques sous lesquels l'Eglise a tant fleuri. Je ne pouvois pas, ce me semble, vous offrir chose plus aggreable, Madame, ni qui tesmoignast mieux a Vostre Grandeur qu'en mon voyage j'ay eu memoire de recommander a la divine Majesté vos vœux et souhaitz par l'intercession de ce grand Serviteur de sa gloire.

            Ainsy, pour mille grandes obligations que j'ay, je veux continuer toute ma vie a reclamer la grace et Bonté caeleste sur vous, Madame, et demeurer invariablement,

                        Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            VI julliet 1613, a Neci.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Manaud, à Marseille. [39]

 

 

 

DCCCXCVII. A M. Claude de Blonay. Entremise charitable du Saint pour hâter la conclusion d'une alliance.

 

Annecy, 8 juillet 1613.

 

            Monsieur,

                        Autant que je puis connoistre, il m'est advis que vous pouves et deves venir, puysque monsieur d'Avise continue en sa parole et la damoyselle en la correspondance de son amour. Ell'est a la Thuille, ou nostre Jaques la va treuver, sinon que par fortune elle vint aujourdhui icy, ou ell'a envie de venir voir la ville avec madame de la Thuille et sa seur, sous praetexte neanmoins de voir la Visitation. [40]

 

            Vous sçaures toutes autres nouvelles par monsieur l'Abbé et par la lettre de Jaques, lequel est esperdument amoureux, et qui le voudroit ouïr, il seroit occupé jour et nuit au discours de sa passion. Je pense que quand plus tost la chose s'achevera, tout en ira mieux.

            Dieu nous soit a tous favorable. Je suis en luy,

                        Monsieur,

                                   Vostre plus humble tres affectionné confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

                        A Monsieur,

            Monsieur de Blonnay.

                                   A Sie.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais),

Archives de Blonay. [41]

 

DCCCXCVIII. A Madame de la Fléchère. Nouvelles, messages ; envoi de reliques de saint Charles Borromée.

 

Annecy, 8 juillet 1613.

 

                        Ma tres chere Fille,

            J'ay receu le livret ainsy que vous l'avés donné a cette bonne fille; je vous le rendray fort fidelement de la mesme sorte, car, nous en sommes fort resoulus, il ny a rien de reservé en nous que nous ne voulions estre pour sa divine Majesté.

            La bonne madame de Chantal part dans huit ou dix jours, pour terminer finalement toutes les affaires qu'elle peut jamais avoir en Bourgoigne. Je suis bien ayse qu'elle aille, soit pour revenir, soit aussi... Son filz est a la Thuille, mays qui reviendra aujourd'huy. M. de Blonnay est icy, qui y va voir sa maistresse, et je luy donneray vostre lettre pour la chere seur.

            Je n'ay pas eu loysir de voir nostre Visitation despuis vous, parce que M. d'Abondance ne fait que de partir tout maintenant, lequel a logé ceans.

            Je vous envoye encor des devotions de saint Charles; [42] les reliques sont de l'epoque que je vous dis. Et moy je suis incomparablement tout vostre, et

                                               Vostre plus humble, tres affectionné

                                                           compere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            8 julliet 1613.

            Je salue monsieur vostre cher mari et la voysine.

 

DCCCXCIX. Au Pere Pierre de Berulle, Oratorien. Le Saint recommande au Fondateur de l'Oratoire le porteur de la présente lettre, et le prie de l'agréer dans son Institut, pour ses rares qualités.

 

Annecy, 11 juillet 1613.

 

                        Monsieur,

            Ce porteur est un des plus doux, sinceres et purs espritz que j'aye rencontré il y a long tems; son affection au service de Dieu et de l'Eglise est grande. Son talent est fort sortable a cela, car il presche fort joliment et tres devotement. Des quelque tems en ça, il a esté inspiré de se retirer a l'abry de quelque Congregation, et la vostre luy est pour objet a cett'intention. Je l'accompaigne de ma supplication envers vous, affin qu'il [43] vous playse le recevoir avec cette charité qui vous a consacré au service de Dieu des vostre jeunesse et que je prie Dieu ne vous abandonner jamais.

            Ou je suis extremement trompé, ou vous treuveres un esprit aggreable en ce bon personnage, lequel vous recommandant derechef, et moy en vos saintz Sacrifices, je demeure sans fin…………………………………………………………………………………………………..

                        A Monsieur

            Monsieur de Berulle.

                                   A Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, au Carmel

de la rue Denfert-Rochereau.

 

CM. A M. Nicolas de Soulfour (Fragment). Affectueux intérêt de l'Evêque de Genève pour l'Oratoire. — Grands éloges d'un ami qui désirait entrer dans cette Congrégation.

 

Annecy, 11 juillet 1613.

 

            Vous m'eussies consolé, en passant a Chamberi, de me dire des nouvelles et particularités de la Congregation que j'affectionne et de laquelle la naissance me donne mille contentemens. Et cependant, Monsieur, voyla le sieur de N., mon grand amy, mays, ce qui importe, grand serviteur de Dieu, homme doux, gracieux, humble, fort sincere, fort gentil et devot praedicateur, [44] qui va offrir sa vie et son service a la Congrégation. Je l'ay recommandé a monsieur de Berulle, mais je le vous confie et a vostre Chapitre………………………………………………………………

            XI julliet 1613.

A Monsieur de Soulfour.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à Paris, Archives Nationales, M. 234.

 

 

 

CMI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d’Orbe. Une messagère qui vaut mieux que la meilleure lettre. — Témoignages de cordial dévouement.

 

Annecy, 16 juillet 1613.

 

                        Ma tres chere Seur, ma Fille,

            Ce billet n'est que pour vous advertir que nostre bonne seur de Chantal est la meilleure et plus grande lettre que je vous puisse envoyer, car elle vous peut dire toutes choses et parler de mon cœur envers vous comme du sien mesme. Elle me rapportera dedans le sien tout ce [45] que vous luy confierés. Je vous prie aussi de luy bien confier, car il y a si long tems que je ne voy rien de vostre cœur, que le mien en est mortifié.

            Croyés bien cette chere seur, sur tout quand elle vous asseurera que je suis plus parfaitement vostre que chose du monde, car je le suis en verité. Je ne prie point sans vous, je ne celebre point sans vous; et si, je ne le dis pas par vantance, car je m'y sens infiniment obligé.

            Je saluë toute vostre chere trouppe, toutes unies en Nostre Seigneur. Pour monsieur [de Sauzéa], je ne sçai s'il est la; je l'embrasse de cœur.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma tres chere et bienaymee Fille, a qui je suis tout dedié. Amen.

            Le 16 julliet 1613.

 

 

 

CMII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Requête du Saint en faveur de ses frères et de MM. de Charmoisy et du Noyret ; Dieu exige que le Duc leur rende justice.

 

Annecy, 19 juillet 1615.

 

                        Monseigneur,

            Je presente a Vostre Grandeur une requeste pour les fins de laquelle le Conseil de Genevois a renvoyés mes freres supplians a elle. La justice et bonté de Vostre Grandeur luy suggereront qu'elle ne nous peut esconduire en une si juste et civile supplication, qui ne tend qu'a nous conserver en sa bienveuillance. [46]

            J'attens de mesme, Monseigneur, la faveur quil vous pleut m'accorder pour les sieurs de Charmoysi et du Noyeret. C'estoit une faveur, mais si juste et raysonnable, que je ne puis croire que chose du monde me puisse priver du contentement que j'en praetens, ni ceux pour lesquelz je l'obtins, des fruitz que je leur en ay fait esperer.

            Vostre Grandeur, qui est bonne, juste et douce a chacun, ne me sera pas, sil luy plait, ni aspre, ni rigoureuse. Dieu, tout bon, tout juste et tout doux, exige par ses loix cette grace, cette justice, cette douceur de Vostre Grandeur, de laquelle il a voulu que je fusse,

            Monseigneur,

                                   Tres humble, tres obeissant, tres fidele

                                               serviteur et orateur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVIIII julliet 1613, a Neci.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lyon.

 

CMIII. Au Marquis de Lans. L'Evêque de Genève avise le gouverneur de Savoie de son retour de Gex, des intentions des Bernois à l'égard du désarmement et des divers déplacements du duc de Bellegarde.

 

Annecy, 31 juillet 1613.

 

                        Monsieur,

            Comme je vous donnay connoissance de ce petit voyage de Gex, aussi veux-je donner advis a Vostre [47] Excellence de mon retour, et qu'hier, environ les trois heures que j'en partis, je laissay le baillif de Nion et quelques autres Bernois qui vindrent prier monsieur le Grand de France de faire revenir ses trouppes, attendu qu'ilz estoyent asseurés que vous, Monsieur, ne desarmies point et que les trouppes piemontoises et espagnoles passoyent les mons. A quoy monsieur le Grand respondit quil les remercioit de l'advertissement, mays qu'avant que rien remuer, il attendroit M. d'Amanzé, quil avoit envoyé par deça aupres de Vostre Excellence, pour apprendre ce qui est du desarmement. Je n'estois pas present quand ceci se passa, mais je le sceu soudain.

            Au reste, il est impossible que ceux qui ont veu lhonneur et le respect que ce seigneur porte au nom de Son Altesse s'en puisse (sic) taire. Il a couché ce soir a Saint Claude, ce matin il y a fait ses Pasques, ce soir il couche a Chatillon; Dimanche il doit estre a Belley pour l'accommodement de quelque difficulté publique, et sa compaignie, qui estoit la derniere demeuree a Gex, se retire du costé de Bourgoigne. [48]

            Je prie Nostre Seigneur quil comble Vostre Excellence de toutes benedictions, et suis,

            Monsieur,

                        Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le dernier julliet 1613.

            Monsieur, et quant au sujet de mon voyage, nos ecclesiastiques et catholiques sont demeurés consolés par l'accommodement que nous avons fait de toutes les difficultés suscitees par nos adversaires, graces a Dieu.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Bracq,

à Mont-Saint-Amand (Belgique).

 

 

 

CMIV. A la Mère de Chantal. Le bon plaisir de Dieu. — Les déserts et les fertiles campagnes de la vie spirituelle. — Pourquoi le Saint ne voulait pas d'abord et voulut ensuite que la Mère de Chantal fût «abeille».

 

Annecy, 12 août 1613.

 

            Haussons nostre cœur, ma tres chere Mere, voyons [49] celuy de Dieu, tout bon, tout amiable pour nous; adorons et benissons toutes ses volontés: qu'elles tranchent, qu'elles taillent sur nous par tout ou il luy plaira, car nous sommes siens eternellement. Vous verres bien que, parmi tant de destours, nous ferons prou et que Nostre Seigneur nous conduira par les desertz a sa sainte terre de promission, et que de tems en tems il nous donnera dequoy priser les desertz plus que les fertiles campaignes, dans lesquelles les blés croissent en leurs saisons, mais la manne pourtant n'y tombe pas.

            Mon Dieu, ma tres chere Mere, quand vous m'escrivistes que vous esties une pauvre abeille, je pensay que je ne le voudrois pas tandis que vos secheresses et afflictions interieures durent; car ce petit animal, qui en santé est si diligent et pressant, perd le cœur et demeure sans rien faire tout aussi tost qu'il est malade. Mais despuis, je changeay de souhait et dis: Ah! ouy, je le veux bien que ma Mere soit abeille, mesme quand elle sera en travail spirituel; car ce petit animal n'a point d'autre remede de soy mesme en ses maladies, que de s'exposer au soleil et attendre de la chaleur et de la guerison de sa lumiere. O Dieu, ma Fille, mettons nous ainsy devant nostre Soleil crucifié, et puis disons luy: O beau Soleil des cœurs, vous vivifiés tout par les rayons de vostre bonté; nous voyci mi mortz devant vous, d'ou nous ne bougerons point que vostre chaleur ne nous avive, Seigneur Jesus.

            Ma chere Fille, la mort est une vie, quand elle se fait devant Dieu. Appuyés vostre esprit sur la pierre qui estoit representee par celle que Jacob avoit sous sa teste quand il vit sa belle eschelle, car c'est celle la mesme sur laquelle saint Jean l'Evangeliste se reposa au jour de l'exces de la charité de son Maistre Jesus. Nostre cœur, et le cœur de nostre cœur veillera amoureusement sur vous. [50]

            Demeurés en paix. Dieu soit a jamais au milieu de nostre cœur; qu'a jamais il le rende plus uniquement sien. Vive Jesus! Amen, amen.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 12 aoust 1613.

CMV. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Eveque de Belley. Excuses pour une réponse tardive. — Mgr Camus ayant écrit au Saint qu'il désirait se démettre de sa charge, celui-ci l'engage discrètement à n'en rien faire. — Il est prié de s'intéresser à l'honneur d'une famille. — Mort de Mgr de Villars, archevêque de Vienne.

 

Annecy, 14 août 1613.

 

                        Monseigneur,

            Il y a environ un moys seulement que je receu la lettre qu'il vous pleust de m'escrire le second du moys de julliet; despuis, j'ay tous-jours esté ou en voyage ou malade, et n'ay sceu vous rendre la response que vous desiriés, ou, pour mieux dire, la response que vous ne desiriés pas, si j'ay bien sceu connoistre l'inclination en laquelle vous esties lhors que vous me fistes la faveur de m'escrire.

            Maintenant, vous pouves penser si je puis bien satisfaire a vostre demande, puysqu'a la foiblesse ordinaire de mon esprit, l'extraordinaire de mon cors, accablé des lassitudes que la fievre m'a laissees, apporte un nouveau [51] surcroist d'imbecillite. Mays un si bon entendeur comme vous estes, verra asses mon intention, quoy que mal estallee.

             (*) Prima Propositio. Velle deponere onus episcopale ob causas rationi congruas, non modo nullum est peccatum, sed etiam actio est virtutis, vel modestiae, vel humilitatis, vel justitiae, vel charitatis.

            2a Propositio. Is censetur rationibus veris moveri ad episcopatum deponendum, qui bona fide suum de se judicium suum de deponendo episcopatu, desiderium suasque denique quibus nititur rationes, vel consilio prudentium, vel saltem judicio superiorum paratus est submittere, ac in utramque partem eadem alacritate suum obsequium conferre.

            3a Propositio. Quamvis cogitatio desideriumve episcopatum deserendi, eo quo licet modo, nullum sit peccatum, plerumque tamen non caret hujusmodi propositum magna tentatione acceditque frequentissime daemonum opera. Ratio est, quia dum in procuranda oneris depositione [52] tempus impenditur, vix ac ne vix quidem satis in eo sustinendo satis operae insumitur; ut qui de repudianda uxore cogitat, vix interim de ea recte diligenda sollicitus est. Satius ergo fuerit, seipsum ad meliorem navandam operam deinceps excitare, quam quia tibi non videris recte hactenus navasse, omnem operam velle abjicere. Porro, melius est levare oculos in montes, unde veniat auxilium nobis, et sperare in Domino libenterque gloriari in infirmitatibus nostris, ut inhabitet in nobis virtus Christi, quam morefiliorum Ephrem, converti retrorsum in die belli. Qui enim confidunt in Domino, assument pennas velut aquilae, volabunt et non deficient; deficientes autem, quemadmodum fumus deficient, et qui ad sarcinas formidolosus revertitur, otium quidem habet, sed non majorem quam qui praeliatur securitatem.

            4a Propositio. Videor mihi audire Christum dicentem: Simon Joannis, aut Petre Joannes, diligis me? Petrumque Joannem respondentem: Tu scis quia amo te. Tum demum, Dominum graviter praecipientem: Pasce [53] oves meas. Nulla major probatio dilectionis, quam exhibitio hujus operis.

 

 

 

             (*)Première proposition. Vouloir se démettre de la charge épiscopale pour des motifs raisonnables, non seulement ne constitue aucun péché, mais c'est même un acte de vertu, ou de modestie, ou d'humilité, ou de justice, ou de charité.

            Deuxième proposition. Celui-là est censé s'inspirer de raisons sérieuses, qui, de bonne foi, est prêt à soumettre, soit au conseil d'hommes sages, soit du moins à l'appréciation des supérieurs, son avis personnel sur le fait de quitter l'épiscopat, son désir et les raisons de ce désir, et qui, en même temps, est disposé à se ranger avec une égale promptitude au pour et au contre.

            Troisième proposition. Si la pensée ou le désir de quitter l'épiscopat ne constitue aucune faute, dans le sens que je viens de dire, un tel projet, la plupart du temps, n'est pas sans une grave tentation et, très fréquemment, le démon y a sa part. Et voici pourquoi: tandis [52] que l'on dépense du temps à se défaire du fardeau, c'est à peine, c'est à grand peine si l'on prend assez de sollicitude pour le soutenir. Tel un homme qui songe à répudier sa femme; il ne s'inquiétera pas, en attendant, de l'aimer comme il devrait. Donc, s'exciter à mieux remplir sa tâche, puisqu'il vous semble ne l'avoir pas fait exactement jusqu'à ce jour, c'est bien mieux que de l'abandonner tout à fait. Oui, lever les yeux vers les montagnes, d'où nous viendra le secours, espérer dans le Seigneur et nous glorifier volontiers dans nos infirmités pour que la vertu du Christ habite en nous, c'est bien mieux que de retourner en arrière au jour du combat, comme les enfants d'Ephrem. Car ceux qui se confient dans le Seigneur prendront des ailes comme l'aigle; ils voleront et ne defailliront pas; ceux au contraire qui perdent courage, s'évanouiront comme la fumée. Le soldat qui décampe tout tremblant, trouve sans doute le repos, mais pas autant de sécurité que celui qui combat.

            Quatrième proposition. Il me semble entendre le Christ dire: Simon, fils de Jean, ou Pierre-Jean, m'aimes-tu? et Pierre-Jean répondre: Vous savez que je vous aime. Et le Seigneur de lui commander alors d'un [53] ton grave: Pais mes brebis. Il n'y a point de meilleure preuve d'amour que de vous acquitter de ce ministère.

 

            Au demeurant, une jeune fille de Chamberi s'estant laissee porter trop avant en l'amour d'un jeun' homme de vostre ville, et se desfiant que les pere et mere d'iceluy n'apportent quelque difficulte au mariage necessaire pour couvrir son honneur et pour accomplir les mutuelles promesses sous lesquelles elle proteste d'avoir encouru le hazard de sa reputation, elle m'a fait prier d'interceder vers vous, Monseigneur, affin qu'il vous playse d'employer vostre charite vers lesditz pere et mere du jeune homme, pour les disposer a consentir a un' honnorable conclusion de l'amour d'iceluy et d'elle; attendu mesmes qu'ell' est d'une parentee fort recommandable, fille de la seur de monsieur Boursier, ancien secretaire d'Estat de Son Altesse. Ce gentilhomme, son cousin germain, vous desduira mieux que je ne vous sçaurois escrire ses intentions, lesquelles estant bonnes et raysonnables a [54] mon advis, je ne fay nulle difficulte de vous supplier de rechef de les avoir en recommandation, et moy sur tout en vos saintz Sacrifices, puysque je suis plus que nul homme du monde,

            Monseigneur,

                                                                       Vostre tres humble et tres obeissant

                                                                                              frere et serviteur.

            A Neci, le 14 aoust 1613.

            Helas! Monseigneur, on m'advertit que le grand ancien Archevesque de Vienne est trespasse: De medio terræ sublatus est justus, justus vivat et requiescat, et pro illo alius superveniat.

            Je me res-joüis de la reciproque consolation que vous et monsieur le Grand aures euë en vostre entreveuë.

 

 

 

CMVI — Au Duc de Bellegarde. L'Evêque annonce à son pénitent l'envoi d'une méthode pour examiner sa conscience. — Exhortation à la vie chrétienne. — La vie éternelle. — Obligation de réparer le passé. — Le plus vif de tous les amours. — Quelques exercices recommandés. — Un moyen de se convertir plus parfaitement au Sauveur. — La toute-puissance de l'Eucharistie et l'expérience du Saint.

 

Annecy, 24 août 1613.

 

                        Monsieur,

            Parmi les lassitudes et autres ressentimens que la maladie m'a laysse, j'ay dresse le Memorial qu'il vous [55] avoit pleu desirer de moy, et ay voulu y adjouster un abbrege, affin qu'il vous fust plus commode en vos confessions de le porter et voir, le grand vous demeurant comme en reserve pour y avoir recours en vos difficultes et en tirer l'esclarcissement de ce qui se treuveroit obscur en l'abbrege. Le tout est a la bonne foy, sans art ni couleur; car ces matieres n'en veulent point, la simplicite leur servant de beaute, comme a Dieu qui en est l'autheur. Vous y treuveres, Monsieur, des marques de ma maladie; car si j'eusse fait ce petit ouvrage en pleine sante, j'eusse sans doute employe un soin plus exacte de le rendre moins indigne de vostre reception. Je n'ay sceu non plus l'escrire moy mesme, mais ceux qui l'ont escrit n'ont point de connoissance de l'usage auquel je l'ay dedie.

            Beni soit Dieu eternellement de la bonte qu'il exerce envers vostre ame, Monsieur, l'inspirant si puissamment a la resolution de consacrer le reste de vostre vie mortelle au service de l'eternelle: vie eternelle qui n'est autre chose que la Divinite mesme, entant qu'elle vivifiera nos espritz de sa gloire et felicite; vie, seule vraye vie et pour laquelle seule nous devons vivre en ce monde, puisque toute vie qui n'aboutit pas a la vitale eternite est plustost une mort qu'une vie. Mais, Monsieur, si Dieu vous a si amiablement inspire d'aspirer a l'eternite de la gloire, il vous a quant et quant oblige a recueillir humblement et prattiquer soigneusement son inspiration, sous peyne d'estre prive de cette grace et gloire; privation laquelle, a l'ouyr nommer seulement, remplit le coeur d'effroy, pour peu qu'il ayt de courage.

            C'est pourquoy, en la simplicite de mon ame, je vous conjure, Monsieur, d'estre fort attentif pour bien conserver ce que vous aves, affin que vous ne perdies point vostre couronne. Vous estes indubitablement appelle a une devotion masle, courageuse, vaillante, invariable, [56] pour servir de miroüer a plusieurs en faveur de la verité de l'amour celeste; digne reparation des fautes passees, si jamais vous l'avies esté de la vanité des amours terrestres.

            Voyés, je vous supplie, Monsieur, comme je laysse aller mon esprit en liberté autour du vostre, et comme ce nom de pere dont il vous a pleu m'honnorer, m'emporte. C'est qu'il est entré dedans mon cœur, et mes affections se sont rangees aux loix de l'amour qu'il signifie, le plus grand, le plus vif, le plus fort de tous les amours. En suite duquel il faut que je vous supplie de rechef, Monsieur, de prattiquer diligemment les exercices que je marque es chapitres X, XI, XII et XIII de la seconde Partie de l'Introduction, pour le mattin et le soir, pour la retraitte spirituelle et pour les aspirations en Dieu. La bonté de vostre esprit, le courage noble que Dieu vous a donné, vous serviront grandement a cette prattique-la, laquelle vous sera d'autant plus aysee qu'il n'est besoin d'y employer que des momens desrobbés, ains retirés justement, en diverses occasions, ça et la, sur les autres affaires. La dixiesme partie d'une heure, voire encores moins, suffira pour le mattin, et autant pour le soir.

            Oh! si vous pouviés doucement decevoir vostre chere ame, Monsieur, et en lieu que vous aves entrepris de communier tous les moys un an durant (mais un an de douze moys), quand vous auries achevé le douziesme vous y adjoustassiés le treiziesme, puis le quatorziesme, puis le quinziesme, et que vous allassiés ainsy poursuivant de moys en moys, quel bonheur a vostre cœur, qui, a mesure qu'il recevroit plus souvent son Sauveur, se convertiroit aussi plus parfaitement en luy. Et cela, Monsieur, se pourroit bravement faire sans bruit, sans interest des affaires et sans que le monde eust rien a dire. L'experience m'a fait toucher, en vingt et cinq ans qu'il y a que je sers les ames, la toute puissante [57] vertu de ce divin Sacrement pour fortifier les cœurs au bien, les exempter du mal, les consoler, et en un mot les diviniser en ce monde, pourveu qu'il soit hanté avec la foy, la pureté et la devotion convenables.

            Mais c'est asses dit, Monsieur; l'influence celeste, vostre bon Ange et vostre generosité suppleeront a ce que mon insuffisance ne me permet pas de vous proposer. Ainsy prie je Nostre Seigneur qu'il vous face de plus en plus abonder en ses faveurs, et suis sans fin,

            Monsieur,

                                               Vostre tres humble et fidele serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 24 aoust 1613.

 

 

 

CMVII. A la Mère de Chantal. Avis pour la dernière étape. — Souhaits affectueux de bienvenue à la voyageuse.

 

Annecy, vers le 23 décembre 1611, ou fin août 1613.

 

            Non, ma tres chere Fille, je ne suis plus en peyne de l'accident d'avant hier, car j'espere que vous en voyla [58] quitte pour ce coup, moyennant la grace de Nostre Seigneur, a la sainte providence duquel je remetz ma tres unique fille comme moymesme. O Dieu, Seigneur Jesus, pour qui seul je desire nostre vie, et a qui je me resigne pour nostre mort, vostre volonte soit faite!

            Je veux bien que vous venies demain, si vous vous treuves asses forte, et croyes que si vous aves envie de me voir, je n'en ay pas moins de vous regarder. Mays donques, disnes de bonn'heure, plustost a neuf qu'a dix, affin que vous puissies vous reposer quattr'heures avant que.monter a cheval. Je prie la Vierge Marie qu'elle vous tienne en la protection de sa pitoyable maternite, et vostre bon Ange et le mien, quil (sic) soyent vos conducteurs, affin que vous arrivies en prosperite entre les accueilz de ce pauvre tres unique pere et de vos cheres filles, qui tous vous attendrons (sic) avec mille souhaitz, et particulierement moy qui vous suis en Nostre Seigneur ne plus ne moins que vous mesme.

            Vive Jesus! Amen.

                        A Madame

Madame la Baronne de Chantal m. f. (ma fille).

 

Revu sur 1'Autographe conserve au presbytere de Trinquetaille (Bouches-du-Rhône). [59]

 

CMVIII. A M. Amé de Montfort (Inédite). Assistance et conseils du Saint dans des affaires de famille.

 

Annecy, [vers septembre 1613.]

 

                        Monsieur mon Cousin,

            J'escriray un memoyre court, mais qui vous sera, comme je pense, utile; bien qu'hier je dis a monsieur Ouvrier mon advis clairement, par le moyen duquel il aura changé d'opinion, mesme quil emporta un des livres qui faysoyent a ce propos. Vous aures, Dieu aydant, tout ce que je pourray, pour le tems que vous me marqués, [60] et demeureray plein [du] desir de vous tesmoigner que c'est de tout mon cœur que je suis,

            Monsieur mon Cousin,

                                   Vostre serviteur et cousin tres affectionné,

                                                                       tres humble,

                                                                                              FRANҪS, E. de Geneve.

            La lettre que j'escrivis l'autre jour a madame ma Cousine fut laissee sur la table.

            A Monsieur

Monsieur de Monfort.

 

Revu sur un fac-simile de l'Autographe, conservé au Ier Monastère de la Visitation de Paris.

 

CMIX. A la Mère de Chantal. Ce que le Saint voulait éviter en retardant l'oblation de la Sœur Humbert. — Une course à Sainte-Catherine.

 

Annecy, [commencement de septembre] 1613.

 

            La lettre est arrivee asses tost, car je n'envoyeray les miennes que demain, n'ayant sceu gaigner de les faire hier ni ce mattin. Mon sentiment a moy est que si on retarde l'oblation de ma Seur Humbert directement, on la mettra au hazard d'un grand decouragement, et ses [61] parens d'un grand murmurement, car ilz croiront que c'est parce qu'ilz donnent chichement la dote de cette fille. Mays on pourra indirectement differer, sur ce que sa dote et les autres choses requises ne sont pas encor prestes, et on pourra les retarder par divers moyens; et pendant ce retardement, on taschera de donner ayde a son esprit pour le mieux disposer. Mais nous en parlerons au premier jour plus au long.

            Je m'en vay confesser un homme estranger, dire la Messe, desjeuner et monter le plus tost que je pourray a Sainte Catherine, pour revenir de bonn'heure.

            Bon jour, ma tres chere Mere, que je cheris toute comme moymesme, es entrailles de Nostre Seigneur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mgr Duc, Evêque démissionnaire d'Aoste.

 

CMX. A la Présidente Brulart. Le retour offensif des ennemis qu'on croyait vaincus nous apprend deux leçons. — Avantages des tribulations. — Comment pratiquer l'oraison mentale et y suppléer lorsqu'on ne peut la faire longue.

 

Annecy, [commencement de septembre 1613.]

 

            Il y a un mois, ma tres chere Seur, que je fus saysi d'une fievre, laquelle m'a presque tous-jours occupé [62] jusques a present, et tandis, j'ay receu trois de vos lettres par diverses voyes. Sur tout, il y en a une qui m'a esté d'extreme consolation, y voyant les marques de la parfaite confiance que vous aves en moy, par la communication des accidens et troubles de vostre chere ame. Or c'est la verité, que je n'entens pas si asseurement ce que vous me dites, que je n'aye quelque sorte de doute de me tromper; neanmoins il m'est advis que je vous entens suffisamment pour vous respondre.

            Voyés-vous, ma tres chere Seur, il arrive maintes fois que pensans estre entierement desfaitz des ennemis anciens sur lesquelz nous avons jadis remporté la victoire, nous les voyons venir d'un autre costé dont nous les attendions le moins. Helas! cet unique sage du monde, Salomon, qui avoit tant fait de merveilles en sa jeunesse, se tenant fort asseuré de la longueur de sa vertu et de la confiance de ses annees passees, lhors qu'il sembloit estre hors des escalades, il fut surpris de l'ennemi qu'il avoit le moins a craindre, selon le cours ordinaire. C'est pour nous apprendre deux leçons signalees: l'une, que nous nous devons tous-jours desfier de nous mesme, cheminer en une sainte crainte, requerir continuellement les secours du Ciel, vivre en humble devotion; l'autre, que nos ennemis peuvent estre repoussés, mais non pas tués. Ilz nous laissent quelquefois en paix, mais c'est pour nous faire une plus forte guerre.

            Mais avec cela, ma tres chere Seur, il ne faut nullement que vous vous descouragies, ains qu'avec une paisible vaillance vous prenies le loysir et le soin de guerir vostre chere ame du mal qu'elle pourroit avoir receu par ces [63] attaques, vous humiliant profondement devant Nostre Seigneur et ne vous estonnant nullement de vostre misere. Certes, aussi seroit-ce chose digne d'estonnement que nous ne fussions pas sujetz aux attaques et miseres.

            Ces petites secousses, ma chere Seur, nous font revenir a nous, considerer nostre fragilité, et recourir plus vivement a nostre Protecteur. Saint Pierre marchoit fort asseuré sur les ondes: le vent s'esleve et les vagues semblent l'engloutir; alhors il s'escrie: Ah, Seigneur, sauvés-moy! et Nostre Seigneur l'empoignant: Homme de peu de foy, luy dit-il, pourquoy doutes-tu? C'est emmi les troubles de nos passions, les vens et les orages des tentations, que nous reclamons le Sauveur, car il ne permet que nous soyons agités que pour nous provoquer a l'invoquer plus ardamment.

            En somme, ne vous faschés point, ou au moins ne vous troublés point dequoy vous aves esté troublee, ne vous esbranlés point dequoy vous aves esté esbranlee, ne vous inquietés point dequoy vous aves esté inquietee par ces passions fascheuses; mais reprenés vostre cœur et le remettés doucement entre les mains de Nostre Seigneur, le suppliant qu'il le guerisse. Et de vostre costé, faites aussi tout ce que vous pourres, par renouvellement de resolutions, par la lecture des livres propres a cette guerison et autres moyens convenables; et ainsy faysant, vous gaigneres beaucoup en vostre perte et demeureres plus saine par vostre maladie.

             Ma tres chere Fille, puisque vostre grossesse vous incommode beaucoup a faire l'orayson mentale longue et ordinaire, faites-la courte et vive. Reparés ce defaut par les frequens eslancemens de vostre cœur en Dieu, lisés souvent et peu a la fois quelque livre bien spirituel, faites des bonnes pensees en vous promenant, priés peu et souvent, offrés vos langueurs et lassitudes a Nostre Seigneur crucifié; et quand vous seres delivree, reprenés tout bellement vostre train et assujettissés-vous a suivre les matieres de quelque livre propre a cela, affin que [64] venant l'heure de l'orayson, vous ne demeuries pas esperduë comme celuy qui a l'heure du disner n'a rien de prest. Que si quelquefois le livre vous manque, faites vostre orayson dessus quelque mystere fertile, comme sont ceux de la Mort et Passion, le premier qui se presentera a vostre esprit.

 

 

 

CMXI. A Madame de Peyzieu (Inédite). Témoignage de constant souvenir. — Félicitations sur la vocation apostolique d'un des fils de la destinataire.

 

Annecy, 6 septembre 1613.

 

                        Madame ma tres chere Mere,

            Ce porteur est trop fidele pour le laisser partir sans que je luy donne ces quatre motz qui vous asseureront, sil vous plait, de la continuelle souvenance que j'ay de mon devoir filial envers une si bonne mere comme vous m'estes. Que fusse je autant utile a vostre service comme je suis dedié a vostr' honneur! Au moins n'oublie-je pas de vous souhaiter souvent la paix et consolation celeste pour le bonheur de vostre vie, que Dieu face longue, au milieu de ces chers enfans et des enfans de vos enfans quil vous fait voir.

            J'y comprens encor nostre monsieur de Selignieu, lequel, plus il est esloigné de cors, plus nous le voyons souvent en esprit. Qu'il est heureux, ce cher frere, d'avoir [65] quitté ce monde de deça, dans lequel il estoit né, pour en conquerir un nouveau et y faire naistre plusieurs ames a Dieu! Madame ma tres chere Mere, je m'en res-jouis avec vous, et suis sans fin

                                                           Vostre plus humble filz et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 6 septembre 1613, a Neci.

                        A Madame

            Madame de Pezieu.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise de Mailly,

au château de La Roche-Mailly (Sarthe). [66]

 

 

 

CMXII. A Madame de la Fléchère. L'Introduction à la Vie devote et la perfection. — Un bon remède à l'infidélité envers Dieu. — Ne pas subtiliser, ne pas picoter sur sa conscience. — Souhaits spirituels.

 

Annecy, 12 septembre 1613.

 

            J'ay vrayement esté malade, ma tres chere Fille, et bien malade, mais sans peril. Qu'eussies-vous fait de plus, sçachant le mal que j'avois? car, comme je voy, vous pries tous-jours Nostre Seigneur-pour moy, qui reciproquement ne manque jamais a vous faire part des chetifves oraysons et de la tressainte Messe que je celebre. Je vay encor un peu traisnant, et ne suis pas si parfaitement remis que je ne porte les marques du mal passé; je le suis toutesfois assez pour faire mes exercices ordinaires.

            Tenés ferme, ma chere Fille, entreprenés d'estre parfaitement, le plus que vous pourres, servante de Dieu, selon les advis du livre; car ce sera bien suffisamment pour attirer plus de perfection encor que je n'en ay pas sceu enseigner. Ayés soin de la douceur. Je ne vous dis pas que vous aymies ce que vous deves aymer, car je sçai que vous le faites; mais je vous dis que vous soyes esgale, patiente et douce. Reprimés les saillies de vostre naturel un peu trop vif et ardant. [67]

            Je ne sçai quel mescontentement vous pouves avoir de vos confessions, car vous les faites tres bien. Or sus, demeurés en paix devant Nostre Seigneur, qui vous ayme il y a si long tems, vous donnant sa tres sainte crainte et le desir de son amour. Que si vous n'aves pas bien correspondu jusques a present, il y a bon remede, car il faut bien correspondre d'ores-en-avant. Vos miseres et infirmités ne vous doivent pas estonner: Dieu en a bien veu d'autres, et sa misericorde ne rejette pas les miserables, ains s'exerce a leur faire du bien, faysant le siege de sa gloire sur leur abjection.

            Je voudrois avoir un bon marteau pour esmousser la pointe de vostre esprit, qui est trop subtil es pensees de vostre advancement. Je vous ay dit si souvent qu'il faut aller a la bonne foy en la devotion, et, comme l'on dit, a la grosse mode. Si vous faites bien, loués en Dieu; si vous faites mal, humiliés-vous. Je sçai bien que de faire mal de guet a pens vous ne le voules pas; les autres maux ne servent qu'a nous humilier. Ne craignés donq plus, et ne soyés plus a picoter sur vostre chere conscience; car vous sçaves trop bien qu'apres vos diligences, il ne vous reste plus rien a faire autour de luy, qu'a reclamer son amour, qui ne desire de vous que le vostre.

            Faites ainsy, ma tres chere Fille, et cultivés soigneusement la douceur et humilité interieure. Je fay incessamment mille souhaitz de benediction sur vous; et sur tout, que vous soyes humble, douce et toute succree, et que vous facies proffit de vos peynes, les acceptant amoureusement pour l'amour de Celuy qui, pour l'amour de vous, en a tant souffert.

            Je suis, ma tres chere Fille, en luy,

                                                           Tres affectionné, tout vostre,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 12 septembre.... [68]

 

CMXIII. A Monseigneur Antoine de Revol, Evêque de Dol. Un regret et une tentation du Saint. — Les serpents et le charmeur. — Comment Dieu récompensera «la sainte inutilité» apparente des missionnaires du bailliage de Gex.

 

Annecy, 12 septembre 1613.

 

                        Monsieur,

            Je regrette que vous et monsieur de N. soyes a Paris pour un si fascheux exercice; mais puisqu'il n'y a remede, il faut en adoucir la peyne par la patience. Et moy je suis, Monsieur, en un continuel tracas que la [69] varieté des affaires de ce diocese me produit incessamment, sans que j'aye un seul jour auquel je puisse voir mes pauvres livres, que j'ay tant aymés quelquefois et que je n'ose plus aymer maintenant, de crainte que le divorce auquel je suis tombé contre eux ne me fust plus aspre et ennuyeux.

            Nous avons bien un petit quartier ou, despuis peu, on a restabli l'exercice de l'Eglise par l'authorité du Roy et selon l'edit de Nantes; mais cet exercice me met plus en exercice de disputer contre les ministres pour les biens temporelz de l'Eglise qu'ilz nous retenoyent, que de leur persuader, ni au peuple, la verité des biens spirituelz auxquelz ilz devroyent aspirer; car c'est merveille comme ces serpens bouchent leurs oreilles pour n'ouÿr point la voix du charmeur, pour sagement et saintement qu'on les veuille charmer. Il y a la, nombre suffisant de fort bons pasteurs et de bons Peres Capucins qui, n'estans point ouÿs des hommes, sont veus de Dieu, lequel sans doute aggree bien leur sainte inutilité presente, laquelle il recompensera par apres d'une moisson plantureuse, et s'ilz sement en pleurs, recueilleront en joÿe.

            C'est bien asses, Monsieur, vous avoir entretenu pour ce renouvellement de nostre commerce, que je veux, Dieu [70] aydant, continuer, et ne point cesser de vous ramentevoir souvent que je suis invariablement,

            Monsieur,

                        Vostre tres humble et tres obeissant, indigne frere

                                               et serviteur inutile,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            De Neci, ce 12 septembre 1613.

 

 

 

CMXIV. A M. Louis Girod, Curé d'Arlod (Inédite). Le monastère des Ciarisses d'Annecy menaçant ruine, l'Evêque de Genève invite chacun de ses diocésains à faire quelque aumône à cette intention.

 

Annecy, 13 septembre 1613.

                        Monsieur le Curé,

            Voyant l'extreme indigence que les Dames de Sainte Claire de cette ville ont d'estre secourues promptement pour empecher une totale ruyne des bastimens de leur monastere, ce qui ne se peut faire qu'avec une grande somme de deniers, laquelle ne peut estre tiree d'une seule bourse, j'ay advisé de faire inviter, tant les gens d'Eglise que les peuples, de contribuer a cett' intention, un chacun selon ses facultés et devotion, quelqu'aumosne [71] et liberalité. A quoy m'assurant vous appourteres tout' aide et faveur, je me remetz pour le reste a ce qui vous sera representé par le sieur Surveillant, auquel j'ay envoyé l'ordre que je desire estre tenu.

            Atant, je me recommande a voz oraisons et suis,

                        Monsieur le Curé,

                                                                       Vostre humble et tres affectionné confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Anecy, le XIII septembre 1613.

                        A Monsieur

Monsieur le Curé d'Arloud.

 

Revu sur l'original conservé au presbytère d'Arlod (Ain).

 

 

 

CMXV. A la Mère de Chantal (Fragment). Un songe de la Sœur de Blonay proposé au Saint ; sa réponse. — Les «veritables marques des veritables graces surnaturelles.»

 

Annecy, [vers le 15] septembre 1613.

 

            Quand ma mauvaise jambe me le permettra, j'iray [72] voir la bonne santé et le bon cœur de nostre chere cadette. Si ces pauvres qui luy ont parlé sont de la terre ou du Ciel, je ne sçai, Dieu le sçait; mais je sçai bien qu'ilz luy ont parlé le langage de Jesus Christ et de saint Jean escrivant aux Evesques d'Ephese, de Smyrne, de Pergame, de Thyatire, de Sardes, de Philadelphie et de Laodicee.

            Dites a cette chere fille qu'elle n'examine point curieusement le songe qu'elle a fait, mais qu'elle prouffite soigneusement et humblement de sa santé de cœur et de cors pour le service et la gloire de Dieu. L'humilité et la fidelité interieure, jointes a la vraye charité et constance au bien, sont les veritables marques des veritables graces surnaturelles. [73]

 

CMXVI. A Madame de Peyzieu (Inédite). Le Saint demande à la destinataire de favoriser de sa recommandation un proche parent. — La raison et le droit en ce temps-là.

 

Annecy, 21 septembre 1613.

 

                        Madame ma Mere,

            Vous ayant envoyé mon frere pour vous ramentevoir mon obeissance et service, je ne pensoys pas vous faire presenter si tost de mes lettres. Mays monsieur de Monfort Mionnaz, mon proche parent, me vient conjurer d'interceder vers vous, sachant lhonneur que j'ay en vostre bienveuillance, affin quil vous playse le favoriser de vostre recommandation en un mauvais proces quil a a Vienne, ou il sçait que monsieur vostre frere a du pouvoir. Si je ne suis extremement trompé, la rayson et le droit sont de son costé, mays et la rayson et le droit ont bon besoin d'estre appuyés pour ne point descheoir en ce tems. C'est pourquoy je ne fais point de difficulté de vous supplier de rendre messieurs vos freres favorables a ce gentilhomme que j'affectionne beaucoup [74] et pour ses qualités et pour le proche parentage que j'ay avec luy.

            J'escris ainsy vistement, et vous asseure que je ne veux ceder a personne en la fidelité que je vous ay dediee, en qualité,

            Madame ma tres chere Mere, de

                                                                       Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XXI septembre 1613, a Neci.

                        A Madame

             [Madame de] Pezieu.

                        A Tuey.

Recommandee a monsieur Rosetain.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise de Mailly,

au château de la Roche-Mailly (Sarthe).

 

CMXVII. A la Soeur Favre, Religieuse de la Visitation (Fragment inédit). Pourquoi les âmes religieuses sont heureuses. — Une correspondante trop discrète.

 

Annecy, [vers le 22] septembre 1613.

 

            Passé deux heures, Mad……venir, puis quil luy……..et en attendant je vay……….. [75] dont je suis en souci ce cet accident. Nous sommes [bienheureux] d'avoir un Espoux immortel.

            La playe de ma jambe s'est voirement agrandie, mais elle ne laisse pas d'estre plus douce et s'en va tout a fait guerie dans cinq ou six jours, comme j'espere.

            Or sus, ma tres chere Fille, ne faites pas tant la discrette, sous pretexte du respect que vous me voules porter, que vous ne m'escrivies tous-jours quand vostre cœur le treuvera bon; car je vous asseure que le mien le treuvera tous-jours encor meilleur. Dieu………………………………….

[ma Fille] bienaymee.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nevers.

 

 

 

CMXVIII. A la Soeur de Bréchard, Religieuse de la Visitation. Un service de charité aimablement refusé. — Les «pauvres gens» servis comme frères et membres de Jésus-Christ, plus heureux que le «pauvre pere.» — Espérance qui consolait celui-ci de ne voir pas à son gré ses filles de la Visitation.

 

Annecy, [27 ou 28] septembre 1613.

 

            Vous me rendries certes trop aymable le mal de cette jambe, ma tres chere Fille bienaymee, si a l'occasion d'iceluy vous me venies voir et que vous me traittassies. Certes, j'aymerois bien ce mal qui, estant si petit, m'apporteroit tant de consolation; je n'en voudrois vrayement jamais guerir a ce conte, non pas mesme quand ma Mere seroit venue et qu'elle vous auroit amenee avec elle.

            Mays, ma tres chere Fille, comme vous sçaves, cela [76] ne doit pas estre ainsy, car encor que l'innocence de ces cœurs de pere et de fille n'ayent pas besoin en leur candeur de tant de retenue, si est ce qu'il faut souffrir celle que l'aigreur des autres cœurs requiert, et que le pauvre pere, tout pauvre pere qu'il est, demeure sans estre visité par ses filles, voire par sa tres chere Mere, sinon qu'il ayt quelque mal qui puisse, par sa grandeur, meriter ce grand bien. Ma tres chere Mere et ma tres chere fille passeront modestement et non gueres loin du logis de ce pauvre pere et filz, sans y entrer et sans le voir, et iront tout droit servir ces pauvres gens qui ne leur sont vrayement ni filz ni pere, mais qu'elles regardent comme freres et membres de Jesus Christ. Ainsy, demeurés en paix, ma tres chere Fille, jusques a ce que demain, s'il se peut, je porte cette mauvaise jambe en vostre parloir; car je ne nie point que les yeux de ma tres aymee Mere et l'ordonnance de ma tres bonne et brave fille ne luy soyent salutaires. Mais cependant, puisque vous ne pouves panser cette jambe, pensés un peu a ce cœur de vostre pauvre et chetif pere; priés bien pour luy qui, reciproquement, vous souhaite mille et mille benedictions.

            Je salüe cherement nos Seurs. Monsieur Michel est bienheureux d'aller, quand il veut, voir mes filles. Un jour nous nous verrons tous ensemble en cette eternelle liberté de l'amour qui n'aura plus de bornes ni de fin, ni d'autres limites que celles de son immensité.

 

Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mère de Bréchard par la Mère de Changy, conservée à la Visitation d'Annecy. [77]

 

 

 

CMXIX. A Madame de Murat de la Croix. Les déceptions de la vie et ses fugitives consolations. — Sympathies et condoléances. — Dieu seul consolateur efficace, et à quelle condition. — Promesse de prières et offre de services.

 

Annecy, 28 septembre 1613.

 

            Mon Dieu, que cette vie est trompeuse, Madame ma tres chere Cousine, et que ses consolations sont courtes! Elles paroissent en un moment, et un autre moment les emporte, et, n'estoit la sainte eternité a laquelle toutes nos journees aboutissent, nous aurions rayson de blasmer nostre condition humaine.

            Ma tres chere Cousine, sachés que je vous escris le cœur plein de desplaysir pour la perte que j'ay faite, mais plus encor pour l'imagination vive que j'ay du coup [78] que le vostre recevra, quand il entendra les tristes nouvelles de vostre viduité si prompte, si inopinee, si lamentable! Que si la multitude de ceux qui auront part a vostre regret vous en pouvoit diminuer l'amertume, vous en auries tantost bien peu de reste; car nul n'a conneu ce brave chevalier decedé, qui ne contribue une particuliere douleur a la reconnoissance de ses merites.

            Mais, ma tres chere Cousine, tout cela ne vous peut point soulager qu'apres le passage de vostre plus fort sentiment, pendant lequel il faut que ce soit Dieu qui soustienne vostre esprit et qui luy soit refuge et support. Or cette souveraine Bonté, sans doute, ma tres chere Cousine, s'inclinera vers vous et viendra dedans vostre cœur pour l'ayder et le secourir en cette tribulation, si vous vous jettés entre ses bras et vous resignés en ses mains paternelles. Ce fut Dieu, ma tres chere Cousine, qui vous donna ce mari, c'est luy qui l'a repris et retiré a soy; il est obligé de vous estre propice es afflictions que les justes affections, lesquelles il vous avoit eslargies pour vostre mariage, vous causeront meshui en cette privation.

            C'est en somme tout ce que je vous puis dire. Nostre nature est ainsy faite, que nous mourons a l'heure impourveuë et ne sçaurions eschapper cette condition: c'est pourquoy il faut y prendre patience, et employer nostre rayson pour adoucir le mal que nous ne pouvons eviter; puis, regarder Dieu et son eternité, en laquelle toutes nos pertes seront reparees et nostre societé, desunie par la mort, sera restauree.

            Dieu et vostre bon Ange vous veiiillent inspirer toute [79] sainte consolation, ma tres chere Cousine. J'en supplieray sa divine Majesté, et contribueray au repos de l'ame du cher trespassé plusieurs saintz Sacrifices; et a vostre service, ma tres chere Cousine, je vous fay tres sincerement offre de tout ce qui est a mon pouvoir, sans aucune reserve, car je suis et veux encor plus puissamment que jamais, faire profession d'estre,

            Madame ma tres chere Cousine,

                                                           Vostre plus humble et plus affectionné

                                                                       cousin et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 28 septembre 1613.

 

 

 

CMXX. A Madame de la Fléchère. Compassion du Saint pour une pauvre veuve dont il avait béni le mariage. — Les vicissitudes de la vie humaine. — Deux nouvelles oblations à la Visitation.

 

Annecy, 29 septembre 1613.

 

            Ma santé se va tous les jours plus affermissant, ma tres chere Fille, mais je me treuve grandement affoibli des jambes, et plus que je ne pensois. C'est la verité que je suis consolé de sçavoir comme cette pauvre nouvelle vefve se comporte vertueusement; car voyes vous, par ce que je fus l'officier en leur mariage, il m'est advis que sa viduité m'est plus a cœur et que je suis plus obligé de la servir et luy souhaiter du bien. Helas, que ce monde est bigearre! on se marie d'un costé et de l'autre on regrette la perte d'un mari!

            Or sus, vous alles donq aux chams et a vandanges; [80] Dieu soit tous-jours avec vous et vous comble du moust de son amour plus fervent. Nous ne laisserons pas de sçavoir de vos nouvelles aux occurrences.

            Mme de Chantal est a present un peu occupee, par ce qu'aujourdhuy nous avons receu les oblations de deux Seurs: ma Seur Legros et ma Seur Rousset, de Saint Claude, et les parens font leurs petites affaires sur ce sujet. Je luy envoyeray vostre lettre.

            Ma tres chere Fille, je suis plus incomparablement que vous ne sçauries croire, parfaitement tout vostre.

            A Neci, le jour saint Michel.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Vienne (Autriche).

 

 

 

CMXXI. A des inconnus. Rien n'est mauvais de ce que l'Eglise ordonne. — La Communion sous la seule espèce du pain. — A quoi servent et comment il faut présenter les ablutions. — Pourquoi doit-on célébrer le Mariage devant l'autel.

 

Annecy, octobre 1613.

 

                        Messieurs,

            Ayant sceu que vous prenes quelque sorte de scandale dequoy l'on vous donne l'ablution dans un verre apres [81] que vous aves communié, et parce que l'on conduit les espoux et espouses devant l'autel pour celebrer le Mariage, je vous ay voulu faire ces deux motz pour vous exhorter de ne point vous faire ce tort a vous mesmes que de croire que ce que l'Eglise nostre mere ordonne puisse estre mauvais ou inutile.

            Or, elle ordonne que les lays reçoivent la Communion es especes du pain seulement, esquelles ilz participent neanmoins parfaittement au cors et sang de Nostre Seigneur, tout autant comme s'ilz le recevoyent encor sous l'espece du vin, puisque ce mesme Sauveur a dit: Qui me mange, il vivra pour moy; et: Qui mange ce pain, il vivra eternellement. En sorte que ce qui se boit apres la Communion par le peuple, ce n'est pas le sang du Sauveur, mais seulement du vin qui se prend pour laver la bouche et faire plus entierement avaler le precieux cors et sang des-ja receu en la tressainte Communion. C'est pourquoy cela ne doit pas estre presenté dans le calice, mais dans un autre vase, ou de verre, ou autrement. Que si par ci devant il a esté autrement fait, ç'a esté par abus et par la nonchalance et paresse des officiers de l'Eglise, et contre l'intention de l'Eglise mesme.

            Et quant au Mariage, il n'est pas raysonnable de le celebrer ailleurs que devant l'autel, puisque c'est un Sacrement si grand, et que ceux qui le reçoivent ne sont pas hors de l'Eglise, comme les petitz enfans qu'on apporte au Baptesme, ains sont des-ja baptizés et, par consequent, introduitz en l'Eglise et a l'autel.

            Laissés vous donq conduire, mes Amis et Freres, comme bonnes brebis, a ceux qui, sous mon authorité et celle du Saint Siege Apostolique, vous ont esté donnés pour [82] pasteurs; et Dieu vous benira, ainsy que je l'en prie, estant de tout mon cœur,

                                                           Vostre tres affectionné et tout dedié

                                                                       en Nostre Seigneur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

CMXXII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Demande d'un renseignemen.

 

Annecy, commencement d'octobre 1613.

 

            Je ne sçai, ma tres chere Mere, si monsieur le premier President a traitté avec vous pour toute la somme que monsieur de Duzonche devoit, car je ne m'en resouviens pas; et neanmoins on me le demande de Foucigni, certains qui doivent traitter avec ledit sieur de Duzonche et a qui il importe.

            Cependant, avec ce petit sujet, je donne le bon jour a ma tres chere Mere, ma Fille, a laquelle, comm'a moy mesme, je souhaite mille benedictions.

 

Revu sur l'Autographe qui se trouvait à Evian, chez les RR. PP. Missionnaires de Saint-François de Sales. [83]

 

CMXXIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Remerciements au prince pour l'élargissement des amis du Saint ; celui-ci espère qu'ils pourront rentrer bientôt dans Annecy.

 

Annecy, 4 octobre 1613.

 

                        Monseigneur,

            Je remercie en toute humilité Vostre Grandeur pour la liberté en laquelle il luy a pleu remettre les sieurs de Charmoysi et du Noyeret, selon la promesse qu'elle m'en avoit faite. Elle ne favorisera jamais homme qui vive avec plus de fidelité et d'affection a son service que moy, qui espere et attens de voir encor bien tost l'acces a cette ville ouvert a ces deux gentilzhommes; car la bonté et equité de Vostre Grandeur, Monseigneur, pressera et sollicitera son cœur a le faire, sans qu'aucune autre entremise y soit necessaire.

            Et tandis, je supplie Nostre Seigneur qu'il respande abondamment toutes sortes de saintes prosperités sur Vostre Grandeur, de laquelle je suis,

            Monseigneur,

                                                           Tres humble, obeissant et tres fidele

                                                                       serviteur et orateur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 4 octobre 1613.

            A Monseigneur

[Monseigneur] le Duc de Genevois,

            de Nemours et de Chartres. [84]

 

 

 

CMXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Supplique pour obtenir au Chapitre de Saint-Pierre de Genève la cession de l'église et du prieuré du Saint-Sépulcre d'Annecy.

 

Annecy, 7 octobre 1613.

 

                        Monseigneur,

            Le pauvre Chapitre de l'eglise cathedrale de Geneve a demeuré, il y a tantost un siecle, en cette ville de Neci sans y avoir ni mayson ni eglise que de louage. Maintenant il se presente un'occasion de luy faire avoir l'eglise et le prieuré du Sepulcre, par la resignation [85] de celuy qui en est prouveu. Mays, Monseigneur, avant toutes choses, le bon playsir de Vostre Altesse est requis, lequel ledit Chapitre la supplie tres humblement de luy ouctroyer, comm'un'aumosne a des pauvres bannis et dejettés de leur siege par les ennemis de Dieu et de Vostre Altesse Serenissime; laquelle, certes, pour cela ne les rendra pas riches, puisque ledit prieuré n'est que de cent ducatons de revenu, mais elle les accommodera beaucoup, ce benefice estant en cette ville et [86] fort a la bienseance de cette compaignie qui ne cessera jamais, non plus que moy, de souspirer et aspirer devant la divine Majesté jusques a ce que, sous les auspices de Vostre Altesse, elle retourne en son ancien sejour.

            Ce sont les souhaitz perpetuelz,

                        Monseigneur, de

                                                           Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                                                                  orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, Evesque de Geneve.

            VII octobre 1613, a Neci.

A Son Altesse Serenissime.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives lie l'Etat.

 

CMXXV. Au même. Recommandation en faveur d'un gentilhomme qui avait ses biens en France.

 

Annecy, 16 octobre 1613.

 

                        Monseigneur,

            La grande connoissance que j'ay de la sincere et tres fidele affection que toute la mayson de Matignien, et particulierement le sieur d'Alemoigne, a pour le service et obeissance de Vostre Altesse Serenissime, me fait entreprendre de la supplier tres humblement de gratifier [87] ledit sieur d'Alemoigne de l'accueil qu'ell' a accoustumé de faire a ses plus asseurés serviteurs. Il a ses biens au balliage de Gex; mais ayant succé avec le lait l'inclination et resolution de consacrer sa personne et sa vie a l'obeissance de Vostre Altesse au peril de tous ses autres biens, estimant celuy ci le plus grand, il en va faire l'offre et la protestation. Et je l'accompagne par cet escrit, comme tesmoin oculaire de la perpetuelle et invariable fidelité, et de feu son pere et de luy, envers la couronne de Vostre Altesse, parmi tant de divers accidens qui ont tiré leurs biens hors de sa sujettion.

            Dieu, par son infinie bonté, soit a jamais a la dextre de Vostre Altesse pour la conduire en toute sainte prosperité: c'est le souhait ordinaire,

            Monseigneur, de

                        Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                               serviteur et orateur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI octobre 1613, a Neci.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

CMXXVI. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Bienveillante courtoisie du comte de Tournon pour le Saint et pour ses frères. — Gratitude de François de Sales. — Nouvelles diverses. — Un écrivain fertile.

 

Annecy, 4 novembre 1613.

 

                        Monsieur,

            J'estois a Belley quand M. de Blonnay passa en cette ville, et a mon retour je treuvay la lettre quil vous [88] pleut m'escrire le 18 du moys passé, par laquelle vous me renvoyes au recit quil me fera pour certaines particularités, en l'ignorance desquelles je demeureray jusques a son retour de Chablaix, mais avec bonne patience, puisque ce que je dois desirer le plus de sçavoir m'est si amplement tesmoigné par vostre escrit: c'est que vous vives en santé, et moy en vostre bienveuillance, laquelle mesme s'estend a faire des pensees si honnorables pour mes freres, comme est celle que vous me signifies, quoy que couvertement, et que ledit sieur de Blonnay a plus ouvertement fait entendre a mon frere de Thorens, quil gratifia de sa visite en son passage.

            Monsieur, que vous puis-je dire sur cela? sinon que, puisque le bon genie de vostre naturel vous pousse a nous aymer tant sans merite, je le prie de continuer. Et bien que l'insuffisance et la petite mediocrité des moyens de mes freres leur empesche la reception du bien et de lhonneur que vous leur desires, si est ce que la proposition seule né leur peut estre que fort desirable, car elle donnera, pour le moins, quelque commencement de bonn'impression d'eux au Prince; et eux, donques, et moy vous sommes extremement obligés, Monsieur, par cette nouvelle obligation qui nous rend tous-jours plus vos serviteurs.

            Au demeurant, quoy que cette nouvelle legation que Son Altesse vous impose ayt beaucoup de charges, ell'a aussi beaucoup d'honneurs; entre lesquelz celuy la, d'estre envoyé comme reparateur des desordres et manquemens qui sont survenus en son service, me semble fort grand et digne qu'il vous soit deferé. Allés donq, Monsieur, en bon voyage, et revenés bien tost, avec le [89] contentement que Son Altesse mesme espere de vostre travail et industrie en un tant important service.

            Nous avons icy le bon M. le President de Buttet extremement malade, de la vie duquel les medecins sont encor entre la crainte et l'esperance. Presque tous les gens de bien en sont en peyne et tesmoignent combien ilz l'estimoyent.

            Il ne se peut dire combien Monsieur l'Evesque de Belley fait estat de vostre amitié, ainsy quil m'a souvent repeté pendant dix jours entiers que j'ay esté avec luy. Il escrit tous-jours incessamment, et blasme tous-jours ce quil a ci devant escrit.

            Nous avons eu M. le Marquis de Lans, qui revient demain de La Roche icy.

            Ce sont toutes nos nouvelles, au moins les miennes, de moy, qui vis hors des affaires et du commerce de ceux qui les manient. Et en attendant des vostres par madame ma cousine, comme vous me faites esperer, je prie Dieu quil vous accompaigne tous deux et comble de benedictions, et suis,

            Monsieur,

                                                           Vostre tres humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            4 novembre 1613, a Neci.

                        A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon, etc.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise Pensa, à Turin. [90]

 

 

 

CMXXVII. A Madame de la Fléchère. Une illusion du prieur de Blonay. — Tout va très bien à la Visitation. — De Lyon et de Paris on a demandé les Constitutions. — Pourquoi faut-il tenir son cœur «net, debonnaire et pauvre.»

 

Annecy, [vers 8] novembre 1613.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Nous sommes un peu embarassé maintenant; c'est pourquoy je vous diray courtement que si le bon M. le Prieur de Blonnay se pouvoit laisser conduire, il seroit a propos d'entreprendre ce que vous m'escrivés. Mays, a parler de cœur a cœur entre nous deux, il a un esprit attaché a ses imaginations, qui sont trop grandes et disproportionnees a ses forces et a sa capacité, laquelle n'est pas de gouverner, mais d'estre gouverné. Or, tout ce qui l'endommage, est que son esprit est si fertile en pensees et projetz, quil ne se peut contenter. Je ne treuveray neanmoins pas mauvays, ains bon, que vous luy parlies selon que Dieu vous le suggerera.

            La bonne Mme de Chantal ne sçait pas que je vous escrive, car elle vous escriroit sans doute, ayant un'ame toute particuliere en vostre endroit. Je l'ay veue ce matin, ayant esté leur aumosnier; mais il y avoit huit jours que je ne l'avois veue, pour la multitude des affaires. Tout [91] va extremement bien en cette petite Congregation. On a envoyé prendre les Constitutions de Lion, ou on projette d'en eriger une, et de Paris, pour voir si on en pourra desseigner un'autre; car il vous faut dire telles nouvelles, comm'aussi que j'ay esté deux fois a Bons, ou il s'est fait un peu de bien, mais je ne sçai ce quil aura produit du despuis. La chere seur en fut bien ayse, et nostre petit'Anthoyne et tout.

            Tenes bien vostre cœur net, debonnaire et pauvre, car bienheureux sont les pauvres, les debonnaires et les netz de cœur. Je suis tous-jours plus, tres fidelement vostre.

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin,

Archives de l'Etat.

 

 

 

CMXXVIII. A Madame de Cornillon, sa soeur. Le «frere le plus aymant» et la «seur la plus aymee.» — Envoi d'un chapelet rapporté de Milan. — Un moyen d'avoir toujours le cœur content.

 

Annecy, 12 novembre 1613.

 

                        Ma tres chere Seur,

            L'esperance que j'avois d'aller a Sales me faisoit concevoir celle de vous voir. Je ne l'ay encor pas quittee [92] du tout, mays ce tems pourtant, qui s'est si fort raffroydi, allentit aussi un peu cett'attente. Cependant, ces freres vous porteront ces quatre motz, par lesquelz je vous salue avec tout l'amour et lhonneur qu'un frere le plus aymant peut rendre a une seur la plus aymee, et vous envoye un chapelet de ceux qui ont touché les reliques de saint Charles, n'ayant rien apporté de plus praecieux de ce pais-lâ. Que si j'eusse creu ne le vous donner moy mesme en main, il y a long tems que je vous l'eusse addressé.

            Je n'oublie pas de parler a mes freres de vostre desir, mais mon frere de Villaroget, qui doit adjuster l'affaire, est tous-jours long en toutes choses; je presseray neanmoins, affin que vous ayes le cœur content. Vous l'aves, ma tres chere Seur, ma Fille, des maintenant, puisque vous craignes et aymes Nostre Seigneur. Faites le tous-jours, et me conserves en vostre bienveuillance avec mon frere, puisque je suis

                                               Vostre plus humble, tres affectionné

                                                           frere et serviteur,

                                                                                                                      F., E. de G.

            XII novembre 1613, a Neci.

                        A Madame

            Madame de Merens.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, Archives du prince Trivulzio. [93]

 

CMXXIX. A Madame de la Fléchère. Souhaits spirituels. — Nouvelles de Mme de Charmoisy.

 

Annecy, 12 novembre 1613.

 

            Cette seur ne s'en ira pas sans vous porter ce petit bon soir que je vous donne, ma tres chere Fille, avec tout mon cœur qui est tout vostre. J'espere bien pourtant de vous escrire encor avant vostre passage pour Chablaix, et si vous revenes par ou mes freres ont discouru ce matin, je pense que nous vous reverrons ou peu ou prou. Comme que ce soit, ma vrayement tres chere Fille, je vous souhaite mille et mille consolations celestes, et suis infiniment vostre, et

                                               Vostre plus humble serviteur et compere.

            Vous me demandiés l'autre jour des nouvelles de la chere cousine, mais je n'en ay nulle, sinon par une lettre de Monsieur l'Evesque de Montpellier, du 22 octobre, qui me dit simplement qu'elle estoit encor en Normandie; mais maintenant qu'elle a receu des lettres de [94] monsieur son mary qui la rappellent de deça, je croy qu'elle est a son despart, ou par chemin.

            Nostre Seigneur soit a jamais au milieu de nos coeurs. Amen.

                                                                       Vostre tres humble compere,

                                                                                                                                 F., E. de G.

            Le 12 novembre 1613.

 

CMXXX. A Madame de Grandmaison. La part de l'imagination dans nos tristesses. — Les «pasquins» et le monde ; comment se guérit le mal de la calomnie. — Un mot de saint Grégoire. — Les injures et le Crucifix. — A quoi sert une revue annuelle de l'âme ; manière de la faire. — Les chutes graves et le progrès en la dévotion.

 

Annecy, vers mi-novembre 1613

 

                        Ma tres chere Seur,

            Je n'ay pas eü le bien de voir monsieur de Rogemont, mais je ne laisse pas de sçavoir que vous aves esté affligee [95] a rayson de certain pasquin qui a couru par dela. Et moy je voudrois bien porter tous-jours vos peynes et travaux, ou au moins vous ayder a les supporter; mais puisque la distance de nos sejours ne permet pas que je vous secoure d'autre sorte, je prie Nostre Seigneur quil soit le protecteur de vostre cœur et quil en bannisse toute tristesse des-ordonnee.

            Certes, ma tres chere Seur, la plus part de nos maux sont imaginaires plus que reelz. Penses vous que le monde croÿe ces pasquins? Il se peut faire que quelques uns s'y amusent et que les autres entrent en quelque soupçon; mays sachés que nostr'ame estant bonne et bien resignee es mains de Nostre Seigneur, toutes sortes de telles attaques s'esvanoüissent au vent comme la fumee, et plus le vent est gros, plus tost elles disparoissent. Le mal de la calomnie ne se guerit jamais si bien que par la dissimulation, en mesprisant le mespris et tesmoignant par nostre fermeté que nous sommes hors de prise, principalement en matiere de pasquins; car la calomnie qui n'a ni pere ni mere qui la veuill'advouer, monstre qu'ell'est illegitime.

            Or sus, ma tres chere Seur, je vous veux dire un mot que saint Gregoire disoit a un Evesque affligé: Helas! dit-il, si vostre cœur estoit au Ciel, les vens de la terre ne l'esmouvroyent aucunement. A qui a renoncé au monde, rien de ce qui se passe de la part du monde ne peut nuire. Jettes vous au (sic) pieds du Crucifix, et voyes combien d'injures il reçoit; supplies-le, par la douceur avec laquelle il les a receües, quil vous donne la force de supporter ces petitz brins qui, comm'a sa servente juree, vous sont tumbés en partage. Bienheureux les [96] pauvres, car ilz seront riches au Ciel, le royaume leur en appartenant; et bienheureux les injuriés et calomniés, car ilz seront honnorés de Dieu.

            Au reste, la reveüe annuelle de nos ames se fait, ainsy que vous l'entendes, pour les defautz des confessions ordinaires qu'on supplee par celle ci, pour se provoquer et exercer a une plus profonde humilité, mays sur tout pour renouveller non les bons propos, mais les bonnes resolutions que nous devons appliquer pour remedes aux inclinations, habitudes et autres sources de nos offences auxquelles nous nous treuverons plus sujetz. Or il est vray quil seroit plus a propos de faire cette reveüe devant celuy qui auroit des-ja receue la confession generale, affin que par la consideration et rapport de la vie precedente a la suivante, on peut mieux prendre les resolutions requises; et en toutes façons cela seroit plus desirable. Mays les ames qui, comme vous, n'ont pas cette commodité, peuvent prendre celle de quelqu'autre confesseur, le plus discret et sage qu'elles treuveront.

            Pour vostre seconde difficulté, je vous dis, ma tres chere Seur, quil n'est nullement besoin en vostre reveiie de marquer particulierement le nombre ni les menues circonstances de vos fautes, ains suffit de dire en gros quelles sont vos principales cheutes, quels vos particuliers detraquemens d'esprit, et non pas combien de fois vous y estes tumbee, mais si vous estes fort sujette et addonnee au mal. Par exemple: vous ne deves pas enquerir combien de fois vous seres tumbee en cholere, car peut estre y auroit il trop a faire; mais simplement vous dires si vous estes sujette a ce desreglement, si lhors quil vous arrive vous y demeurés engagee longuement, si c'est avec beaucoup d'amertume et de violence, et en fin quelles sont les occasions qui vous y provoquent le plus souvent: si c'est le jeu, la hautaineté ou orgueil, si c'est la melancolie ou opiniastreté. Or, ceci soit dit par exemple. Et ainsy, en peu de tems, vous aures achevé vostre petite reveüe, sans beaucoup tourmenter ni vostre memoire, ni vostre loysir. [97]

            Quant a la troysieme difficulté, quelques cheutes es pechés mortelz, pourveu que ce ne soit pas par dessein d'y croupir, ni avec un endormissement au mal, n'empeschent pas que l'on n'ayt fait progres en la devotion, laquelle, bien que l'on perde pechant mortellement, on recouvre neanmoins au premier veritable repentir que l'on a de son peché, mesme, comme je dis, quand on n'a pas longuement trempé au malheur. De sorte que ces reveües annuelles sont grandement salutaires aux espritz qui sont encor un peu foibles; car si bien les premieres resolutions ne les ont pas du tout affermis, les secondes et troysiesmes les affermiront davantage, et en fin, a force de se resoudre souvent, on demeure tout a fait resolu. Et ne faut nullement perdre courage, ains, avec une sainte humilité, regarder son infirmité, l'accuser, demander pardon et invoquer le secours du Ciel.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Màcon.

 

CMXXXI. A M. Jacques de Vallon (Inédite). Le Saint conseille à son parent d'acquiescer à un ordre du prince de Nemours. — Que faire contre la violence, quand il n'y a remède. — Une preuve de courage contre une maigre vengeance. — Encouragements et sympathies.

 

Annecy, 16 novembre 1613.

 

                        Monsieur mon Cousin,

            On vous va signifier la recharge que Monseigneur de [98] Nemours fait pour le razement de vos armoyries et, comme je pense, on vous exhibera la lettre mesme quil en escrit, par laquelle vous verres ce que Sa Grandeur se promet de l'authorité de Son Altesse. Mays je viens d'apprendre de plus, que si vous n'acquiesces a cette volonté tant pressante de Monsieur, Son Altesse vous mandera et fera aller recevoir ses commandemens en Piemont, ou si je sçavois que vous peussies effacer les faux entendre sur lesquelz cette persecution vous est faitte, je serois bien ayse que vous allasies; mais je crains, qu'outre la despense, vous ne recevies des nouveaux desplaysirs, car homme d'honneur m'a dit, il ny a pas 24 heures, qu'il sçavoit fort bien qu'en cas que vous vous opposies davantage, on vous fera une nouvelle attaque sur le nom de Gex, lequel ilz presupposent avoir esté pris par vous, quoy que ce soit un nom de prince et d'une terre qui estoit dependante de la couronne de Savoÿe.

            Ce sont, a la verité, des estranges et tres malignes passions qui enfantent ces recherches; mays, puis qu'il n'y a remede, je persevere a croire que le meilleur sera [99] de se mocquer de tout ceci, tesmoigner que ni vostre honneur, ni l'estime que les gens de bien font de vous ne depend ni du gravement, ni du razement de ces armoyries. Mays il faudroit faire cela sans monstrer ni contre cœur ni desplaysir, car faysant cela, vous feries deux choses: l'une, que Monsieur connoistroit tant plus tost le tort qu'il permet vous estre fait par la trop grande creance quil a en vos hayneux; l'autre, que ceux qui vous pensent fascher n'en auroyent pas le goust qu'ilz s'en promettent, quand ilz verroyent que vous vous mocques et mesprises leurs attaques et les effets de leurs efforts. Et vous auries, a mon advis, sujet de dire que, tandis que vous aves veu la volonté de Monseigneur de Nemours representee sous le contreseing de ceux que vous croyies estre les autheurs de cette belle poursuite et que vous vous douties user de surprise, vous aves opposé; mays maintenant que vous voyes la main du sieur Defresne, vous voules obeir sans repugnance.

            Voyla mon advis, et vous asseure que si l'on faysoit le mesme tort qui vous est fait, a mes freres, je m'en rirois et voudrois [avoir] tant de courage que de mespriser le mespris et me moquer d'une si maigre vengeance; car en fin, tous les gens d'honneur voyent bien qu'on vous recherche par pure passion, et que le tems ne porte pas qu'on puisse treuver du remede a ce mal, et qu'en somme, il faut ceder aux volontés des puissances superieures, et qu'en somme, il ni va ni peu ni prou de vostre honneur. [100]

            Je vous escris sans loysir, mais non pas sans une tres grande affection de vous rendre du service, et vous supplie de prendre en bonne part mon advis. Croyes moy, Dieu vous aydera, et fera que cette mauvayse sayson estant passee, il en viendra un'autre ou les vrays serviteurs du Prince auront leur tour. Je salue de tout mon cœur madame ma chere cousine et monsieur du Vilars mon cousin, estant a jamais,

            Monsieur,

                                                                       Vostre plus humble cousin et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI novembre 1613, a Neci.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. de la Forest, officier à Dijon.

 

 

 

CMXXXII. A Madame de la Fléchère. Souhaits de bon voyage et salutations.

 

Annecy, 16 novembre 1613.

 

            Il vaut bien mieux, ma tres chere Fille, vous escrire dans ce mauvais morceau de papier que je treuve sur ma table, que de ne vous escrire point du tout. Ce n'est pourtant que pour vous saluer et tesmoigner que je vous souhaite bon voyage, avec toute sainte consolation, et encor a toute vostre barque, ce pendant que nous [101] irons attendant les saintz jours de l'Advent de Nostre Seigneur, qui nous preparera beaucoup de benedictions, si nous luy preparons bien nos cœurs.

            Je salue madame de Brescieu, ma seur, et Mme de la Thuille que j'ayme bien, et la petite niece, et celle que je devois nommer la premiere, madame l'espousee, ma niece. Pour les hommes, ilz ne sont pas du comte (sic). Il suffit que je suis tout vostre et

                                               Vostre plus humble, tout dedié serviteur,

                                                                                                                      F.

            XVI novembre 1613.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

 

 

CMXXXIII. A la même. Le prieur de Blonay. — «Le grand ouvrier des merveilles.» — Un moyen d'être très heureux. — Le voyage d'une jeune mariée. — Privilège de ceux qui sont à Dieu.

 

Annecy, 20 novembre 1613.

 

            Vous n'aures pas peu gaigné, ma tres chere Fille, si vous aves reduit M. le Prieur de Blonnay a une vraye indifference, car jusques a present il a esté merveilleusement attaché a son projet. Or Dieu, a la gloire duquel nous tendons, est le grand ouvrier des merveilles; a jamais sa lumiere esclaire nos cœurs et nous conduise a [102] le glorifier parfaitement. Si ce bon enfant vient, je le verray et luy parleray, et, tant quil me sera possible, le porteray au bien.

            J'escris au cousin, et par ce que je ne sçai ou il est, je vous envoye ma lettre. La chere cousine estoit encor en Normandie le 9 de ce moys, mais attendue d'heure a autre a Paris. Dieu nous rende bien siens, car nous serons tres heureux en cela, tout le reste n'estant que vanité et affliction d'esprit.

            Mon frere de la Thuille nous dira de vos nouvelles, puisque, comme vous m'escrives, il ne fera pas le voyage de Mme l'espousee. Et vous, si vous le faites, conserves vous bien et laissés a l'espousee toutes les bonnes consolations que vous pourres, affin que le grand esloignement des siens ne la tourmente. Ceux qui sont a Dieu treuvent par tout ce qui leur est cher.

            Je suis, ma tres chere Fille, tout vostre, plus certes quil ne se peut dire.

            Le 20 novembre 1613, a Neci.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [103]

CMXXXIV. A la Duchesse de Mantoue, Marguerite de Savoie (Minute). La Congrégation de la Visitation à la fin de l'année 1613 ; son esprit, ses pratiques. — Le Saint demande à la duchesse de vouloir bien être la protectrice officielle de l'Institut, de procurer en sa faveur des lettres patentes du duc de Savoie et de faire poser en son nom la première pierre du futur oratoire.

 

Annecy, fin novembre 1613.

 

                        Serenissima Signora,

            Si è fatta in Annessi una Congregatione di Dame honoratissime, parte vedove, parte zitelle, lequali, scariche [104] delle cose del mondo, attendono con grandissima pietà et edificatione al servitio del Signor Iddio, recitando ogni di le Hore della sacratissima Vergine insieme nel suo choro, facendo ogni dì l'oratione mentale, vivendo in ubedienza sotto il governo di una Superiora che esse hanno eletta, et osservando una essattissima abnegatione delle cose terrene, come si suole nelli monasterii più riformati. Le giovani non escono mai dalla casa (nella quale non v'entrano huomini), ma solamente le vecchie et mature, per soccorso degl'infermi, massime donne, lequali quando sonno povere, patiscono molto in quella cita, non essendovi se non un povero hospitale che non ha modo di fare molta carità a dette inferme. [105]

            Ora, essendosi formata quella Congregatione a similitudine d'altre simili stabilite in Milano dal gran servo d'Iddio San Carlo, et havendo comprata una casa, et desiderando tuttavia fabricar un oratorio al nome della santissima Visitatione della Beatissima Vergine, nel quale pur vi sia una capella che si dedicarti sotto il nome del Beato Amedeo, quando sarà canonizato, si supplica Vostra Altezza Serenissima che si degni accettare et ricevere detta Congregatione nella sua specialissima protettione, acciò che sotto l'ombra del suo serenissimo nome [106] et col favor della sua carità, possa con tranquillità et pace interiore et esteriore attendere alle cose celesti.

            Per il che sarebbe necessario: 1. Che Vostra Altezza Serenissima, o per lettere patenti, o per lettere chiuse, manifestasse che Ella riceve et piglia in protettione detta Congregatione et ciascheduna delle Sorelle, ossia Dame, che in essa saranno, adesso et per l'avvenire.

            2. Che Vostra Altezza Serenissima faccia con lettere saper questa sua intentione al signor Marchese di Lans et al Senato di Savoya, acciò, dove occorrerà, essi habbiano cura di detta Congregatione.

            3. Sarebbe anco conveniente che simili lettere si scrivessero dall' Altezza del Serenissimo signor Duca, nostro signore, per le quali facesse sapere che detta Congregatione essendo per ordine suo nella protettione di Vostra Altezza, vuole che sia nelli Stati suoi favorita et conservata. Il che è tanto più ragionevole, che detta Congregatione non mendica, anzi si stabilisce a spese delle [107] Dame congregate, nè pretende giamai haver entrata se non per mantener gl'edificii, la sacristia, il capellano et pagar il medico loro, o per via di censi perpetui, o in altre maniere che non facciano aggravio a nessuno, nè diano impedimento alcuno alli dazii o vero taglie del Serenissimo Duca. Anzi detta Congregatione essendo, come si spera, frà pochi anni dotata di quella intrata per quelle cose communi, le vedove scariche di figlioli et le vergini che vorranno in castità, ubedienza et pietà servir al Signor Iddio, haveranno grandissima commodità di ciò fare, perchè saranno ricevute in detta Congregatione mediante una sola pensione assegnatali dalla casa loro mentre viveranno.

            Onde Vostra Altezza Serenissima farà cosa gratissima alla Maestà divina et alla sua santissima Madre, Nostra Signora, se ricevendo questa pia Congregatione nelle braccia della sua protettione, d'essa si degna chiamare signora, padrona et madre.

            Et perchè ben presto spera detta Congregatione di fabricare l'oratorio suo, et che le sarebbe un honor et [108] consolatione d'importanza che a nome di Vostra Altezza Serenissima si mettesse la prima pietra, si supplica per fine, che si degni commandar a qualche dama di quelle bande, di venir costì da parte di Vostra Altezza et assistere alla positione di detta pietra, mettendovi la medaglia solita, tale che Vostra Altezza si compiacerà di notare. Che così Vostra Altezza haverà sempre ottima parte in tutte le bone opere che in detta Congregatione et detto oratorio si faranno, massime nelle orationi di quelle Dame, che giorno et notte invocheranno il Spirito Santo per l'eterna consolatione di Vostra Altezza.

                                   F., V. di Geneva. [109]

 

 

 

                        Sérénissime Princesse.

            On a érigé à Annecy une Congrégation de Dames très honorables, veuves et jeunes filles, lesquelles, s'étant dégagées des choses du [104] monde, s'adonnent avec une très grande piété et édification au service de Dieu notre Seigneur. Chaque jour elles récitent ensemble au chœur les Heures de la très Sainte Vierge, elles font aussi chaque jour l'oraison mentale, vivent dans l'obéissance sous le gouvernement d'une Supérieure qu'elles ont élue, et pratiquent un très rigoureux renoncement aux choses de la terre, à l'instar des monastères les mieux réformés. Les jeunes ne sortent jamais de la maison (les hommes n'y entrent pas), mais seulement les anciennes et mûres d'âge; et c'est pour secourir les malades, les femmes surtout. Pour celles-ci, en effet, en cas de pauvreté, il y a beaucoup à pâtir dans cette ville, avec seulement un pauvre hôpital qui n'a pas le moyen de leur faire de grandes charités. [105]

            Cette Congrégation a été dressée sur le modèle d'autres semblables établies à Milan par le grand serviteur de Dieu, saint Charles; elle a acheté une maison et désire maintenant bâtir un oratoire sous le vocable de la sainte Visitation de la Bienheureuse Vierge, dans lequel il y aura aussi une chapelle que l'on dédiera au bienheureux Amédée, quand il sera canonisé. C'est pourquoi, Votre Altesse Sérénissime est suppliée de daigner accepter et recevoir cette Congrégation sous sa très spéciale protection, afin qu'à l'ombre de son auguste nom et à la faveur de sa charité, elle puisse, avec [106] tranquillité et en toute paix intérieure et extérieure, vaquer aux choses célestes.

            Dans ce but, il serait nécessaire: Premièrement, que Votre Altesse déclarât par lettres patentes ou par lettres privées, qu'elle reçoit et prend sous sa protection cette Congrégation, et chacune des Sœurs ou Dames qui la composent maintenant et qui la composeront à l'avenir.

            Deuxièmement, que Votre Altesse fit savoir par lettres cette sienne intention à M. le marquis de Lans et au Sénat de Savoie, afin qu'à l'occasion, ils prennent les intérêts de ladite Congrégation.

            Troisièmement, il serait encore utile que Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Savoie, notre souverain, écrivît également des lettres dans le même sens, pour signifier que cette Congrégation ayant été, par son ordre, placée sous la protection de Votre Altesse, il entend qu'elle soit favorisée et conservée dans ses Etats. Cela est d'autant plus juste que la Congrégation ne mendie pas, mais [107] s'établit au contraire aux frais des Dames assemblées. Elle ne prétend pas non plus avoir jamais de revenu, si ce n'est pour l'entretien des bâtiments, de la sacristie, de l'aumônier et pour payer le médecin, soit avec des rentes annuelles, soit par d'autres moyens qui ne chargent personne et qui n'apportent aucun empêchement aux impôts ou tailles du Sérénissime Duc. Et si, comme on l'espère, cette Congrégation se trouve dans quelques années pourvue d'un revenu suffisant pour les dépenses ordinaires, les veuves déchargées de leurs enfants et les vierges qui voudront servir Dieu notre Seigneur dans la chasteté, l'obéissance et la piété, pourront le faire très facilement, puisqu'elles y seront admises moyennant une simple pension assignée par leurs familles, leur vie durant.

            Votre Sérénissime Altesse fera donc chose très agréable à la divine Majesté et à sa très sainte Mère Notre-Dame si, recevant cette pieuse Congrégation entre les bras de sa protection, elle daigne s'en avouer la dame, la patronne et la mère.

            Or, parce que la Congrégation espère bâtir bientôt son oratoire, ce lui serait un honneur et une consolation très grande si la première [108] pierre pouvait être posée au nom de Votre Altesse. Aussi vous supplie-t-on en dernier lieu, Sérénissime Princesse, de vouloir bien prier une dame de la cour de se rendre ici de votre part, pour assister à la pose de cette pierre et placer la médaille accoutumée, suivant qu'il vous plaira l'indiquer. Votre Altesse aura par ce moyen toujours droit à la meilleure part de toutes les bonnes œuvres qui se pratiqueront dans la Congrégation et l'oratoire, mais particulièrement aux prières de ces Dames qui, jour et nuit, invoqueront l'Esprit-Saint pour l'éternelle consolation de Votre Altesse.

            FRANÇOIS, Evêque de Genève. [109]

 

 

 

CMXXXV. A M. Balthazard de Peyzieu (Inédite). Amitié du Saint pour la famille de Peyzieu. — Pourquoi il faut mépriser les calomnies anonymes.

 

Annecy, 1er décembre 1613.

 

                        Monsieur mon Frere,

            Que vous m'obliges grandement a me donner part a ces bonnes et aymables nouvelles du frere Indien, lequel, a mesure que je le sens esloigné de nous selon la distance des lieux, je le sens aussi plus avancé en mon estime, et mon contentement, en la gloire que j'ay d'estre advoué son humble fidelle frere d'acquisition; mot d'acquisition que j'adjouste pour l'ayse que je reçois d'estre sien, vostre et de toute vostre dependence, car autrement, certes, mon affection me semble toute naturelle en force, vigueur et perpetuité.

            J'ay fait nagueres ample response a madame nostre [110] chere seur, et sur le sujet de son desplaysir, bien qu'elle ne m'eut point particularisé quel il estoit, estimant que son porteur, qu'elle pensoit devoir estre monsieur de Rogemont, me diroit tout. Pour moy, apres mon premier sentiment pour la douleur d'une seur si praetieuse et aymable, je me roydis, et dis que jamais la calomnie qui a honte de marquer son pere, ne fut ni forte pour durer, ni active pour entrer dedans l'esprit des gens qui en ont tant soit peu, et n'arrivera jamais que nostre seur, tant environnee de vertu et de reputation, puisse estre blessee par la mesdisance.

            Je luy escris un mot, et vous souhaitant mille et mille vrays contentemens, et a madame ma seur, vostre chere moytié, je suis a jamais sans varier,

            Monsieur mon Frere,

                                                           Vostre tres humble frere et serviteur.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

             [1er] decembre 1613.

                        A Monsieur

            Monsieur de Pezieu.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise de Mailly,

au château de la Roche-Mailly (Sarthe). [111]

CMXXXVI. A la Mère de Chantal. Nos sentiments pour la créature et pour le Créateur. — Joie et piété du Saint la veille du 8 décembre.

 

Annecy, 7 décembre 1613.

 

            Je feray pour vostre fille de Sainte Catherine tout ce qu'il me sera possible; et croyés-moy, je le feray encor plus doucement parce que vous le desires, car j'ay une extreme suavité a faire vostre volonté. Helas! quel cœur devrions nous avoir a faire celle du Createur tres aymé, puisque nous en avons tant pour la creature aymee et unie en luy.

            Ouy, ma tres chere Mere, remettés bien vostre cœur entre les mains de nostre chere Maistresse, qui sera conceuë ce soir en la commemoration que nous en ferons, et je le luy demanderay; car, ma chere Mere, je suis bien resolu de ne vouloir plus de cœur que celuy qu'elle me donnera, cette douce Mere des cœurs, cette Mere de saint amour, cette Mere du cœur des cœurs. Ah Dieu, que j'ay grand desir de tenir les yeux sur cette belle estoille en nostre navigation!

            Bon jour, ma tres chere Mere; soyés toute joyeuse sur l'occasion de cette feste venante. Jesus soit nostre cœur. Amen.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [112]

 

 

 

CMXXXVII. A M. Philippe de Quoex. Ce que souhaite le Saint et ce qui lui est indifférent ; son humilité et sa modération. — La charité et la diversité d'opinions. — Double projet de réforme à Talloires. — Deux remèdes de François de Sales contre les contradictions. — Que faire quand on s'oppose aux fautes.

 

Annecy, vers mi-décembre 1613.

 

                        Monsieur,

            Je ne sçai comme il vous peut entrer au cœur que je puisse avoir aucune desfiance de vostre amitié pour tout le secours que vous feres a monsieur le Prieur et a sa trouppe reformee; car je leur souhaite toute sorte de sainte prosperité, et n'ay nulle sorte d'interest en l'evenement de vostre entreprise, sinon celui-la mesme que vous me marqués en vostre lettre estre le vostre: la plus grande gloire de Dieu et le plus grand service de son Eglise; et que Dieu soit servi ou par des Religieux vestus de noir ou vestus de blanc, cela est indifferent. [113]

            Mais je dis plus, et le dis devant Nostre Seigneur: que quand j'aurois bien de l'interest d'un costé plus que de l'autre, j'espererois cette grace de la divine Majesté, de n'estre pas si passionné et desordonné en l'amour propre, que sçavoir mauvais gré a qui ne suivroit pas mon parti. Non certes, je ne pense pas que ni mon sentiment, ni mes opinions, ni mes interestz doivent servir de regle a pas un homme du monde, et particulierement a mes amis; trop obligé que je leur seray si, reciproquement, ilz ne m'estiment rien moins leur affectionné et veritable amy quand je seray d'autre opinion qu'eux. Les Anges ont de ces differens in agibilibus, et saint Pierre et saint Paul en eurent, comme aussi saint Paul et saint Barnabas, sans diminution de leur indissoluble charité.

            Je vous ay dit candidement mon sentiment sur le sujet de la reformation que vous affectionnés: il y a du respect pour l'une, que j'estime bonne, et pour l'autre, que j'estime meilleure, marry que je serois de perdre la douceur et paisible affection que je dois a toutes deux. Mais ne vous parlay-je pas clair a vostre despart? Ce fut de bon [114] cœur que je dis alhors (je le repete maintenant et le diray encor ci apres): Unusquisque abundet in suo sensu, dummodo glorificetur Christus.

            Tout le desplaysir que j'ay en ceci, c'est de ne vous pouvoir pas asses plaire et m'accommoder a vostre desir, mesmement en ce qui est d'escrire a Monseigneur le Cardinal Bellarmin. J'ay des-ja esté recusé par l'une des parties, qui se plaint de moy; il n'est pas a propos de me jetter les plaintes de l'autre sur les bras.

            Je ne sçai nullement que c'est que des autres reformés de N., horsmis de monsieur le Prieur et de M., [115] ne connoissant les autres que de nom et quelques uns de veuë. Je suis delegué commissaire, je ne dois point faire de prejugés, affin que, si les parties alleguent quelque chose contre cette reformation, je puisse encor juger. Il va en fin mille raysons, ce me semble, pour lesquelles je dois ouyr parler de part et d'autre sans me mesler de faire des offices ni pour les uns ni pour les autres, jusques a ce que je sois deschargé de l'office de juge qui m'est commis.

            Nostre amitié n'est pas fondee sur la reformation ni des unes ni des autres: c'est pourquoy je vous supplie de me bien conserver la vostre au travers de toute cette negociation, comme, de mon costé, je suis invariable en celle que par tant de respectz je vous dois. Je sçay qu'un autre moins discret et charitable que vous pourroit beaucoup dire de choses de moy entre les poursuittes, comme il a esté fait a Chamberi; dont je loue Dieu que ce soit vous plustost qu'un autre, bien que, pour parler franchement entre nous, je me sente fort asseuré de n'estre point blasmé de quicomque, sans passion, voudra conferer les tems et les occasions de ce qui s'est passé par mes mains, et de ce qui s'est passé par celles de ceux qui se deulent. Mais quand il plairoit a Dieu que quelqu'un me fist mortifier, mon second remede seroit d'avoir patience.

            Je finis donq par ou j'ay commencé, vous remerciant de rechef de la peyne que vous prenes pour ces bonnes ames, [116] qui prient et prieront Dieu pour vous, et vous demeureront extremement obligees avec moy qui, de tout mon cœur, suis sans fin,

            Monsieur,

                                                                       Vostre plus humble, plus affectionné

                                                                                  et fidele confrere,

                                                                                                          F., E. de Geneve.

            J'ay sceu le peu de conte que l'on tint de l'Evesque du lieu au conseil de la N.; mais si, ne puis-je pas m'esmouvoir a rien faire qu'apres une meure deliberation, car il faut ne point faire de faute quand l'on s'oppose aux fautes. Il est impossible d'empescher que chascun, a bonne intention, ne s'essaye de gaigner l'advantage.

 

CMXXXVIII. A la Soeur Favre, Religieuse de la Visitation. Une lettre qui a consolé, embaumé l'âme du Saint. — Les productions de l'amour-propre. — Rien ne répare une faute comme de l'avouer naïvement. — Une grande partie de notre perfection.

 

Annecy, 18 décembre [1613.]

 

            Si fay, si fay de par Dieu, ma tres chere grande Fille, je sçay bien quel cœur vous aves en mon endroit; mais [117] ne voules vous pas que je prenne le tems et la saison pour y planter les plantes des vertus plus excellentes, desquelles le fruit est eternel? Or sus, je n'ay nul loysir, mais je vous dis en verité, que vostre lettre a embaumé mon ame d'un si delicieux parfum, que de long tems je n'avois rien leu qui m'eust donné une si parfaite consolation. Mais je dis de rechef, ma chere Fille, que cette lettre m'a donné des eslans d'amour envers Dieu, qui est si bon, et envers vous, qu'il veut rendre si bonne, que certes, je suis obligé d'en rendre action de graces a sa divine Providence. C'est ainsy, ma Fille, qu'il faut tout de bon mettre la main dans les replis de nos cœurs, pour en arracher les ordes productions que nostre amour propre y fait par l'entremise de nos humeurs, inclinations et aversions.

            O Dieu, quel contentement au cœur d'un pere tres aymant, d'ouyr celuy de sa fille tres aymee protester qu'elle a esté envieuse et maligne! Que bien heureuse est cette envie, puisqu'elle est suivie d'une si naïfve confession! Vostre main, escrivant vostre lettre, faysoit un trait plus vaillant que ne fit jamais celle d'Alexandre. O faites donques bien, ma Fille, ce que vostre cœur a projetté. Ne vous estonnés point de ce qui s'est passé, mais simplement, humblement, amoureusement, confidemment, reunisses vostre esprit a celuy de cette bien aymable ame, qui, je m'asseure, en recevra mille et mille consolations. Helas! ma Fille, c'est une grande partie de nostre perfection que de nous supporter les uns les autres en nos imperfections; car, en quoy pouvons nous exercer l'amour du prochain, sinon en ce support? Ma Fille, elle vous aymera et vous l'aymeres, et Dieu vous aymera toutes.

            Et moy, ma chere Fille, vous m'aymeres aussi, puisque Dieu le veut et, en suite de cela, me donne un parfait [118] amour de vostre ame, que je conjure d'aller de bien en mieux et de mieux en mieux au pourchas des vertus. Allés courageuse et relevee. Vive Jesus! Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 18 decembre....

 

CMXXXIX. A une dame. Saint François de Sales espère terminer les prédications de l'Avent. — Réflexions sur la fuite imperceptible des années. — Aspirations vers l'éternité ; souhaits pour sa possession.

 

Annecy, 24 ou 25 décembre [1613.]

 

            Or sus, qu'importe il a vostre chere ame, ma tres chere Fille, que je luy escrive d'un air ou d'un autre, puisqu'elle ne me demande rien que l'asseurance de ma chetifve santé, de laquelle je ne merite que l'on ayt la moindre pensee du monde. Mais je vous diray qu'elle est bonne, graces a Nostre Seigneur, et que j'espere qu'elle me servira ces bonnes festes, pour prescher, comme elle a fait le reste de l'Advent. et qu'ainsy nous acheverons cette annee pour en recommencer une nouvelle.

            O Dieu, ma chere Fille, elles s'en vont ces annees, et courent a la file imperceptiblement les unes apres les autres, et en devuidant leur duree, elles devuident nostre vie mortelle, et se finissant, elles finissent nos jours. O que l'eternité est incomparablement plus aymable, puisque sa duree est sans fin, et que ses jours sont sans [119] nuit, et ses contentemens invariables! Que puissies-vous, ma tres chere Fille, posseder cet admirable bien de la sainte eternité en un si haut degré que je le vous souhaitte. Que de bonheur pour mon ame si Dieu, luy faysant misericorde, luy faysoit voir cette douceur! Mais en attendant de voir Nostre Seigneur glorifié, voyons le des yeux de la foy, tout humilié dans son petit berceau.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma tres chere Fille. Amen. Vive Jesus!

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

CMXL. A la Mère de Chantal. Le «grand petit Enfant de Bethleem» et Salomon. — L'haleine du bœuf et de l'âne, et les aspirations de notre cœur. — Gratitude du Saint pour un ornement, ouvrage de la Mère de Chantal.

 

Annecy, 25 décembre [1613.]

 

            Le grand petit Enfant de Bethlehem soit a jamais les delices et les amours de nostre cœur, ma tres chere Mere, ma Fille. Helas, comme il est beau, ce pauvre petit Poupon! Il me semble que je voy Salomon sur son grand throsne d'ivoyre, doré et ouvragé, qui n'eut point d'esgal es royaumes, comme dit l'Escriture, et ce Roy n'eut point de pair en gloire ni en magnificence; mais j'ayme cent fois mieux voir le cher petit Enfançon en la cresche que de voir tous les rois en leurs throsnes.

            Mais si je le voy sur les genoux de sa sacree Mere, ou entre ses bras, ayant sa petite bouchette, comme un bouton de rose attachee au lis des saintes mammelles, o Dieu, je le treuve plus magnifique en ce throsne, non [120] seulement que Salomon dans le sien d'ivoyre, mais que jamais mesme ce Filz eternel du Pere ne fut au Ciel; car si bien le Ciel a plus d'estre visible, la Sainte Vierge a plus de vertus et perfections invisibles, et une goutte du lait qui flue virginalement de ses sacrés sucherons, vaut mieux que toutes les influences des deux. Le grand saint Joseph nous fasse part de sa consolation; la souveraine Mere, de son amour, et l'Enfant veuille a jamais respandre dans nostre cœur ses merites.

            Je vous prie, reposés le plus doucement que vous pourres aupres du petit celeste Enfant; il ne laissera pas d'aymer nostre cœur bienaymé tel que vous l'aves, sans tendreté et sans sentiment. Voyes-vous pas qu'il reçoit la haleine de ce gros bœuf et de cet asne, qui n'ont sentiment ni mouvement quelconque? Comme ne recevra-il pas les aspirations de nostre pauvre cœur, lequel, quoy que non tendrement pour le present, solidement neanmoins et fermement, se sacrifie a ses pieds, pour estre a jamais serviteur inviolable du sien et de celuy de sa sainte Mere et du grand gouverneur du petit Roy?

            Ma tres chere Mere, c'est la verité: j'ay une lumiere toute particuliere qui me fait voir que l'unité de nostre cœur est ouvrage de ce grand Unisseur, et partant, je veux desormais non seulement aymer, mais cherir et honnorer cette unité comme sacree. La joye et consolation du Filz et de la Mere soit a jamais l'allegresse de nostre ame.

            Je viens de prescher tout revestu de la main de ma tant aymable et amiable Mere, et j'en ay esté bien ayse. Helas! ma tres chere Mere m'a fait tout couvrir de JESUS, MARIA. Que ce doux Jesus et cette sacree Marie me la conservent longuement et soyent le vestement nuptial de son cœur. Amen.

                                               Vostre tres affectionné pere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [121]

 

 

 

CMXLI. A la même. C'est en toutes circonstances qu'il faut aimer la très sainte volonté de Dieu. — Pourquoi le Saint a choisi le dernier jour de l'année pour faire de «petitz et grans changemens» en sa Congrégation.

 

Annecy, 31 décembre 1613.

 

            Ouy, ma tres chere Fille, ma Mere, il faut aymer la tres sainte volonté de Dieu aux petites et grandes rencontres. Celle qui m'empesche d'aller vous dire la Messe aujourd'huy est petite et grande; je vous la diray a nostre premiere veuë.

            Ce pendant, faites vos petitz et grans changemens avec le plus de perfection qu'il vous sera possible. Apres y avoir bien pensé devant Dieu, je me suis resolu qu'il faut affermir nostre Congregation a faire ses changemens ce jour auquel Dieu fait les siens, nous faysant tous passer d'une annee a l'autre, donnant une leçon annuelle de nostre instabilité, de nostre changement, du renversement et de l'aneantissement des annees qui nous menent a l'eternité. [122]

 

 

 

CMXLII. A la même. Le côté percé du Sauveur, abri divin. — Le Sauveur, Roi des cœurs, toujours prêt à leur donner audience.

 

Annecy, [1613.]

 

                        Ma tres chere Mere,

            Que vous diray je? La grace et paix du Saint Esprit soit tous-jours au milieu de vostre cœur. Mettés-le, ce cher cœur, dans le costé percé du Sauveur, et l'unissés a ce Roy des cœurs, qui y est comme a son throsne royal pour recevoir l'hommage et l'obeissance de tous les autres cœurs, et tient ainsy sa porte ouverte affin que chacun le puisse aborder et avoir audience. Et quand le vostre luy parlera, n'oublies pas, ma chere Mere, de luy faire parler encor en faveur du mien, affin que sa divine et cordiale Majesté le rende bon, obeissant et fidele.

            Bon jour, ma tres chere Mere; je suis sans fin

                                                                       Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [123]

 

CMXLIII. A un ecclesiastique. Procès entre l'Evêque de Maurienne et le curé de Lullin. — Intervention du Saint en faveur de ce dernier.

 

Annecy, [1610-1613.]

 

                        Monsieur,

            Voyla nostre monsieur l'abbé qui s'en va fort content en l'esperance de vous treuver a Chamberi. Il m'a parlé du mescontentement de Monseigneur de Maurienne a rayson du proces du curé de Lullin, et parce que, passant en Maurienne, il pourra faire tous bons offices, [124] prenes la peyne, je vous prie, de conduyre un jour M. l'advocat Gros au logis de [monsieur 1'] Abbé, affin qu'il luy face bien entendre l'estat du droit de son frere, curé de Lullin. Je vous en supplie, comme aussi de remettre le paquet ci joint a madame d'Aiguebelette.

            Mais il faut que je vous laisse, car vous voyla glorieux avec ce bon seigneur qui vous cherit bien fort; mais moy, je suis incomparablement

                                                                       Vostre tres affectionné et humble confrere,

                                                                                                             [FRANÇS, E. de Geneve.]

 

CMXLIV. A la Mère de Chantal. Pourquoi faut-il se confier à la Providence de Dieu.

 

Annecy, [1610-1613.]

 

            Voyla la lettre, ma tres chere Fille; faites la fermer, et soyés bien ferme en la confiance que nous devons avoir en la providence de Dieu, laquelle, si elle vous prepare des croix, vous donnera des espaules pour les porter.

            Vous sçaves d'ou me vient une si grande presse, et, Dieu aydant, en seres bien ayse. [125]

 

 

 

CMXLV. A une cousine (Fragment inédit). Exhortation à l'amour de Notre-Seigneur.

 

Annecy, [1611-1613.]

 

……………Ma tres chere Fille, releves le plus [que vous pourrez votre] cœur en Nostre Seigneur et le pousses tous-jours plus avant [en son très saint] amour. Nul ne sçait que je vous escrive, mays je [m'assure que] si nostre Mere et nos Seurs le sçavoyent, [elles vous écrirai]ent avec moy, ou elles me prieroyent de vous saluer, [vous aimant] toutes tres cordialement, sur tout nostre Mere.

             [Priez pour] moy, qui suis

                                               Vostre plus humble, tres affectionné

                                                           cousin et serviteur,

                                                                                                                      F., E. de Geneve.

……………..et me recommande a ses prieres.

……………..a Neci.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Louis Pierre,

ancien curé de Chàtillon (Jura). [126]

 

CMXLVI. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, Prieur de Talloires. Obligation pour un supérieur de réduire au devoir des sujets scandaleux. — Circonstances qui aggravent la culpabilité des délinquants.

 

Annecy, [1611-1613.]

 

            Je souhaite tant le bien et l'honneur de vostre Monastere, que toutes les connoissances des choses contraires m'esmeuvent et me donnent du ressentiment de zele. J'ay sceu que les sieurs N. et N. donnent tant de mauvaise odeur de leur jeunesse, que la puanteur en est arrivee jusques au Senat, lequel s'en veut remuer, si leur amendement ne previent. C'est, a la verité, une honte bien grande pour vous si les laïcs prennent la connoissance de la correction sur ceux du cors auquel on vous a donné pour chef; mais ce sera encor quelque sorte de reproche pour moy qui vous y ay porté, si je ne surveille pas a vous assister, et sembleray estre coulpable de tout ce qui s'y fera, avec vous, bien qu'en verité, ni vous ni moy ne puissions pas tout empescher.

            Tout cela mis ensemble, me fait vous prier et exhorter [127] de vouloir apporter tout le soin et l'ordre que vous pourres pour reduire ces jeunes gens sur le train de leur devoir, et de me donner advis de leur estat, affin que je puisse rendre tesmoignage de vostre diligence comme de la mienne, et contenter ma conscience, laquelle me pressera par apres a prendre d'autres expediens, si vostre prudence, vigilance et justice ne suffit a la recipiscence de ces discoles, desquelz j'admire d'autant plus la dissolution, que leur naissance les devroit porter a la poursuitte des vertus et de la pieté conforme a leur vocation. L'aage les a peu couvrir jusques a present, mais la continuation les rend meshuy inexcusables.

            Vous sçaves comme et combien tendrement je vous ayme, et particulierement; qui me fait croire que vous prendres cet advertissement aussi doucement qu'avec tres grande affection je vous fay la remonstrance, pour le bien de la Mayson ou Nostre Seigneur vous conserve, et laquelle il veuille rendre si pleine de sainteté que je sçay que vous le souhaittés avec moy, qui suis

                                                                       Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

CMXLVII. A la Mère de Chantal (Fragment). Apologue du musicien devenu sourd, et la sainte musique d'une âme qui sert Dieu, sans joie, abandonnée entièrement au bon plaisir divin.

 

Annecy, [1612-1614.]

 

            Je travaille a vostre Livre neufviesme de l'Amour de Dieu, et aujourd'huy, priant devant mon Crucifix, [128] Dieu m'a fait voir vostre ame et vostre estat par la comparayson d'un excellent musicien, né sujet d'un prince qui l'aymoit parfaitement, et qui luy avoit tesmoigné se plaire passionnement a la douce melodie de son luth et de sa voix. Ce pauvre chantre devint, comme vous, sourd, et n'oyoit plus sa melodie; son maistre s'absentoit souvent, et il ne laissoit pas de chanter, parce qu'il sçavoit que son maistre l'avoit pris pour chanter.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ms. original des Mémoires, etc.,

par la Mère de Chaugy, conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

CMXLVIII. A une Religieuse de la Visitation. Ce qui tenait occupé le Saint toutes les matinées ; l'emploi meilleur qu'il aurait voulu en faire. — «L'amour propre ne meurt jamais ;» ses fruits et ceux de la vraie charité. — Quel est le seul remède. — Les séparations pour les mondains et les amis de Dieu.

 

Annecy, [1613 ou 1614.]

 

            O pleust a Dieu, ma tres chere Fille, que ce fust le Traitté de l'Amour celeste qui me tinst occupé toutes [129] les matinees! Il seroit bien tost achevé, et je serois bien heureux d'appliquer mon esprit a de si douces considerations. Mais ce sont des infinités de petites niaiseries, que le monde par force m'apporte tous les jours, qui me font de la peyne et de la fascherie et rendent mes heures inutiles. Neanmoins, tant que je m'en puis eschapper, je metz tous-jours quelque petite ligne en faveur de ce saint amour qui est le lien de nostre mutuelle dilection.

            Or, venons a vostre lettre. L'amour propre peut estre mortifié en nous, mais il ne meurt point pourtant jamais; ains, de tems en tems et a diverses occasions, il produit des rejettons en nous, qui tesmoignent qu'encor qu'il soit couppé par le pied, si n'est il pas desraciné. C'est pour cela que nous n'avons pas la consolation que nous devrions avoir quand nous voyons les autres bien faire; car ce que nous ne voyons pas en nous ne nous est pas si aggreable, et ce que nous voyons en nous, nous est fort doux, parce que nous nous aymons tendrement et amoureusement. Que si nous avions la vraye charité qui nous fait avoir un mesme cœur et une mesme ame avec le prochain, nous serions parfaitement consolés quand il feroit du bien.

            Ce mesme amour propre fait que nous voudrions bien faire telle et telle chose par nostre eslection, mais nous ne la voudrions pas faire par l'eslection d'autruy, ni par obeissance; nous la voudrions faire comme venant de nous, mais non pas comme venant d'autruy. C'est tous-jours nous mesmes qui recherchons nous mesmes, nostre propre volonté et nostre amour propre. Au contraire, si nous avions la perfection de l'amour de Dieu, nous aymerions mieux faire ce qui est commandé, parce qu'il vient plus de Dieu et moins de nous.

            Quant a se plaire plus a faire des choses aspres qu'a les voir faire aux autres, ce peut estre ou par charité, ou [130] par ce que, secrettement, l'amour propre craint que les autres ne nous esgalent ou surmontent. Quelquefois nous nous mettons plus en peyne de voir mal traitter les autres que nous, par bonté de naturel; quelquefois c'est par ce que nous croyons d'estre plus vaillans qu'eux et que nous supporterions mieux le mal qu'eux mesmes, selon la bonne opinion que nous avons de nous. Le signe de cela, c'est qu'ordinairement nous aymerions mieux avoir les petitz maux que si un autre les avoit; mais les grans, nous les aymons mieux pour les autres que pour nous. Sans doute, ma chere Fille, ce qu'on a repugnance a s'imaginer le rehaussement des autres, c'est parce que nous avons un amour propre qui nous dit que nous ferions encor mieux qu'eux, et que l'idee de nos bonnes propositions nous promet des merveilles de nous mesmes et non pas tant des autres.

            Au bout de tout cela, sçaches, ma vrayement tres chere Fille, que ce que vous aves ne sont que des sentimens de la portion inferieure de vostre ame; car je m'asseure que vostre superieure portion desadvoue tout cela. C'est le seul remede qu'il y a, de desadvouer les sentimens, invoquant l'obeissance et protestant de la vouloir aymer non obstant toute repugnance, plus que non pas la propre eslection, louant Dieu par force du bien que l'on void en autruy et le suppliant de le continuer; et ainsy des autres.

            Il ne se faut nullement estonner de treuver chez nous l'amour propre, car il n'en bouge. Il dort quelquefois comme un renard, puis, tout a coup, se jette sur les poules. C'est pourquoy il faut, avec constance, veiller sur luy, et avec patience et tout doucement se defendre de luy. Que si quelquefois il nous blesse en nous desdisant de ce quil nous a fait dire, en desadvouant ce quil nous a fait faire, nous sommes gueris.

            Or je ne vis que passamment la dame qui devoit venir pour faire sa confession generale, et avec des yeux tout moistes d'avoir laissé sa fille; car les gens du monde [131] [se] laissent en se laissant, mais ceux de Dieu ne se laissent jamais, ains sont tous-jours unis ensemblement avec leur Sauveur.

            Dieu vous benisse, ma chere Fille.

 

Revu sur une copie conservée à Turiu, Archives de l'Etat. [132]

 

Année 1614

 

 

 

CMXLIX. A Madame d'Escrilles. Quand faut-il s'abandonner entièrement entre les bras de la Providence. — Comment parler des personnes qui nous ont fait tort. — Ce qui est plus efficace contre le mal que le ressentiment.

 

Annecy, 7 janvier 1614.

 

                        Ma Seur tres chere et tous-jours de plus en plus tres chere Seur,

            Je viens tout maintenant de recevoir les deux lettres que vous avies confiees a Mme de Trevernay, et une autre par laquelle elle me specifie la qualité de vostre desplaysir, que je vois estre grandement fascheux pour la multitude des accidens qui semblent attachés aux sujetz dont il vous est arrivé.

            Ma tres chere Seur, ces brouillardz ne sont pas si espais que le soleil ne les dissipe. En fin, Dieu qui vous a conduite jusques a present, vous tiendra de sa tres sainte main; mais il faut que vous vous jetties, avec un total abandonnement de vous mesme, entre les bras de sa providence, car c'est le tems desirable pour cela. Se confier en Dieu emmi la douceur et la paix des prosperités, chacun presque le sçait faire; mais de se remettre a luy entre les orages et tempestes, c'est le [133] propre de ses enfans; je dis, se remettre a luy avec un entier abandonneront. Si vous le faites, croyes moy, ma chere Seur, vous seres toute estonnee de merveille, qu'un jour vous verres esvanouis devant vos yeux tous ces espouvantailz qui maintenant vous troublent. Sa divine Majesté attend cela de vous, puisqu'elle vous a tiree a soy pour vous rendre extraordinairement sienne.

            De cet homme sur lequel vous penses devoir estre jettee une partie de la faute, parlés en peu et consciencieusement; c'est a dire, ne vous estendes gueres en vos plaintes et n'en faites pas souvent; et quand vous en feres, n'asseures rien qu'a mesure que vous aures de la connoissance ou conjectures de la faute, parlant douteusement des choses douteuses, plus ou moins, selon qu'elles le seront.

            Je vous escris du tout sans loysir, en un jour le plus embarrassé que j'aye eü il y a long tems. Je suppleeray de plus en plus, s'il plaist a Dieu, priant pour vostre repos et consolation. Apaises tant que vous pourres, doucement et sagement, les espritz de messieurs vos parens. Helas! en telles occasions, la dissimulation guerit plus de mal en une heure que les ressentimens en un an. Dieu doit faire le tout; c'est pourquoy il l'en faut supplier.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma tres chere Seur, ma Fille. Je suis tres parfaitement,

                                                           Vostre plus humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 7 janvier 1614.

 

CML. Au Père Nicolas de Soulfour, Oratorien. Envoi de lettres pour l'Evêque de Bazas et pour M. de Fontaines. — Attachement du Saint pour la Congrégation de l'Oratoire ; il désire en connaître les règlements. — Le Traitté de l'Amour de Dieu l'empèche d'entreprendre un travail qui lui est proposé.

 

Annecy, 10 janvier 1614.

 

                        Monsieur,

            C'est a vous aussi a qui j'addresse mes responses a Monseigneur de Bazas et a monsieur de Fontayne Duboys, et ce sera a vous, sil vous plait, de leur faire [135] aggreer mes intentions, puisque vous leur aves donnees celles quilz ont de m'aymer. Cependant, selon vostre conseil, je touche un mot, au dernier, d'encouragement a l'erection d'une mayson de la Congregation a Tours; Congregation que j'ay dedans le cœur, devant, je pense, que ni monsieur de Berule ni vous, mays Congregation dedans le cœur delaquelle je ne suis pas digne d'estre, et desirerois neanmoins bien d'avoir quelque place. Dites moy cependant, avant que je sorte de ce propos: seroit ce une grande et blasmable curiosité de desirer de sçavoir un peu plus de particularités de l'establissement et maniere de vivre d'icelle? car voyes vous, je crains de vous le demander et j'ay peyne de m'en empescher. C'est asses a un vieux entendeur et qui m'ayme fortement.

            Au reste, Monseigneur de Bazas me propose un petit travail, que je ferois des maintenant de bon cœur, recevant comm' inspiration son desir; mais je suis encor un peu attaché a un Traitté de l'Amour de Dieu, lequel j'estimerois piaculum de laisser maintenant imparfait, puisqu'il ne me faut plus que je ne sçai combien de moys pour l'envoyer au monde. Faites luy donq, je vous supplie, treuver bon l'advis que je luy presente, mais dont je ne l'ose presser, que quelqu'autre face cett'autre [136] besoigne. Helas! je vous asseure, mon bon Monsieur, que je suis tellement accablé d'affaires, ou plustost d'empeschemens, qu'a peyne puis-je derober ça et la des quartz d'heure pour employer a ces escrittures spirituelles.

            Or sus, salutem a tous ceux qui m'ayment, de vostre connoissance, et mille benedictions a Dieu du repos quil vous a donné en cette sainte Societé. Je suis immortellement,

            Monsieur,

                        Parfaitement vostre humble serviteur et frere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Vous sçaures que le bonhomme M. Nouvelet s'en est allé lethargique; ce sera charité de le recommander a Nostre Seigneur.

            X janvier 1614, a Neci.

            Faites-moy sçavoir, je vous prie, le tiltre de la Congregation, affin que je sache mettre la superscription convenable; et bien humble salutation a Mlle Acarie.

                        A Monsieur

            Monsieur de Soulfour.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, chez les Dames de Saint-Maur. [137]

 

 

 

CMLI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. Salutations affectueuses envoyées au destinataire de passage à Lyon. — Le Saint s'excuse de ne pouvoir accepter l'invitation de prêcher à Toulouse.

 

Annecy, 10 janvier 1614.

 

                        Monseigneur,

            Je vous vay rencontrer en esprit au passage que vous deves faire a Lion; et ces quatre paroles vous asseureront, sil vous plait, que sil m'estoit aussi aysé de me porter moy mesme sur le lieu en effect, comm'il l'est a ce porteur, vous me verries, plein de joye et d'amour, le plus empressé de tous autour de vous. Il ny a remede, il faut accommoder nos souhaitz a nos necessités, d'ou qu'elles viennent.

            J'ay toute ma vie grandement prisé la ville de Thoulouse, non pour sa grandeur et noblesse, mays, comme dit saint Chrisostome de son Constantinople, a cause du service de Dieu qui y est si constamment et religieusement maintenu. Et pensés, Monseigneur, de quel cœur je voudrois les servir; mays vous sçaves mes liens, que rien jusques a present n'a peu rompre. Sil vous plait donques respondre a la demande que vous ont faite de moy ces seigneurs de cette ville la, je vous supplie tres humblement de leur faire sçavoir que ce n'est ni faute d'estime que je face de leurs merites, ausquelz je ne sçaurois jamais correspondre, ni faute de pouvoir que vous ayes sur moy, qui suis tres entierement vostre, mays faute de pouvoir que j'aye moy mesme sur moy mesme, que je ne seconde pas leurs desirs, plus honnorables cent fois pour moy que je ne devrois praetendre.

            Au demeurant, Monseigneur, quand vous seres avec le grand et parfait ami, resouvenes vous parfois de moy, car ce m'est un playsir incomparable de m'imaginer que ne pouvant jouir du bonheur de vostre presence, je ne laisse pas de vivre en vostre bienveuillance de tous deux.

            J'escris sans loysir, mays plein de l'invariable affection que j'ay d'estre sans fin,

            Monseigneur,

                                               Vostre tres humble, tres obeissant frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            X janvier 1614.

            Je fis response a Monseigneur de Dol des le moys passé.

                        A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque de Montpelier.

 

Revu sur une copie de l'Autographe, conservée à la Visitation d'Annecy. [139]

 

 

 

CMLII. A la Mère de Chantal. Saint François de Sales se sent pressé d'activer la rédaction de son grand ouvrage.

 

Annecy, 11 janvier 1614.

 

            Nostre interieur n'a plus de resistance; il faut que la crainte et la paresse de l'homme exterieur cede a la volonté victorieuse de notre Maistre qui veut que, tout froid et tout glacé que je suis, j'escrive de son saint amour. Contés ce jour pour celuy auquel je commence d'y employer tous les momens que je pourray tirer de la presse de mes autres devoirs, et invoqués incessamment sur moy l'amour du divin Amant.

 

Revu sur un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation,

conservé au Monastère d'Annecy.

 

CMLIII. A la même. Le Saint ménage à sa chère Congrégation la bienveillance du Conseil de Ville d'Annecy. — Pourquoi il ne veut pas qu'on demande de sa part du beau papier à M. Rolland.

 

Annecy, [vers mi-janvier] 1614.

 

                        Ma tres bonne Meré,

            Voyla vos lettres corrigees. Il les faut faire escrire [140] aujourdhuy, et outre cela, escrire a madame la Comtesse de Tournon, et luy faire un article par lequel vous luy dires qu'elle face prier Monseigneur de Nemours, au nom de Madame la Serenissimo infante Duchesse de Mantoüe, d'escrire a messieurs du Conseil de cette ville qu'en toutes occurrences, ilz ayent vostre Congregation en speciale recommandation. Hier au soir je parlay encor a l'un des sçindiques, qui me promit de haster l'affaire le plus qu'il se pourra.

            Si vous n'aves pas du beau papier pour escrire, envoyes en prendre vers M. Rolland, mais a vostre nom, car si c'estoit au mien il se courrouceroit, parce que j'en ay trop despensé la semaine passee.

            Ma tres chere Mere, que Dieu face toute sainte, je vous donne mille fois le bonjour. Amen. Et vay travailler tant que je pourray sur le livre. [141]

            Il faut attendre de plier les lettres, car François ira faire cet office comme il faut: car je ne puis y aller moy mesme. [142]

CMLIV. A la même. Un triduum de prières. — Souhait d'unité.

 

Annecy, [vers le 20] janvier 1614.

 

            Voyla donq, ma tres chere Mere, ma Fille, les Pseaumes: vous en pourres prendre, ou les troys derniers pour tous les trois jours, ou varier de trois en trois pour chasque jour.

            Cependant, quel contentement a ma pauvre ame de vous saluer encor un peu par cett'occasion! vous, dis-je, ma tres chere Mere, que mon ame cherit comm'elle mesme. Dieu soit a jamais l'unique ame de nostre unique vie et l'unique vie de nostr'uniqu'ame.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Revel de Mouxy, à Brest.

 

 

 

CMLV. A la même. Plusieurs visiteurs ont empêché le Saint d'aller voir la Mère de Chantal. — Il se promet de célébrer avec elle, le lendemain, l'anniversaire de sa naissance et de dire la Messe à la Visitation.

 

Annecy, 22 janvier 1614.

            Que diray-je plus ma tres chere Mere? En somme, il [143] faut acquiescer a la Providence de Dieu en ces petitz momens quil faut employer tantost en ceci, tantost en cela, au prejudice de l'extreme desir que j'ay de voir ma pauvre tres chere Mere. J'allois: M. Flocard et M. de Conflens me sont venu parler de vos affaires. Quand ilz m'ont laissé, j'alloys de rechef; il m'a falu arrester avec les deputés d'un Monastere qui est de ma charge, qui me sont venu proposer leurs necessités pour continuer leur reforme. Quel moyen de refuser cette si bonne audience a des gens qui viennent pour Dieu, et de deux journees loin, pour une si bonne affaire? Le cœur de ma Mere, comme le mien propre, se fut courroucé et mutiné si, pour tel sujet, je n'eusse renoncé a son contentement qui est le mien mesme.

            Mays demain, o c'est le jour de sainte Emerentienne et de la naissance de ma Mere; Dieu ne permettra pas que je sois ainsy retenu, car mesme j'ay a conferer avec elle de choses qui sont pour son Amour divin et asseurer la partie. Il faut aller dire la Messe pour cette Mere aupres d'elle, et elle l'oüyra cordialement des sa chambre, affin qu'elle et moy, d'un cœur, d'un esprit et d'un'ame, offrions a sa divine Majesté la suite de nostre vie, pour consacrer a son service tous les instans qui nous en restent. Cependant, je vay a la priere que nous esperons de convertir bien tost en action de graces pour la paix. [144]

            Bonsoir, ma tres chere Mere; reposes bien nostre cœur sur la poitrine de nostre Sauveur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de San Remo (Italie).

 

 

 

CMLVI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Le Duc ayant agréé le projet de confier aux Barnabites le collège de la ville, est supplié de le faire réussir.

 

Annecy, 25, janvier 1014.

 

                        Monseigneur,

            L'esperance que ce peuple de Neci et de Genevoys a conceüe de voir ce college, qui est maintenant presque en friche, remis a la Congregation des Peres Barnabites, n'a ni rayson ni fondement que sur la bonté [145] paternelle de Vostre Altesse Serenissime, laquelle en a eu aggreable le projet, non seulement par ce quil estoit propre pour le proffit publiq temporel de ses tres humbles sujetz, mais aussi pour l'utilité quil rapporteroit au salut des ames. A cett' occasion, Monseigneur, je supplie de rechef Vostre Altesse Serenissime, en toute humilité, de le faire puissamment reuscir a la gloire de Dieu, que je prie incessamment la vouloir a jamais prosperer, et suis,

            Monseigneur,

                        Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                               orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le XXV janvier 1614.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [146]

 

 

 

CMLVII. A M. Philippe de Quoex. La réforme de Talloires et l'affaire de Mme des Gouffiers. — Nouvelles et commissions pour Rome. — Instructions à suivre dans une négociation auprès des Congrégations romaines.

 

Annecy, 27 janvier 1614.

 

                        Monsieur,

            Mais je vous remercie infiniment de la douceur avec laquelle vous recevés mes intentions qui, en verité, ne sont que sinceres et de servir nostre commun Maistre. Mays c'est trop dit entre nous qui, a mon advis, nous connoissons trop bien l'un l'autre, pour avoir besoin ni d'excuses, ni de paroles en telles occurrences.

            J'ay receu la lettre de Monseigneur le Cardinal Borghesio, et on ne touche nullement au proces despuis vostre despart. Mgr le Nonce me commanda de [147] luy dire au vray l'estat present du monastere de Talloyre, ce que j'ay fait tant quil m'a esté possible. C'est maintenant a la providence de Dieu de decretter, et a nous d'attendre en paix et reverence ce quil luy plaira de faire reuscir, avec resignation de nostre volonté en la sienne tressainte.

            J'escris pour l'affaire de Mme de Gouflier, une lettre au Cardinal Bellarmin, un' autre au Cardinal Lante, qui sont deux colonnes de mes esperances pour toutes les affaires de deça, et la 3e a la Congregation de Vescovi. Celle du grand Cardinal Bellarmin est fort ample, et peut estre trop; vous pouves, sil vous plait, en extraire un memorial pour presenter au Cardinal Lante et a la Congregation. Que si Dieu gratifie cette bonne ame, je pense quil sera a propos de faire commettre ou [148] Monseigneur de Maurienne, ou monsieur l'Abbé d'Abondance, ou moy, disjunctim, ita ut uno non procedente, alius procedat.

            Par le premier, Dieu aydant, je vous escriray pour la Visitation des eglises des Apostres et vous envoyeray l'Estat de cette Eglise. A Thonon, tout est appaysé et ni a plus de mal qu'a Cervens. Nous avons receu les Indulgences cum summo applausu, et ces bonnes Dames vous en sont infiniment obligees, ainsy que nous vous dirons a vostre retour.

            Puisque vous me parles du P. Monet, je vous prie [149] de le saluer de ma part et, par son entremise, le P. Richeome; et vous suppliant de ne point perdre courage en l'affaire de Mme de Gouffier, je demeure de tout mon cœur, Monsieur,

                                               Vostre plus humble tres affectionné confrere,

                                                                                                          F., E. de Geneve.

            XXVII janvier 1614.

            Pour M. de Syrvinges, qui pourroit obtenir une licence quil demeurast extra monasterium, cela suffiroit; Monsieur l'Evesque de Mascon luy promet de l'assister de ses recommandations.

            Il y a une lettre de monsieur l'Abbé d'Abondance au P. Benedetto Justiniano, en faveur de l'affaire de Mme de [150] Gouffier; mais il faudra, sil vous plait, l'instruire et l'employer es occurrences. C'est un Pere fort courts et qui, comme je pense, pourra beaucoup.

Verte folium.

            Il faudra donq bien observer ces troys pointz: le Ier, de faire que l'on commette in istis parti bus, atteso che questa signora vi é, et si ritruova cento leghe lontana del Paracleto, di debole complessione, et [151] che nel Paracleto si fece il primo sforzo, et si farebbe poi il secondo, la signora Abbadessa essendo potentissima.

            Le 2. c'est que il faut que ladite dame de Gouffier soit delivree de l'obligation de sa profession, affin que, selon son desir, elle puisse estre receue en la Congregation de la Visitation, laquelle, bien que ce ne soit pas une Religion formelle, est neanmoins une mayson de fort bonne discipline et propre pour cette personne; puisqu'ell'est d'ailleurs de si petite complexion, qu'elle ne pourroit porter l'austerité ni de Sainte Claire ni des Carmelines, ni d'autres Religions formelles esquelles on fait des grandes veillees, des grandes abstinences et autres mortifications et aspretés corporelles qui requierent une entiere santé.

            Le 3. il faut bien honnestement remonstrer qu'au Paraclet, ces Dames ont toutes leurs maysons a part, et madame l'Abbesse aussi, avec des trains d'hommes et de femmes, sans Regle, sans clausure, sans methode ni discipline quelcomque.

            Le reste se verra dans les lettres qu'a cett'intention je vous envoye ouvertes. Mitte sapientem et volentem, et nihil dicas. Tenes conte des portz, car tout sera ramboursé, Dieu aydant. Encor qu'en la lettre de la [152] Congregation je parle quil seroit plustost expedient de changer le vœu, neanmoins je sçai bien que cela ne se fait pas; mais c'est pour monstrer la necessité de cett' ame, a laquelle il seroit expedient de plustost changer le vœu que de la laisser sans remede. Vous mesnageres le tout, car j'ay escrit a la haste et a cause du passage du courrier, et en un langage que je ne possede pas trop bien. Je ne sçai sil seroit point expedient de faire voir mes lettres au Pere Benedetto Justiniano. Vous consideres (sic) le tout avec la grace de Dieu, que je vous souhaite de tout mon cœur. Amen.

                        A Monsieur

            Monsieur de Ste Catherine.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Bibliothèque communale d'Amiens.

 

 

 

Mémoire pour M. Philippe de Quoex concernant Madame des Gouffiers (Fragment)

 

            Il faut bien faire entendre comme non seulement avant que de faire la profession, elle protesta de la force et [153] violence que sa mere luy faysoit, et que par cette crainte seulement, et non de volonté, elle faysoit ladite profession, qu'elle desiroit estre declaree nulle en tems et lieu; dont il y a acte par deux notaires. Mays aussi, despuis, elle a protesté devant plusieurs personnes de qualité, a diverses fois, qu'elle ne se tenoit nullement pour Religieuse et ne vouloit l'estre. Mais la crainte de sa mere durant, elle n'ose se retirer, ni procurer ses expeditions.

            Item, comme ce qu'elle s'est esloignee de sa mere luy a donné liberté de recourir a la justice du Saint Siege.

            Que l'Abbesse du Paraclet est une grande dame qui tient grand train, et le monastere en lieu champestre, qui ne reconnoist aucun superieur; de sorte que si la suppliante alloit la, elle seroit forcee, et par sa mere naturelle et par l'Abbesse, d'y demeurer, et empescheroit on la verification de ses allegations, laquelle se fera mieux, plus solidement et plus facilement par l'Ordinaire du lieu ou ell'est. [154]

 

CMLVIII. A Madame de la Valbonne. Il ne faut jamais cesser de coopérer de son mieux au salut du prochain. — Comment aborder une âme pécheresse et avec quel sentiment. — Le moindre brin du divin amour, préférable à tous les trésors du monde.

 

Annecy, 5 février 1614.

 

            Je vous escris subitement, ma tres chere Niece, sur le sujet que vous me touchastes dernierement, parce que n'ayant pas eu de porteur d'asseurance, je n'avois pas voulu vous faire responce a ce point la.

            Cette pauvre miserable Bellot a une ame qui ne veut point estre corrigee par censures, car elles ne luy ont pas manqué au commencement de ses vanités, cause de sa ruine; et la bonne Mere de Chantal n'a rien espargné de ce qu'elle pouvoit penser estre propre pour l'en retirer, prevoyant bien que cette humeur vaine la porteroit plus loin que pour lhors elle ne s'imaginoit.

            Neanmoins, on ne sçait pas les conseilz de Dieu, et ne faut jamais cesser de cooperer au salut du prochain en la meilleure façon que l'on peut. Si donques vous pouvies parler a cette chetifve creature, la prenant un peu doucement et amoureusement, luy remonstrant combien elle seroit heureuse de vivre en la grace de Dieu, l'enquerant si, quand elle [y] a vescu lhors qu'elle vint en cette ville, elle n'estoit pas plus ayse que maintenant, et passant ainsy [155] tout bellement a luy representer son malheur, je pense que cela la pourroit toucher. Mais il faut tesmoigner que vous estes portee d'amour envers elle, et que vous n'aves point eu horreur de son malheur. Or, quand vous ne feries que luy faire faire un bon souspir, Dieu en sera glorifié. Mais je croy bien que vous aures de la peyne a treuver la commodité de faire a propos cet office qui requiert beaucoup de loysir; car on nous dit qu'elle est gardee fort soigneusement. O que de misericordes Dieu fait aux ames qu'il retient en sa tres sainte crainte et en son divin amour! Mieux vaut le moindre brin de ce tresor, que tout ce qui est au monde.

            Vives tous-jours toute a ce souverain Bien, ma tres chere Fille; c'est la priere ordinaire de

                                                                       Vostre tres humble oncle et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le jour de sainte Agathe.

 

CMLIX. A M. Claude de Blonay. Affaires d'argent. — Reconnaissance du Saint pour un service que lui a rendu Mgr Gribaldi. — Nouvelles et messages.

 

Annecy, 8 février 1614.

 

                        Monsieur,

            J'ay fait delivrer au sieur curé de Massongier, present porteur, le reste de l'argent que mes freres et moy devions a Monseigneur l'Archevesque mon pere, [156] pour celuy quil avoit fait delivrer a Paris pour nous. Or, je vous supplie de prendre la peyne de le conter et donner, et de retirer nostre obligation pour la nous renvoyer a la premiere bonne commodité, avec le solvit.

            Item, de bien faire mes excuses s'il y a eü quelque sorte de manquement au tems, et de luy bien faire sentir combien je me sens obligé a sa faveur. Je sçay que je ne pourray jamais luy rendre aucun service de l'espece de ce bon office quil m'a fait (aussi bien saint Paul dit que les enfans ne doivent pas thesaurizer pour les peres, ouy bien les peres pour les enfans); mais si en quelque nature de service, et en celuy ci encor, je pouvois me revancher, je le ferois tres affectionnement.

            Nous avons icy monsieur vostre Prieur avec lequel nous avons des aujourdhuy fait une bonne conference. Nous en ferons une a part, monsieur l'Abbé et moy, et puis nous conclurons, et je pense que vous aures du contentement. J'escris au bon monsieur l'advocat de Blonnay suivant la resolution prise l'autre jour. On m'a dit que la bonne Mme du Foug estoit malade; a vostre premiere commodité, je vous prie de m'en faire [157] sçavoir quelque chose, car j'en suis en peyne, et prie Dieu quil la benisse et nous aussi. Je suys, Monsieur,

                                                                                  Vostre plus humble confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII febvrier 1614.

                        A Monsieur

             [Monsieur] de Blonnay.

                        A St Paul.

            Je n'ay pas escrit la lettre a monsieur l'advocat,

                        mentionnee en la presente.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais),

Archives de Blonay.

 

 

 

CMLX. A Monseigneur Hildebrand Jost, Evêque nommé de Sion (Minute). Regrets sur la mort d'Adrien de Riedmatten, évèque de Sion ; éloge de son zèle et de ses vertus. — Les airs de deuil transformés en chants d'allégresse à l'élection de Mgr Jost. — François de Sales lui offre son concours pour la cérémonie du sacre. — Promesse d'entier dévouement.

 

Annecy, 22 février 1614.

 

Illustrissime ac Reverendissime in Christo

Domine colendissime,

            Intima sane ac peculiari mœstitia Illustrissimi ac [158] Reverendissimi D. Adriani, praedecessoris vestri, obitus animum meum exagitavit et affecit, non solum propter eam qua tantum Praesulem colebam venerationem, aut illam qua me vicissim ornabat benevolentiam, sed ideo maxime quod celeberrima Sedunensis Ecclesia, ac universa Vallesiorum gens, insigni illo Principe et Pastore orbata iniquo tempore et praemature remansisset, cum religionis avitae tuendae augendaeve Catholicae fidei zelo ac peritia, neminem cum defuncto Praesule comparandum illis in partibus esse putaremus.

            Verum, ubi de Illustrissimae et Reverendissimae Dominationis Vestrae promotione a Reverendissimo Ecclesiae [159] vestrae Canonico qui huc Ordinationis gratia accesserat, deque cumulatissimis personae vestrae illustrissimae dotibus, paulo fusius ac uberius audivimus, tum vero tristitia nostra versa est in gaudium et luctus noster versus est in cytharam, ut nimirum Deo ingentes gratias ageremus quod lucernam suam in Hierusalem extingui non esset passus, sed pro patre filium excitasset quem constitueret super civitatem illam Sedunensem, quam et nos Sion appellamus.

            Hinc per amicos (inter quos nobilis vir Dominus Quarterius in primis locum jampridem obtinet) Illustrissimam et Reverendissimam Dominationem Vestram salutavimus; et illa vicissim per multum Illustrem et admodum Reverendum Abbatem Agaunensem, me quoque amicissime salvere jussit. [160]

            Sic igitur, Illustrissime et Reverendissime Prsesul, quae intercepta videbatur antecessoris tui erga me amicitia, tua, quam ex litteris tuis video propensione, meoque ingenti desiderio, rediviva nunc laetior ac firmior futura est ac duratura. Sic enim, quod ad me spectat, me tibi tuisque rationibus addictissimum semper fore polliceor, ut non modo pro communi nostra? utriusque vocationis vinculo, fraterna quaeque obsequia a me expectare debeas, sed etiam omnem quam optare placuerit, servi fidelissimi et humillimi accuratissimam operam. Itaque, sive Vestrae Illustrissimae ac Reverendissimae Dominationis consecrationi celebrandae, sive ubi occasio sese dederit, omnibus aliis officiis quae e re sua suorumque fore existimaverit, me semper paratissimum et obsequentissimum habebit.

            Interim, non desinam impensius a Domino Salvatore nostro petere ut tibi mittat auxilium de sancto, quo navem illam tuam gravissimis procellis agitatam, ad [161] optatum pacis ac foelicissimae pietatis portum salvam perducas.

            Illustrissimae ac Reverendissimae Dominationis Vestrae,

            Humillimus in Christo frater et servus,

                                                           F. E. G.

            Annessii Grebennensium, XXII Februarii 1614.

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur dans le Christ,

            C'est d'une tres profonde et particulière tristesse que mon âme a [158] été saisie et affligée à la mort de l'Illustrissime et Révérendissime Mgr Adrien, votre prédécesseur, non seulement à cause de l'honneur que je portais à un tel Prélat et de la bienveillance dont il m'honorait en retour, mais principalement à cause de la perte prématurée que vient de faire, d'un si excellent Prince et Pasteur, la célèbre église de Sion et tout le pays de Valais, en un temps si fâcheux; car, selon nous, en fait de zèle et d'habileté pour défendre la religion des ancêtres et pour propager la foi catholique, l'Evêque défunt n'avait pas son pareil.

            Mais dès que nous eûmes appris la promotion de Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie, par un vénérable chanoine de [159] votre église qui était venu ici pour une Ordination, et qu'il nous eût dit, avec force détails, les très riches qualités de votre éminente personne, notre tristesse alors se changea en joie et nos airs de deuil en des chants d'allégresse. Nous rendimes à Dieu de grandes actions de grâces de ce qu'il n'avait pas laissé sa lampe s'éteindre en Jérusalem, et de ce qu'il avait remplacé le père par le fils, pour l'établir sur cette cité de Sedunum, que nous appelons Sion.

            Aussi, par nos amis (entre lesquels le noble seigneur de Quartery tient un des premiers rangs depuis longtemps), j'ai adressé mes félicitations à Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie, et vous, Monseigneur, à votre tour, vous m'avez envoyé vos très cordiales salutations par l'illustre et Révérendissime Abbé de Saint-Maurice. [160]

            Ainsi donc, Illustrissime et Révérendissime Prélat, l'amitié de votre prédécesseur envers moi, qui paraissait éteinte, va revivre et durer plus assurée et plus confiante que jamais. J'en ai pour garant vos sympathies, que me témoigne votre lettre, et le désir extrême que j'ai d'y correspondre. Pour moi, je puis vous promettre un dévouement très fidèle à votre personne et à vos intérêts. Vous pouvez compter sur moi, non seulement pour tous les services fraternels qui dépendent de notre commune vocation, mais encore pour le concours empressé que vous attendriez d'un très dévoué et très humble serviteur. Si donc Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie a besoin de moi pour sa consécration, ou suivant l'occasion, pour n'importe quel autre service, que ce soit pour son utilité personnelle ou pour celle des siens, elle me trouvera toujours prêt et disposé à lui faire plaisir.

            Cependant, je ne cesserai de demander avec instance à notre Seigneur et Sauveur qu'il vous envoie le secours d'en-haut, pour conduire heureusement votre vaisseau parmi les furieuses tempêtes déchainées contre lui, jusqu'au port désiré de la paix et de la bienheureuse piété.

            De Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie,

            Le très humble frère et serviteur dans le Christ,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, le 22 février 1614.

 

 

 

Autre minute de la lettre précédente

 

            Intima ac peculiari Illustrissimi D. Adriani, Dominationis Tuae Rmae et Illmae antecessoris, obitus animum meum affecit mestitia, non tantum propter eam qua tantum Praesulem colebam observantiam, aut illam qua vicissim ipse me recreabat benevolentiam, sed ideo maxime quod Sedunensis Ecclesia et universa Vallesiorum gens, insigni Principe ac Pastore orbata remansisset, cui [162] vel religioni avitae ac Catholicae tuendae augendaeve, zelo ac peritia neminem in illis partibus comparandum inter superstites esse existimabamus.

            Verum, ubi de Illmae et Rmae Dominationis Vestrae promotione, a Rdo Canonico Ecclesiae Vestrae accepimus qui, etiam ipse, nos de dotibus quibus Deus omnipotens Vestram Rmam Personam uberrime cumulavit, ad amussim quoad per eum fieri poterat edocuit, tum vero, Illme et Rme Praesul, tristitia nostra versa est in gaudium, aut, ut more Sacrae Scripturae dicam, versa est in cytharam, qua nimirum gratias plurimas Deo ageremus quod lucernam suam in Hierusalem non extinxisset, sed pro patribus filium nasci fecisset, quem constitueret principem super omnem illam terram tibique fausta ac salutaria praecaremur.

            Tum vero per amicos (inter quos nobilis vir D. Quarterius in primis locum jamdudum obtinet) Rmam V. Dominationem salutandam duximus, cum praecipue multum [163] Illris et Rdus D. Abbas Agaunensis, me jam vestro nomine per litteras salvere jussisset.

            Sic ergo, Illme et Rme Praesul, quae intercepta mihi videbatur antecessoris tui amicitia, nunc rediviva tua, quam ex litteris tuis percipio propensione, firmior ac constantior futura est. Sic enim, quod ad me spectat, tibi deinceps tuisque omnibus rationibus addictum fore me polliceor, ut non modo pro communi nostrae utriusque vocationis vinculo fraterna quaeque obsequia a me expectare debeas, sed humillimam et accuratissimam servi fidissimi et devotissimi quam optare tibi placuerit operam. Itaque, sive Vestrae Illmae Dominationis consecrationi celebrandae, sive ubi sese occasio dederit populo illi commisso per nostros sacerdotes quoad per me [fieri] poterit juvando, me semper paratissimum et obsequentissimum habiturum spondeo.

            Interim vero, quod hactenus feci, non desinam impensius praestare, ut scilicet a Deo Salvatore nostro tibi [164] auxilium de sancto exoptem, ut spiritu principali confirmatus, navem illam, jamdudum gravissimis procellis agitatam salvam ad optatum pacis ac felicissimae pietatis portum perducas.

 

Revu sur 1'Autographe conserve a la Visitation de Turin.

 

 

 

            Une profonde et particulière tristesse s'est emparée de moi à la mort de l'Illustrissime Mgr Adrien, prédécesseur de Votre Seigneurie Révérendissime et Illustrissime, non seulement pour le respect que je portais à un tel Prélat, ou pour la bienveillance dont il me gratifiait en retour, mais surtout parce que l'Eglise de Sion et tout le pays du Valais demeuraient privés d'un si excellent Prince et Pasteur. A [162] notre avis, parmi ceux qui lui survivent, personne ne pourrait lui être comparé pour le zèle et l'habileté, soit pour défendre la religion des ancêtres, soit pour propager la foi catholique.

            Mais en apprenant la promotion de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime par un révérend chanoine de votre Eglise, qui nous a dit aussi de quels dons le Dieu tout-puissant a comblé abondamment votre Révérendissime personne, notre tristesse s'est changée en joie ou, afin de parler comme la Sainte Ecriture, en cythare, rendant à Dieu de grandes actions de grâces de ce qu'il n'avait pas éteint sa lampe en Jérusalem, mais de ce qu'il avait fait naître à la place des pères un fils, pour l'établir chef sur tout ce pays; en même temps, nous avons songé à vous adresser tous nos vœux de bonheur et de salut.

            C'est alors que, par des amis (au nombre desquels M. de Quartery tient depuis longtemps la première place), nous avons fait parvenir nos félicitations à Votre Révérendissime Seigneurie, mais déjà le très [163] illustre et Révérend Abbé de Saint-Maurice nous avait, par lettre, salué de votre part.

            Ainsi, Illustrissime et Révérendissime Prélat, l'amitié de votre prédécesseur, qui me paraissait brisée pour toujours, va revivre plus ferme et plus suivie que jamais, si j'en juge par les sympathies que témoigne votre lettre. Pour moi, me voici désormais tout dévoué à votre personne et à vos intérêts, je vous en fais la promesse. Vous pouvez attendre de moi, non seulement les services fraternels qui dépendent de notre commune vocation, mais encore l'assistance la plus humble et la plus dévouée que vous désireriez du plus fidèle et du plus attaché des serviteurs. Qu'il s'agisse de la cérémonie du sacre de Votre Illustrissime Seigneurie, ou de donner secours à votre peuple, suivant l'occasion, par le ministère de nos prêtres, autant que cela dépendra de nous, je vous l'assure, vous me trouverez toujours prêt et tout empressé.

            En attendant, je continuerai avec plus d'instance ce que j'ai fait [164] jusqu'a present, en vous souhaitant, de Dieu notre Sauveur, le secours d'en-haut, afin que, confirme par l'esprit de force, vous conduisiez heureusement votre vaisseau parmi les redoutables tempetes qui 1'assaillent, au port désiré de la paix et de la bienheureuse piété.

 

 

 

CMLXI. A M. Claude de Blonay. Une entrevue jugee necessaire.

 

Annecy, 27 fevrier 1614.

 

                        Monsieur,

            Je loüe Dieu dequoy vous viendres, car cela sera a propos pour arrester toutes choses avec le bon M. le Prieur, lequel ne desire pas retourner en Chablaix. Mays je vous en ay escrit plus au long par le sieur Jaquart. [165]

            Cependant, aymes moy tous-jours, et saches que personne du monde n'est plus que moy,

            Monsieur,

                                               Vostre humble tres affectionne confrere serviteur,

                                                                                                                      F., E. de Geneve.

            XXVII febvrier 1614.

                        A Monsieur

            Monsieur de Blonnay,

                        Prefect de la Ste Mayson.

                                   A Thonon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant a M. le comte de la Fléchère,

à Saint-Jeoire (Haute-Savoie).

 

 

 

CMLXII. A M. Antoine des Hayes. Entremise du Saint pour l'une de ses parentes. — Son aversion pour les affaires d'intérét. — Passage a Chambèry du Cardinal d'Est.

 

Annecy, 17 mars 1614.

 

                        Monsieur,

            C'est a tous propos, et pour cela presque hors de propos, que je vous importune des occurrences qui me viennent; mays la faveur de vostre bienveuillance m'asseure. Je vous supplie de prendre la peyne de voir le memorial ci joint, et de considerer si on pourroit en quelque sorte faire ressentir a madame d'Angoulesme l'obligation qu'ell'auroit de tenir compte a la seconde seur de la damoyselle de Charansonay, de la moytié de la [166] legitime de sa mere; car, selon l'advis que vous prendres la peyne, sil vous plait, de m'en donner, je verray si ce sera chose qui se puisse entreprendre. Or, la damoyselle qui praetend est ma parente, et pour me porter encor davantage, elle me veut donner la moytie de ce qu'elle pourroit avoir, pour estre employee en ceuvres pies. Mays pourtant, j'ay une telle aversion de telles affaires, que sinon quil y eut grande apparence et de la facilite, je ne voudrois pas y penser. Je vous supplie donq, Monsieur, de me faire la grace que de me faire sçavoir si, toutes choses considerees, c'est une praetention digne d'estre relevee.

            Je vous escrivis il ny a que trois jours, et a Mme de Charmoysi, qui me retiendra de vous entretenir davantage, estant mesmement presse du depart de ce jeune gentilhomme qui, par sa courtoysie, m'offre bien de retarder, mais il n'est pas raysonnable. Je suis a jamais, et par mille sorte de devoir (sic), Monsieur,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANҪS, E. de Geneve.

            XVII mars 1614.

            Monsieur, je salue tres humblement madame vostre [167] femme et suis son tres humble serviteur. Monsieur de Charmoysi est a Chambery, ou il est rendu pour le passage du Cardinal d'Est, et se porte fort bien; qui est tout ce que je pourrois dire de plus aggreable a Mme de [Charmoysi sa femme, ma cousine,] que je salue icy [avec vostre permission.]

                        A Monsieur

Monsieur des Hayes, Maistre d'hostel du Roy,

            Gouverneur de la ville et chasteau de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chartres.

 

CMLXIII. A la Mère de Chantal. Le texte des Litanies de saint Joseph, revu, corrigé et accentué par le Fondateur de la Visitation.

 

Annecy, 19 mars 1614.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Voyla les Litanies du glorieux Pere de nostre Vie et [168] de nostre Amour. Je croyois de vous les envoyer escrittes de ma main; mais, comme vous sçavés, je ne suis pas a moy. J'ay neanmoins pris le loysir de les revoir, de les corriger et d'y mettre les accens, affin que nostre fille de Chastel ayt plus de facilité a les chanter sans y faire des fautes.

            Mais vous, ma Fille, qui ne pourrés pas chanter les louanges de ce Saint de nostre cœur, vous les ruminerés, comme l'Espouse, entre vos déns; c'est a dire, que vostre bouche estant close, vostre cœur sera ouvert a la meditation des grandeurs de cet Espoux de la Reyne de tout le monde, nommé Pere de Jesus, et son premier adorateur apres sa divine Espouse.

 

Revu sur un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au 1er Monastère d'Annecy. [169]

 

CMLXIV. A Madame de la Valbonne (Fragment). Pourquoi l'intercession de saint François de Paule est propice à l'espérance des mères.

 

Annecy, [2 avril] 1614.

 

            J'ay mille fois pensé pourquoy les fideles invoquent cet admirable vierge et austere hermite pour avoir des enfans, et en fin j'ay creu que, parce qu'il a tant aymé la simplicité, la petitesse et les petitz, Dieu accorde ordinairement des petitz enfans a ses devotz, quand ilz les demandent dans l'esprit du Saint, pour la gloire de Dieu, le salut des ames et la paix des familles.

 

Revu sur un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation,

conservé au Ier Monastère d'Annecy. [170]

 

 

 

CMLXV. A un gentilhomme (Billet inedit). Remerciements pour un envoi de venaison.

 

Annecy, 12 avril 1614.

 

                        Monsieur,

            Je vous remercie humblement de vostre souvenance et de la venayson, louant Dieu de vostre guerison, que je vous souhaiteray tous-jours longue et heureuse, puisque de tout mon cœur je suis,

            Monsieur,

                                                                                  Vostre plus humble tres affectionné,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XII avril 1614.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Menthon,

au château de Menthon (Annecy).

 

CMLXVI. A Madame de la Fléchère. Une lettre recommandée.

 

Annecy, 12 avril 1614.

 

            Cette lettre, ma tres chere Fille, vous est recommandee, ne sçachant a qui mieux en faire l'addresse a cause [171] du passage du cousin. Je n'ay encor peu voir la bonne Mere, ni presque respirer.

            Dieu vous comble de son tres saint amour, et je suis,

                        Ma tres chere Fille,

                                               Plus que vostre tres humble  

            12 avril 1614.

 

 

 

CMLXVII. A la Mère de Chantal (Inédite). Deux plans proposés pour la première église de la Visitation. — Le saint Fondateur désire «une petite eglisette bien façonnee.»

 

Annecy, [vers le 14 avril] 1614.

 

            L'eglise seroit plus belle dehors, le cœur (sic) estant sur la riviere, avec le presbitere; la faysant dedans, il faudra chercher place ailleurs pour une cave pour retirer le bois et pour toutes les commodités que le bas estage de la tour pouvoit fournir. Vostre cœur sera dautant [172] moins propre a la santé quil sera plus bas, et faudra une grande descente pour y venir des le dortoir. Vostre dortoir ne sera pas de plain pied, et en somme, il me semble qu'il y aura bien de la peyne d'egaler la bienseance et commodité de l'un des desseins a l'autre. Il est vray que le dernier proposé sera d'abord de moindre despense et plus promptement executé. Je dis d'abord, par ce qu'en fin il faudra despendre pour faire les commodités domestiques hors de la tour, qu'on avoit projetté de faire dans icelle.

            Pour moy, j'aymerois mieux une petite eglisette bien façonnee dehors, que ce grand et inutile vaste dedans. Toutefois il n'est pas raysonnable que mon opinion soit suivie, car je n'entens rien en tout cela; ouy bien a cherir pretieusement ma tres chere et tres bonne Mere comme moy mesme. Que Dieu soit a jamais emmi son cœur et le mien. Amen.

            C'est pour obeir que j'escris ceci.

 

Revu sur l'Autographe conservé chez les RR. PP. Missionnaires

de Saint-François de Sales, à Annecy. [173]

 

 

 

CMLXVIII. Aux Chanoines de la Collegiale de Sainte-Marie de Samoens. Les statuts du Chapitre de l'église cathédrale d'Annecy doivent servir de type à la collégiale de Samoëns.

 

Annecy, 22 avril 1614.

 

                        Messieurs,

            Conferant avec M. vostre Doÿen sur le reglement du service et affaires de vostre eglise, j'ay jugé quil falloit que vous eussies une copie des statutz de nostre cathedrale pour, sur iceux, former les vostres entre vous, et par apres en venir icy traitter avec moy. Il vous expliquera plus amplement mon intention, qui me fera finir la presente me recommandant a vos prieres et disant,

            Messieurs,

                        Vostre plus humble tres affectionné confrere,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            22 avril 1614.

                        A Messieurs

Messieurs du Chapitre de Samoen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Riondel, à Samoëns (Haute-Savoie). [174]

 

 

 

CMLXIX. A Madame d'Escrilles. Compassion et consolation du Saint. — Etre sur la croix, grace insigne pour les âmes dédiées à Dieu.

 

Annecy, 30 avril 1614.

 

            L'autre jour que la bonne madame de Treverney fut icy, je sceu plus amplement la varieté des travaux parmi lesquelz vous vives, ma tres chere Seur, ma Fille, et certes, j'en eu de la compassion, mais plus de consolation encores, sur l'esperance que j'ay que Dieu vous tiendra de sa main et vous conduira, par ce chemin qu'il a frayé, a beaucoup de perfection; car je veux croire, ma chere Seur, que vous voulés demeurer eternellement liee a la tressainte volonté de cette divine Majesté et que vous luy aves consacree toute vostre vie. Et cela estant ainsy, quelle grace d'estre non seulement sous la croix, mais sur la croix, et au moins un peu crucifiee avec Nostre Seigneur! Ayes bien courage, ma chere Seur, convertisses la necessité en vertu, et ne perdes pas l'occasion de bien tesmoigner vostr'amour envers Dieu parmi les tribulations, ainsy quil tesmoigna le sien envers nous parmi les espines.

            Mon ame souhaite le comble de toute sainteté a la vostre, et suis d'un'affection invariable,

                        Vostre humble, tres affectionné frere et serviteur,

                                                                                              F., E. de Geneve.

            XXX avril 1614.

            Ce porteur va prendre M. de Charmoysi a une journee de Mascon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Reims. [175]

 

CMLXX. Au Roi de France, Louis XIII (Minute). Remerciement au Roi pour une aumône promise à l'église de Gex.

 

Annecy, [février-mai] 1614.

 

                        Sire,

            Rien n'est caché a la chaleur du soleil en ce monde; rien n'est non plus esloigné du soin des bons Rois en leurs monarchies. C'est pourquoy Vostre Majesté a regardé l'eglise de Gex, qui est sur le fin bord du royaume, et la voyant extremement miserable, luy a ordonné aumosne de trois cens escus; pour laquelle je vay maintenant [176] en esprit, avec tous les Catholiques de ce lieu-la, en faire action de graces a vostre charité royale, Sire, laquelle nous supplions en toute humilité nous vouloir donner la jouissance de ce bienfait duquel nous avons des-ja la concession, pour laquelle nous implorerons a jamais la souveraine bonté de Nostre Seigneur qu'elle conserve et prospere Vostre Majesté en l'abondance des graces celestes.

            C'est le souhait perpetuel,

                        Sire,

                                   De vostre tres humble et tres obeissant

                                               orateur et serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

 

CMLXXI. A la Mère de Chantal. Impressions rétrospectives de l'Evêque de Genève à propos de l'ostension du saint Suaire. — Ce qui lui vint au cœur de dire au Cardinal de Savoie. — Une recette de Mme de Boisy. — La mort, source de la vie nouvelle.

 

Annecy, 4 mai 1614.

 

            En attendant de nous voir, ma tres chere Mere, mon ame salue la vostre de mille et mille souhaitz. Que Dieu la remplisse toute de la vie et mort de son Filz Nostre Seigneur!

            J'estois il y a un an, et environ ces heures, a Turin, et monstrant le saint Suaire parmi un si grand peuple, plusieurs gouttes de la sueur qui tomboit de mon visage [177] rencontrerent dedans le saint Suaire mesme; et nostre cœur, sur cela, fit ce souhait: Hé, playse vous, Sauveur de ma vie, mesler mes indignes sueurs avec les vostres, et destremper mon sang, ma vie, mes affections dedans les merites de vostre sacree moiteur!

            Ma tres chere Mere, le Prince Cardinal se cuyda fascher dequoy ma sueur degouttoit sur le saint Suaire de mon Sauveur; mais il me vint au cœur de luy dire que Nostre Seigneur n'estoit pas si delicat, et qu'il n'avoit point respandu de sueur ni de sang que pour les mesler avec les nostres, affin de leur donner le prix de la vie eternelle. Ainsy puissent nos souspirs s'allier aux siens, affin qu'ilz montent en odeur de suavité devant le Pere eternel.

            Mais dequoy me vay-je souvenir? J'ay veu que quand mes freres estoyent malades en leur enfance, ma mere les faysoit coucher dans la chemise de mon pere, disant que les sueurs des peres estoyent salutaires aux enfans. O que nostre cœur se couche, en cette sainte journee, [178] dans le Suaire de nostre divin Pere, enveloppé de ses sueurs et de son sang; et que la, il soit, comme [à] la mort mesme de ce divin Sauveur, enseveli dans le sepulchre d'une invariable resolution de demeurer tous-jours mort en soy mesme jusques a ce qu'il resuscite en la gloire eternelle. Nous sommes ensevelis, dit l'Apostre, avec Jesus Christ en la mort d'iceluy, affin que nous ne vivions plus de la vielle vie, mais de la nouvelle. Amen.

                                                                                              FRANҪS, E. de Geneve

            Le 4 may 1614.

 

 

 

CMLXXII. A Madame de la Fléchère. Etre toute sainte : ce que renferme ce bref souhait. — La valeur d'une once de douceur durant un procès. — Une heureuse naissance.

 

Annecy, 5 mai 1614.

 

            Je vous escris un billet par ce que c'est sans loysir, a cause quil me faut escrire en beaucoup de lieux. C'est seulement aussi pour vous saluer cherement, ma tres chere Fille, que mon cœur souhaite toute sainte, et par consequent toute tranquille, toute juste, toute douce en la poursuite que vous aves a faire maintenant, sachant bien qu'une once de douceur et de charité emmi le soin d'un proces en vaut dix mille parmi les ordinaires occupations. [179]

            La chere niece est accouchee heureusement d'un gros garçon, bien nourri et fort vif, et delivree de sa fievre et de ses autres incommodités. Nostre seur la Religieuse la doit venir voir, elle sera bien ayse de treuver tout fait.

            Ma tres chere Fille, je suis parfaitement tout vostre. Je n'oublieray pas le rafraischissement de la recommandation que le cher mari desire.

            Le 5 may 1614, a Neci.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin,

Archives de l'Etat.

 

CMLXXIII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Gratitude et félicitations. — Un Théatin célèbre du temps, orateur et écrivain.

 

Annecy, 10 mai 1614.

 

            Je vous remercie tous-jours parce que tous-jours vous me favorisés, et je vous remercieray encor tous-jours [180] parce que je ne veux estre tout a fait ingrat, ni je ne puis autrement tesmoigner que je ne [le] veux pas estre.

            Je loüe Dieu de l'heureux retour de Leurs Altesses et du contentement que vous receves de leurs faveurs, qui sont donnees a vostre zele pour vostre service et dont vous aves rendu de si bonnes preuves ci devant.

            Vous me rendes trop glorieux, Monsieur, de me promettre l'honneur de la bienveuillance de ce rare ambassadeur de Dieu, qui a si bien traitté des affaires celestes a Saint Jean le Caresme passé, et de me faire esperer la veuë de son Ajo del Christiano, livre qui, par le nom de son autheur et par son tiltre, ne promet rien moins que la perfection de son espece.

            Cependant vous nous laissés entre l'attente et la crainte [181] de vostre retour soudain et de vostre plus long sejour. Comme que ce soit, Dieu vous comble de prosperité, avec madame ma cousine et tout ce qui vous est plus cher, et j'ay l'ordinaire honneur,

            Monsieur, d'estre

                                                                       Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANҪS, E. de Geneve.

            10 [mai] 1614.

                        A Monsieur

[Monsieur] le Comte de Tornon.

                        A Thurin.

 

CMLXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Un moyen d'accroître la dévotion au pays du Chablais. — L'abbaye de Ripaille et la piété des princes de Savoie. — Fermeté et constance de l'Ordre des Chartreux.

 

Annecy, 12 juin 1614.

 

                        Monseigneur,

            Lhors que j'eu l'honneur de faire la reverence a Vostre Altesse il y a un an, je luy proposay de faire loger les RR. Peres Chartreux en l'abbaye de Filly en Chablaix, pour l'accroissement de la devotion qu'un si saint Ordre feroit en ce pais la et pour l'ornement que la reparation [182] d'une abbaye si remarquable y apporteroit. Mays du despuis, ayant sceu que Vostre Altesse avoit jette ses yeux et son desir sur Ripaille pour le mesme effect, je m'en suis infiniment res-joui; et en toute humilité je la supplie d'en ordonner au plus tost l'execution, affin que nous voyons en nos jours la pieté restablie en un lieu qui a esté rendu tant signalé par celle que Messeigneurs les predecesseurs mesmes de Vostre Altesse y tint si saintement et honnorablement prattiquee; asseurant qu'en meilleures mains le genereux et pieux dessein de cette restauration ne pourroit estre confié, qu'en celles d'un Ordre si ferme et constant comme est celuy des Chartreux, lequel, ayant tous-jours esté des son commencement fort obligé a la serenissime Mayson de Vostre Altesse, luy a aussi reciproquement tous-jours esté et est tres affectionné et dedié.

            Et tandis, je continue a supplier incessamment la divine Majesté qu'elle respande a jamais toutes ses plus cheres benedictions sur la personne et la couronne de Vostre Altesse, de laquelle je suis,

            Monseigneur,

                                               Tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                                           orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANҪS, E. de Geneve.

            A Neci, le 12 juin 1614. [183]

 

CMLXXV. A Madame de la Fléchère. Le baptême d'un neveu du Saint : il se promet d'y voir M. et Mme de Charmoisy. — Nouvelles et messages.

 

Annecy, 13 juin 1614.

 

            Ce billet escrit a l'impourveu vous saluera, ma tres chere Fille, de la part de mon ame qui ayme parfaitement la vostre en Nostre Seigneur. Je n'ay eu nul moyen de respondre a vos lettres jusqu'a present.

            Mercredi nous allons faire le baptesme du petit neveu, et la grande niece se porte beaucoup mieux. Nous pensons y avoir M. et Mme de Charmoysi; car encor que mon frere ne le sçache pas, estant neanmoins tous les deux a Dalmaz pour les noces de madamoyselle de Dalmaz, il y a de l'apparence qu'ilz viendront a Presles, ou estant, il n'y auroit pas de l'apparence de ne les supplier pas, principalement parce que nous n'avons encor point veu la chere cousine.

            Or sus, ce pendant allés bien doucement sur le pavé de Chambery a la sollicitation de vostre affaire; mais je dis bien doucement, car c'est l'importance. [184]

            Madame nostre seur de Bons est a la Visitation, mais je ne l'ay encor point veuë. Madame des Crilles pense estre receuë le jour de la Visitation. Salués, je vous prie, de tout mon cœur nostre seur madame de Brescieu, et madame de la Valbonne et madame d'Aiguebelette.

            Je suis sans fin,

                                                                                  Tout vostre en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 13 juin 1614.

            A Madame de la Flechere.

 

CMLXXVI. A la même. Le duel et les censures de l'Eglise au XVIIe siècle. — Le courage «desreglé» des catholiques qui acceptent le duel. — Ce qui tourmentait le plus François de Sales à leur sujet. — Une pieuse industrie.

 

Annecy, 22 juin 1614.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je voy par vostre lettre l'estat de l'ame du cher mari, par le duel desseigné, et non commis, auquel il s'estoit resolu. Je ne pense pas qu'il y ait excommunication, [185] car il n'est venu a aucun effect porté par les Canons. Mais, ma tres chere Fille, je confesse que je suis scandalizé de voir des ames bonnes catholiques, et qui d'ailleurs ont de l'affection a Dieu, estre si peu soigneuses du salut eternel, que de s'exposer au danger de ne voir jamais la face de Dieu et de voir a jamais et sentir les horreurs de l'enfer. En verité, je ne puis penser comme l'on peut avoir un courage si desreglé, mesme pour des bagatelles et choses de rien.

            L'amour que je porte a mes amis, mais specialement au cher mari, me fait herisser les cheveux en teste quand je sçai qu'ilz sont en tel peril, et ce qui me tourmente le plus, c'est le peu d'apparence qu'il y a qu'ilz ayent le vray desplaysir qu'il faut avoir de l'offense de Dieu, puis qu'ilz ne tiennent conte de s'en empescher a l'advenir. Que ne ferois-je pas pour obtenir que telles choses ne se fissent plus!

            Or, je ne dis pas cecy pour vous inquieter. Il faut esperer que Dieu nous amendera tous ensemblement, pourveu que nous l'en supplions comme il faut. Procurés donq que le cher mari se confesse, car encor que je ne pense pas qu'il soit en excommunication, il est neanmoins en un terrible peché mortel, duquel il faut qu'il sorte soudain; car l'excommunication ne se contracte qu'avec les effectz, mais le peché se contracte par la volonté.

            Je pense que j'auray bien tost le brasselet de la presence de Dieu, que je supplie vous benir de toutes [186] les desirables benedictions que vous puissiés desirer, ma tres chere Fille.

                                                                       Vostre plus humble et tres affectionné

                                                                                  serviteur et compere,

                                                                                                          FRANҪS, E. de Geneve.

            Le 22 juin 1614, a Neci.

 

CMLXXVII. A M. Claude de Quoex. Avis et démarches pour obtenir l'annulation des vœux de Mme des Gouffiers.

 

Annecy, [juin ou juillet] 1614.

 

                        Monsieur,

            Je vous supplie de voir la lettre de nostre monsieur de Sainte Catherine et me faire sçavoir, si pourtant vous en aves connoissance, quell' est la sentence dont il fait mention en la 2me ligne, comm'aussi sil seroit asses tost pour escrire que l'on pourroit bien accepter Monseigneur de Lion pour commissaire; car, a ce que je voy, cela faciliteroit beaucoup l'affaire, et Mme de Goffier a receu une lettre de Mme l'Abbesse du Paraclit [187] qui oste tout le scrupule qu'elle pouvoit avoir sur la personne de mondit seigneur l'Archevesque.

            Cependant, engagé dans cet appointement, je vous donne mille fois le bonjour, et suis sans fin,

            Monsieur,

                        Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

                        A Monsieur

Monsieur de Quoex, Conseiller de Sa Grandeur

            et premier Collateral au Conseil de Genevois.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie,

 

CMLXXVIII. A la Mère de Chantal. Préparatifs d'une course sur le lac.

 

Annecy, juillet 1614.

 

            Il est impossible de se treuver demain a 9 heures, car ni madame Vulliat ne sçauroit estre preste, ni je ne sçai comment nostre fille le pourroit estr'aussi, attendu quil faudroit partir au fin moins a trois heures de mattin. Il sera donq mieux de bien s'apprester, prendr'une barque expres et assigner le jour du depart. [188]

            Cependant, mille et mille fois le bon soir, ma tres chere Mere, que Nostre Seigneur veuille a jamais benir. Amen. Et le bonsoir encor a la chere grande fille et a la fille malade.

 

            Revu sur l'Autographe appartenant à M. Grosset, à Genève.

 

 

 

CMLXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Les Pères Barnabites à Annecy. — Le Duc est prié de favoriser leur mission, d'une incomparable utilité pour le collège de la ville.

 

Annecy, 8 juillet 1614.

 

                        Monseigneur,

            Le bien de la venue des Peres Barnabites en cette ville est de si grande consideration, que Vostre Altesse, [189] laquelle l'a si saintement desiré, le fera sans doute puissamment reüscir, non obstant les petites difficultés qui se presentent, qui ne procedent que d'une bonne affection, a laquelle Vostre Altesse donnera, sil luy plait, la mesure et discretion; en sorte que si le Pere General des Barnabites ne pouvoit ouctroyer la dispense qu'on requiert, sa Congregation ne laissast pas pour cela d'estre introduite dans ce college ou, en [190] tous evenemens, ell'apportera un'utilité incomparablement plus desirable que tout ce qui s'y est fait jusques a present.

            J'en supplie donq en toute humilité Vostre Altesse Serenissime, que Dieu face a jamais prosperer, selon l'extreme et continuel souhait,

            Monseigneur, de

                                                           Vostre tres humble et tres obeissant

                                                                       serviteur et orateur,

                                                                                              FRANÇS, Evesque de Geneve.

            VIII julliet 1614, a Nessy.

A Son Altesse Serenissime.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

CMLXXX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Nouvelles de la santé du Saint. — Regret d'avoir manqué une visite désirée.

 

Annecy, 11 juillet 1614.

 

            Que je fus marri, ma tres chere Fille, quand a mon reveil je sceu que le cher mari m'avoit demandé, car j'avois bien envie de l'entretenir un peu; mays je n'avois pas peu dormir la nuit, pour le reste de quelques inquietudes corporelles que trois ou quatre jours de flux de ventre m'avoyent laissee (sic). Or pourtant, cela n'a rien esté sinon une evacuation de catarre, sans laquelle indubitablement j'allois estre fort malade; la ou [191] maintenant je me porte fort bien, quoy que tous-jours un peu incommodé de ce flux qui, petit a petit, va passant.

            Ma tres chere Fille, pries tous-jours bien Dieu pour mon cœur, qui vous ayme d'un amour plus que paternel, affin quil se purifie et que l'amour divin y regne sans exception, reserve, ni fin quelcomque; car ainsy ne cesse-je de vous souhaiter une parfaite sainteté.

            Je m'en vay voir nostre pauvre Mere et la bonne Mme d'Escrilles qui m'attendent; je les salueray de vostre part, comme je vous prie de saluer la chere seur.

            Je suis d'un'ame nompareille,

                                                                                  Tout vostre,

                                                                                                          F., E. de Geneve.

            XI jullet 1614.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Màcon.

 

 

 

CMLXXXI. Au Roi de France, Louis XIII. Actions de grâces pour une gratification accordée aux églises du pays de Gex.

 

Annecy, 31 juillet 1614.

 

                        Sire,

            Les Catholiques de Gex et moy avons receu les trois cens escus d'aumosne que Vostre Majesté a donnés pour la reparation des eglises, avec une tres humble reverence et action de graces, non seulement parce que les [192] faveurs qui proviennent de si haut lieu sont tous-jours de grande estime, mais aussi parce que ce sont comme des arrhes de plus grans bienfaitz pour l'avenir; dont nous en esperons que la royale bonté de Vostre Majesté regardera de son œil propice la misere a laquelle l'heresie a reduit ce pauvre balliage, pour respandre a son secours les graces et assistances qui luy peuvent servir de remede.

            Ainsy Dieu soit a jamais le protecteur de Vostre Majesté, Sire, pour la combler des saintes benedictions que luy souhaitte

                                                           Vostre tres humble et tres obeissant

                                                                       orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            31 julliet 1614, a Nessi.

 

 

 

CMLXXXII. Au Duc de Bellegarde. Double interprétation du titre de «filz» désiré par le destinataire. — Exhortation aux pratiques de piété. — Le monde, malgré sa malignité, estime les vrais dévots et la dévotion sérieuse et toute suave.

 

Annecy, 31 juillet 1614.

 

                        Monsieur,

            J'ay receu la lettre par laquelle Vostre Grandeur s'abbaisse jusques a me conjurer que des-ormais je l'appelle mon Filz. Et ma petitesse s'esleve bien aussi jusques la que de le vouloir faire et penser que je le puis, sans faire tort a ce que vous estes, bien qu'a la verité ce sera chose rare de voir la disproportion d'un si chetif pere avec un enfant si relevé. Mays la nature mesme, qui est si sage, a bien fait une pareille singularité en une plante que les arboristes nomment communement le filz avant le pere, parce qu'elle pousse son fruit avant ses fleurs. Et puis, [193] vous ne regardés pas, comme je pense, ma personne, mais cet Ordre sacré duquel elle est doüee, qui est le premier de tous les Ordres en l'Eglise, de laquelle vous aves cet incomparable honneur et bonheur d'estre un membre vivant, et non seulement vivant, mais animé de l'amour sacré, qui seul est la vie de nostre vie, comme vos bons desirs tesmoignent.

            Or sus donq. Monsieur, je vous appelleray des-ormais mon Filz: mais parce que vous seriés ennuyé de voir tous-jours les protestations du respect avec lequel j'useray de ce terme d'amour, je vous veux dire une fois pour toutes que je vous nommeray mon Filz avec deux differentes mais accordantes affections, dont Jacob appella deux de ses enfans, enfans et filz. Car voyés-vous, Monsieur, il appella son cher Benjamin, son filz, avec un cœur si plein d'amour, que pour cela on a despuis appellé ainsy tous les enfans bienaymés de leurs peres. Mais son cher enfant Joseph, devenu vice roy en Egypte, il l'appella son filz avec un amour si plein d'honneur, que, pour ce grand honneur, il est dit que mesme il l'adora; car si bien ce fut en songe, ce ne fut pas en mensonge, mais en verité, que ce grand gouverneur d'Egypte avoit veu, lhors de son enfance, que son pere, sous le signe du soleil, luy faysoit une profonde reverence que l'Escriture Sainte appelle du nom d'adoration.

            Voyla donq comme je proteste de vous appeller mon Filz: et comme mon Benjamin d'amour, et comme mon Joseph d'honneur. Ainsy, ce mot de Filz sera plus plein d'honneur, de respect et de reverence que celuy de Monsieur; mais d'une reverence toute destrempee en l'amour, pour le meslange duquel elle respandra en mon ame une suavité qui n'aura point d'esgale. C'est pourquoy je n'adjousteray point au nom de Filz celuy de Monsieur, sinon quelquefois, parce qu'il n'en sera pas besoin, l'un estant plus exquisement compris en l'autre qu'il ne sçauroit estre exprimé.

Que d'ayse, mon cher Filz, quand on me dit que vous estes le seigneur au grand cœur, qui, emmi ces vaines vanités de la cour, demeurés ferme en la resolution que [194] ce cœur a prise de contenter celuy de Dieu! Hé, si faites, mon cher Filz; perseverés a communier souvent et a faire les autres exercices que Dieu vous a si souvent inspirés. Le monde croit de vous avoir des-ja perdu, il ne vous tient plus des siens. Il se faut bien garder qu'il ne vous regaigne, car ce seroit vous perdre du tout que de vous laisser gaigner a cet infortuné que Dieu a perdu et perdra eternellement. Le monde vous admirera et, malgré sa mauvaise humeur, il vous regardera par honneur quand il vous verra emmi ses palais, ses galeries, ses cabinetz, conserver soigneusement les regles de la devotion, mais devotion sage, serieuse, forte, invariable, noble et toute suave.

            Ainsy soit il, mon cher Filz. Qu'a jamais Dieu soit vostre grandeur et le monde vostre mespris. et je suis ce pere qui vous ayme comme son Benjamin et vous honnore comme son Joseph.

                                                                                                          FRANÇS E. de Geneve.

            Le dernier julliet 1614.

 

 

 

CMLXXXIII. Au Baron François du Villars (Inédite). Plainte du Saint contre une prétention exorbitante qu'avaient eue Us protestants à l'assemblée des Etats du bailliage de Gex.

 

Annecy, 1er août 1614.

 

                        Monsieur,

            J'ay sceu tout ce qui s'est passé pour l'assemblee des trois Estatz de vostre balliage au prejudice de celuy [195] des trois qui a tous-jours esté le premier et le plus favorisé en France, et lequel estant sous ma charge pour ce quartier la, permettes moy, Monsieur, que je me plaigne a vous premierement, et que je vous supplie de voir si ce tort se pourra reparer entre vous et ces bons ecclesiastiques, avant que le devoir de ma charge m'oblige de m'en douloir ailleurs. Je vous honnore de tout mon cœur, et tous nos gens d'Eglise vous tiennent pour leur bon pere; mays en cette cause qui regarde la gloire de Dieu et le respect de l'estat ecclesiastique, nous ne pouvons rien dissimuler.

            Consideres donq, Monsieur, que les huguenotz non seulement ne sont pas du clergé, mais haïssent et le nom et la chose sacree quil signifie, et jamais ne fut veu que les ministres fissent cors a part en France. Il n'est pas raysonnable de mettre Dagon sur l'autel avec l'Arche de l'alliance: Dieu l'a declaré.

            Monsieur, je me prometz qu'y ayant bien pensé, vous nous osteres ce juste sujet de plainte, et nous conserverés, comme je desire a jamais continuer, en l'affection qui m'a fait par tout nommer,

            Monsieur,

                                   Vostre plus humble asseuré serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            1 aoust 1614, a Nessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Amiens. [196]

 

CMLXXXbis. A la Mère de Chantal (Fragment). Piété et patience de Gallois de Sales, frère du Saint, durant sa dernière maladie.

 

Sales, 29 ou 30 juillet 1614.

 

            II faut tous-jours, ma chere Fille, que je vous die quelque chose de nos affaires domestiques et de l'estat de la famille a laquelle vous prenes tant de part. Nous venons de rendre icy les derniers devoirs a feu mon tres cher frere de Boisy: il est trespassé despuis peu entre mes bras; je luy ay fermé les yeux et la bouche, mais il [195bis] m'avoit ouvert son cœur d'une maniere si chrestienne dans le Sacrement de Confession, que j'ay de grans sujetz d'esperer que Dieu a receu son ame dans les douceurs de sa misericorde. Au reste, j'ose dire que c'est une chose estonnante des maux qu'il a souffert en tout son cors, et l'espace de plusieurs moys, estant contraint de demeurer dans une mesme posture corporelle, mais avec une pieté et une patience si remarquable, que nous le pouvons nommer le Job de nostre famille. [196bis]

 

 

 

CMLXXXIV. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. François de Sales s'abstient prudemment de fréquenter le duc de Nemours, alors à Annecy. — La réimpression en petit format de l'Introduction à la Vie devote engage l'auteur à préparer une nouvelle édition. — Affaires de MM. du Noyret et de Portes.

 

Annecy, 3 août 1614.

 

                        Monsieur,

            J'ay donné en main propre de Monseigneur le Duc de Nemours les deux lettres que vous m'avies addressee (sic), comme je feray tous-jours fort exactement tout ce qui sera de vos volontés et en mon pouvoir.

            Au demeurant, je suis icy aupres de ce Prince comme n'y estant point, dautant que la multitude des affaires que cette levee d'armees luy donne m'empesche de pouvoir si souvent jouir de lhonneur de sa presence, comme peut estre je ferois en un'autre sayson; laissant a part le viel enseignement: Episcopum in caulis, non in aulis invenire par est. Si vous venes asses tost [197] pour le treuver icy, vous verres que je ne brusle point mes ayslerons a ce flambeau.

            Je ne nie pas, certes, que le favorable tesmoignage que vous rendes a ce pauvre petit livret de l'Introduction ne m'ayt grandement encouragé, et plus en verité que celuy de plusieurs grans personnages qui, sans me connoistre, me l'ont beaucoup recommandé par lettres. Je le revoy maintenant, par ce qu'on le reimprime en petit volume, et j'y treuve infinité de fautes, partie de l'imprimeur, partie de l'autheur, que je corrige tendrement, ne voulant pas, sil se peut, qu'on connoisse sensiblement autre changement que celuy de la correction de l'imprimeur.

            Monsieur du Noyeret a esté grandement consolé d'avoir sceu, selon vostre desir, la souvenance que vous aves eue de luy en m'escrivant. Je suis apres a demesler le reste de son affaire, dont je ne puys venir a chef, ayant [198] deux rudes parties au Conseil secret de Sa Grandeur.

            Ces bonnes Dames de la Visitation escrivent a madame ma cousine, d'une petite ambition qui leur est venue, en laquelle pourtant elles regardent a la gloire de Nostre Seigneur. Pour moy, quant a present, je n'en ay point de plus grande que d'estre fortement avoué de vous,

            Monsieur, et d'elle,

                                               Tres humble, tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            M. des Portes a vostre lettre, et le contentement [199] d'avoir plus heureusement terminé son affaire quil ne pensoit.

            3 aoust 1614.

                        A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise Pensa, à Turin.

 

 

 

CMLXXXV. A Dom Bruno d'Affringues, Général des Chartreux. L'Evêque de Genève sollicite l'admission d'une postulante chez les Chartreusines de Mélan.

 

Annecy, 7 août 1614.

 

                        Mon tres Reverend Pere,

            Outre l'humble remerciment que je dois et fay a V. R. pour le bon accueil qu'il vous pleut de faire a la supplication que je vous presentay, il y a quelque tems, en [200] recommandation de la fille de monsieur de Lornay des Costes, j'adjouste encor mon intercession a mesme intention, affin quil vous playse faire le billet requis au P. dom Vicayre de Melan, qui a dit audit sieur de Lornay que, moyennant cela, sa fille seroit asseuree de sa place.

            Or, je ne fay nulle difficulté de m'obliger a vostre [201] bonté de plus en plus. par ce qu'aussi bien vous doys-je des-ja tout ce que je suis et puis estre, a rayson de tant de faveurs que vous m'aves departies ci devant, et sur tout pour cette rare bienveuillance delaquelle vous rendes tant de tesmoignages a mes amis, qu'ilz m'en glorifient tous extremement, que je vous conjure de me continuer, puis que, vous souhaitant sans fin toute sorte de sainte fœlicité, je suis d'un'affection tres parfaite,

            Mon tres Reverend Pere,

                                               Vostre tres humble confrere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VII aoust 1614, a Nessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Clermont-Ferrand.

 

 

 

CMLXXXVI. Au Baron Jean-Bérold de Cusy (Inédite). Les brebis gagnent à l'absence des mauvais bergers. — Pourquoi on allait à la guerre au dix-septième siècle.

 

Annecy, 8 août 1614.

 

                        Monsieur,

            Je seray bien ayse que vostre curé absente, car il est de ceux la desquelz la residence est plus nuysible aux brebis que l'absence; et je mettrois volontier pour terme de son congé, jusques a ce qu'il soit meilleur et plus sage, mays cela le fascheroit. Quant a pourvoir d'un vicayre, [202] je luy en ay nommé un lequel, s'il veut prendre le parti, vous donnera, je m'asseure. de la satisfaction; et en cas qu'il ne veuille, je penseray, entre ci et mardy, ce que je pourray faire pour vous en prouvoir d'un bon.

            Au reste, je prie Dieu qu'il benisse le voyage de nostre monsieur le baron de Bonvillaret et le vous face revoir, et a madame sa mere, plein de joye et de l'honneur que l'on va chercher a la guerre.

            Ce pendant je demeureray,

                        Monsieur,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII aoust 1614.

A Monsieur le Baron de Cusy.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

 

 

CMLXXXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Saint François de Sales et les offenses. — L'amitié et la charité. — Une amitié un peu forte ne doit pas être chatouilleuse. — Un louable projet de retraite.

 

Annecy, 11 août 1614.

 

            Non certes, Monsieur, je ne suis nullement delicat, amant les ceremonies, les complimens; non, pas mesme [203] les offences ne gastent rien avec moy, si elles ne sont faites et appostees expres pour ruiner l'amitié (je parle de l'amitié, et non de la commune charité que rien ne doit ruiner); car celles qui proviennent de negligence, de foiblesse, d'inconsideration, voire mesme de quelque soudaine passion d'ire, de courroux et de haine, il me semble qu'un'amitié un peu forte les doit supporter, en consideration de nostr'humanité qui est sujette a ces accidens.

            Madame vostre seur vous escrit de son voyage, duquel ell'a conferé avec monsieur des Portes. La pauvreté de cette sayson concourt avec l'amour de l'autre seur pour l'y faire resoudre. Ce qu'elle pretend aller avec Mme de Polinge, dame de grande vertu, et pour estr'aupres d'une seur si sage et devote, rend son desir asses probable. Elle desireroit fort de mener la petite madamoyselle Marguerite, mais, comm' elle m'escrit, elle voudroit qu'elle fut un peu brave d'habillemens, comme sa bonne naissance et sa bonne mine requiert.

            Je prevoy que vous ne viendres pas si tost a cause de la longueur des demain de ce païs-lâ; neanmoins je [204] feray l'advertissement que vous me dites a madame de la Croix, ma cousine, que je treuve fort a propos, bien qu'il ny ait rien a craindre en effect. Mays il est mieux de n'avoir mesmement pas a craindre les ombres en françois, comm'on ne les craint pas en espagnol.

            Vous aures receu une lettre par laquelle ces bonnes Dames de la Visitation demandent une nouvelle faveur a madame ma cousine, que je salue tres humblement, et suis, Monsieur,

                                               Vostre tres humble, tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XI aoust 1614.

                        A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon.

                        A Thurin.

 

Revu sur l'Autographe conservé chez les RR. PP. de Saint-Edme, Abbaye de Pontigny (Yonne).

CMLXXXVIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Une visite empêchée.

 

Annecy, 14 août [1614.]

 

                        Ma tres chere Mere,

            J'avois proposé avec un extreme desir de vous aller un peu voir et saluer a cette veille de la grande feste de nostre Maistresse, mais je n'ay sceu.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rennes. [205]

 

CMLXXXIX. A la Mère Claudine de Blonay, Abbesse de Sainte-Claire d'Evian. Unique préface pour toute une correspondance. — Propriétés de l'eau vive que l'on puise en Notre-Seigneur par la sainte oraison ; erreur et malheur des familles religieuses qui ne s'appliquent pas à cet exercice. — Un ignorant qui en sait plus que beaucoup de savants. — Les Œuvres de sainte Thérèse. — Vertus a faire fleurir dans un monastère. — Utilité d'un bon et vertueux confesseur pour une Communauté.

 

Annecy, 18 août 1614.

 

            Ma tres chere Seur, A cette premiere fois que je vous escris, je vous veux dire deux ou trois motz de preface, qui puissent servir pour toutes les lettres que je vous envoyeray des-ormais selon les occurrences.

            1. Que ni vous ni moy n'y fassions plus aucune preface; car l'amour de Dieu que vous aves sera ma preface envers vous, et le desir que j'ay de l'avoir sera vostre preface envers moy. 2. En vertu de ce mesme amour, ou possedé ou desiré, asseurés vous, ma chere Seur, que vous et toutes vos filles treuveres tous-jours mon ame ouverte et dediee au service des vostres. 3. Mays tout cela sans ceremonies, sans artifice, d'autant qu'encor que nos vocations soyent differentes en rang, ce saint amour auquel nous aspirons nous esgale et unit en luy.

            Certes, ma tres chere Seur, et vous et vos filles estes [206] tres heureuses d'avoir en fin rencontré la veine de cette eau vivante qui rejaillit a la vie eternelle, et de vouloir en boire de la main de Nostre Seigneur, auquel, avec sainte Catherine de tiennes et la bienheureuse Mere Therese, il me semble que vous faites celte sainte priere: Seigneur, donnès-moy de cette eau. Qu'a jamais cette Bonté divine soit loüee, qui luy mesme s'est rendu une source d'eau vive au milieu de vostre compaignie; car a ceux qui s'addonnent a la tressainte orayson, Nostre Seigneur est une fontayne en laquelle on puise par l'orayson l'eau de lavement, de refrigere, de fertilité et de suavité.

            Dieu sçait, ma tres chere Seur, quelz sont les monasteres esquelz ce saint exercice n'est point prattiqué; Dieu sçait quelle obeyssance, quelle pauvreté et quelle chasteté y est observee devant les yeux de sa divine Providence, et si les assemblees des filles ne sont pas plustost des compaignies de prisonnieres que de vrayes amoureuses de Jesus Christ. Mais nous n'avons pas tant besoin de considerer ce mal la, que de peser au juste poids le grand bien que les ames reçoivent de la tressainte orayson. Vous n'estes donq point trompees de l'avoir embrassee, mais trompees sont les ames qui, s'y pouvant appliquer, ne le font pas.

            Et neanmoins, en certaine façon, a ce que je voy, le doux Sauveur de vos ames vous a trompees d'une tromperie amoureuse pour vous tirer a sa communication plus particuliere, vous ayant liees par des moyens que luy seul a sceu treuver et conduittes par des voyes que luy seul avoit conneuës. Relevés donq bien haut vostre courage pour suivre soigneusement et saintement ses attraitz, et tandis que la vraye douceur et humilité de cœur regnera parmi vous, ne doutés point d'estre trompees.

            Le frere N. est un vray ignorant, mais ignorant qui sçait plus que beaucoup de sçavans; il a les vrays fondemens de la vie spirituelle, et sa communication ne vous peut qu'estre utile. Je m'asseure que son Superieur ne [207] vous la refusera pas tandis que vous en useres avec discretion et sans luy donner trop de distraction.

            Je n'ay peu encor lire les livres que vous m'aves envoyé, ce sera a mon premier loysir. Vous aves bien fait de vous apprivoyser avec la bienheureuse Mere Therese, car en verité, ses livres sont un thresor d'enseignemens spirituelz.

            Sur tout, faites regner entre vous la dilection mutuelle, franche, spirituelle; la communauté parfaite, tant aymable et si peu aymee en ce siecle, mesme es monasteres que le monde admire; la sainte simplicité, la douceur de cœur et l'amour de la propre abjection. Mais ce soin, ma tres chere Seur, il faut qu'il soit diligent et ferme, et non empressé, ni a secousses.

            Je seray bien ayse de sçavoir souvent de vos nouvelles, et ne doutés point que je ne vous responde. Monsieur N. me fera prou tenir vos lettres.

            En particulier, ce m'a esté de la consolation de sçavoir la bonté et vertu de vostre Pere confesseur, qui, avec un esprit vrayement de pere envers vous, cooperée a vos bons desirs et est encor bien ayse que les autres y contribuent. Pleust a Dieu que tous les autres de vostre Ordre fussent aussi charitables et affectionnés a la gloire de Dieu! les monasteres qui sont en leur charge seroyent plus parfaitz et plus purs.

            Je resaluë mes cheres Seurs Anne et Marie Salomé, et me res-jouis dequoy elles sont entrees en cette Religion [208] en un tems auquel la vraye et parfaite pieté commence a y refleurir; et pour leur consolation, je leur dis que leur parente Mme des Crilles, qui est maintenant novice a la Visitation, tasche aussi fort de son costé de s'avancer en Nostre Seigneur.

            Ma tres chere Seur, je vous escris sans loysir, mais non pas sars une infinie affection envers vous et toutes vos filles, que je supplie toutes de recommander mon ame a la misericorde de Dieu, comme de ma part je ne cesseray point de vous souhaitter benediction sur benediction, et que la source de toute benediction vive et regne a jamais au milieu de vos cœurs. Amen.

            Je suis, d'un amour tout cordial,

                                                           Vostre tres humble frere et serviteur

                                                                       en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 18 aoust 1614, a Nessi.

 

CMXC. A Madame de la Valbonne. Se consacrer à Notre-Seigneur, c'est une grâce dont la grandeur se découvre avec le temps. — Pourquoi Dieu permet les «secousses de l'amour-propre.» — Salutations.

 

Annecy, 19 août 1614.

 

            J'ayme mieux vous escrire sans loysir ni commodité, que de l'attendre plus longuement, ma tres chere Niece, ma Fille. Vostre lettre m'a fort pleu, par ce que j'y voy [209] ces marques de vostre resolution de perseverance au dessein de servir a jamais Nostre Seigneur avec toute la pureté et fidelité que vous poures. Que bienheureux est vostre cœur, ma chere Fille, qui se dedie a un'affection si juste et si sainte! Plus nous irons avant, plus nous reconnoistrons la grandeur de la grace que le Saint Esprit nous fait de nous donner ce courage. Et bien que quelquefois vous receves des secousses de l'amour propre et de vostre imbecillité, ne vous en troublés point, car Dieu le permet ainsy affin que vous luy serries la main, que vous vous humiliies et reclamies son secours paternel.

            L'esperance de vous voir avec madame la Premiere m'excuse de vous parler plus au long par escrit, principalement pressé comme je suis. Salues, je vous prie, de ma part, Mme de la Flechere, et toutes deux ensemble Mme d'Aiguebelette, si ell'est la.

            Je suis sans reserve, d'un cœur tout fidele,

                                               Vostre plus humble oncle et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XIX aoust 1614.

            Je salue M. vostre cœur de tout le mien tres humble.

                        A Madame

            Madame de la Valbonne.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rennes. [210]

 

CMXCI. A Madame de la Fléchère. Affaires diverses. — Un malade bien résigné. — La seule chose digne d'être estimée.

 

Annecy, 19 août 1614.

 

            Helas, ma tres chere Fille, que dires vous de ce pere qui tarde tant a respondre? Certes, ce n'est pas faute de memoyre, et moins de volonté, mays j'ay un peu douté ou vous esties jusques des il y a trois jours, que je sçai que vous estes la.

            J'escris donq a M. le Premier selon vostre desir, bien que je sache combien peu vous aves besoin d'intercession aupres de luy qui vous honnore tant.

            Vous treuveres la lettre ci jointe d'un peu longue datte, mays il ny a remede; nostre bonne Mere qui l'escrit, ne me voit point sans que nous parlions de vous comme de celle qui nous ayme tant.

            Le pauvre M. de Charmoysi est tous-jours entre les mains des medecins, sans voir goute, mais avec bonne esperance de voir, Dieu aydant. Il fait merveilles a se resigner a la volonté de Dieu, ainsy que la petite cousine m'escrit.

            Ma tres chere Fille, en fin, de quel costé que nous nous retournions, nous ne treuverons rien digne d'estre estimé que la grace de Nostre Seigneur, a laquelle je [211] ne cesse point de vous recommander, comme estant tres parfaitement vostre et

                        Vostre plus humble serviteur et compere.

            La seur et la niece de deça se portent bien.

            XIX aoust 1614.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

CMXCII. Au Duc de Bellegarde. Pourquoi l'amour paternel est puissant ; celui du Saint comparable au feu. — L'idéal qui sied à une grande âme. — Préservatifs conseillés contre les malignes influences de la cour.

 

Annecy, [août] 1614.

 

                        Monsieur,

            Il ne se peut dire de quelle ardeur mon ame souhaitte la perfection de l'amour de Dieu a la vostre. Les meilleurs moyens pour exprimer cette passion sont ceux dont vous me gratifies, pourveu que l'on y entende une merveille que j'appellerois miracle, si je n'en estois l'ouvrier, apres Dieu et vostre commandement: car ordinairement, l'amour paternel est puissant parce qu'il descend comme un fleuve qui prend sa source de la pente; mais en nostre sujet, le mien, qui sort de ma petitesse, en remontant a vostre grandeur, il prend vigueur a la montee et accroist sa vistesse en s'eslevant: c'est parce que, si les autres se [212] contentent de ressembler a l'eau, celuy-ci est comparable au feu. Certes, Monsieur, j'escris sans reflexion, et je voy que j'abuse de vostre bienveuillance a luy dire ainsy mes saillies.

            Dieu vous tienne de sa sainte main et establisse de plus en plus ce genereux et celeste dessein qu'il vous a donné de luy consacrer toute vostre vie. Il est juste et equitable que ceux qui vivent ne vivent pas pour eux mesmes, mais pour Celuy qui est mort pour eux. Une grande ame, Monsieur, pousse toutes ses meilleures pensees, affections et pretentions jusques dans l'infini de l'eternité; et puisqu'elle est eternelle, elle estime trop bas ce qui n'est pas eternel, trop petit ce qui n'est pas infini, et surnageant a toutes ces menues delices, ou plustost a ces vilz amusemens que cette chetifve vie nous peut presenter, elle tient les yeux fichés dans l'immensité des biens et des ans eternelz.

            Monsieur, a mesure que vous connoissés que l'air de la cour est pestilent, usés soigneusement de preservatifz. Ne sortés pas le matin que vous ne porties sur le cœur un epitheme du renouvellement de vos resolutions fait en la presence de Dieu. Oh si le soir vous lisies douze lignes dans quelque livret de devotion, apres avoir fait vostre petite orayson! car cela dissiperoit les qualités contagieuses que les rencontres du jour pourroyent avoir jetté autour de vostre cœur. Et vous purgeant souvent par le doux et gratieux syrop magistral de la confession, Monsieur, j'espererois que vous demeureries comme un celebre pyrauste entre les flammes, sans endommager vos aisles. Que bienheureuse est la peyne, pour grande qu'elle soit, qui nous delivre de la peyne eternelle! Qu'aymable est le travail duquel la recompense est infinie!

            Monsieur, je suis, d'un cœur plus que paternel,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve. [213]

 

CMXCIII. A M. Guillaume-François de Chabod, Seigneur de Jacob (Inédite). Témoignages de sympathie à un ambassadeur qui n'avait pas réussi dans sa mission. — Discrète invitation à sanctifier ses derniers jours. — Promesse d'une visite.

 

Annecy, [vers le 20 août] 1614

 

                        Monsieur,

            Je me res-jouis de vostre heureux retour, lequel eut esté comblé de consolation pour vous et pour tous les bons et pour moy, si vostre saint zele eut eu le succes que vos remonstrances requeroyent. Mays ce tems est [214] ainsy fait, il ne produit pas les choses bonnes et desirables qu'avec plusieurs travaux de ceux qui les entreprennent, et au contraire, le mal s'avance sans culture, par la propre malice de cet aage.

            Que vous seres heureux, Monsieur, si ce reste de vos jours, que je souhaite grans et bons, vous appliques de plus prez vostre ame a son Principe, dans le repos d'une vie a moytié solitaire, telle qu'est celle que vous faites de deça en comparayson de Paris et de la cour. J'espere que l'esté ne se passera point sans que j'aye le bien d'estre quelque tems aupres de vous, ou nous nous entretiendrons plus au long sur ce digne sujet. Que si la multitude des affaires de ma charge et mes affaires particulieres, bien que non domestiques, me permettoyent d'estre a mon gré ou je voudrois, souvent je me treuverois là de tems en tems. Mays, ou que je sois, vous m'aves,

            Monsieur,

                                                           Vostre humble tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Monsieur, je resalue bien humblement madame....

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy.

 

CMXCIV. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley. «La mousse des exemptions.» — Une vertu qui vaut un procès de canonisation. — Un déplaisir et une crainte du Saint. — Injuste ingérence de l'Etat dans l'exercice du pouvoir spirituel de l'Eglise. — L'Evêque de Genève se confie, pour la défense de ses droits, à la vaillance de son ami. — Messages pour Dijon.

 

Annecy, 22 août 1614.

 

                        Monseigneur,

            Je me res-jouis, certes, de vos victoires; car, quoy que l'on sçache dire, c'est la plus grande gloire de Dieu que [215] nostre Ordre episcopal soit reconneu pour ce qu'il est, et que cette mousse des exemptions soit arrachee de l'arbre de l'Eglise ou on void qu'elle a fait tant de mal, ainsy que le sacré Concile de Trente a fort bien remarqué. Mais je regrette pourtant que vostre esprit patisse tant en cette guerre, en laquelle, sans doute, il n'y a presque que les Anges qui puissent conserver l'innocence; et qui tient la moderation emmi les proces, le proces de sa canonization est tout fait pour luy, ce me semble. «Sapere et amare, vix diis conceditur;» mais je dirois plus volontier: Litigare et non insanire, vix Sanctis conceditur. Neanmoins, quand la necessité le requiert et que l'intention est bonne, il faut s'embarquer sous l'esperance que la Providence mesme qui nous oblige a la navigation, s'obligera elle mesme a nous conduire.

            Tout mon plus grand desplaysir, c'est de voir qu'en fin en fin cette amertume de cœur, que vous me depeignés, vous ravira d'aupres de nous et me ravira une des plus pretieuses consolations que j'eusse, et a ce peuple un bien inestimable; car, des Prelatz affectionnés, il en est si peu!

«Apparent rari nantes in gurgite vasto.»

Salvum me fac, Domine, quoniam defecit sanctus.

            Je voy bien, Monseigneur, par vostre lettre et par [216] celle de M. de N., qui, en verité, est mon amy et bon pere tres singulier, que nous ne sçaurions conserver les libertés ecclesiastiques que les Ducs nous avoyent laissees es pais estrangers. Oh! Dieu benisse la France de sa grande benediction et y fasse renaistre la pieté qui regnoit du tems de saint Louys.

            Mais cependant, Monseigneur, puisque ce pauvre petit clergé de vostre evesché et du mien a le bonheur que vous parleres en son nom aux Estatz, nous serons delivrés de tout scrupule, si apres vos remonstrances nous sommes reduitz en la servitude; car, que pourroit-on faire davantage, sinon s'escrier au nom de l'Eglise: Vide, Domine, et considera, quia facta sum vilis? Quelle abjection, que nous ayons le glaive spirituel en main et que, comme simples executeurs des volontés du magistrat temporel, il nous faille frapper quand il l'ordonne et cesser quand il le commande, et que nous soyons privés de la principale clef de celles que Nostre Seigneur nous a donnees, qui est celle du jugement, du discernement et de la science en l'usage de nostre glaive! Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus; quia viditgentes ingressas sanctuarium suum, de quitus prœceperas ne intrarent in ecclesiam [217] tuam. Ce n'est pas, non, avec un esprit d'impatience ni de murmuration que je dis cecy; car je me resouviens tous-jours que ista mala invenerunt nos quia peccavimus, injuste egimus.

            Or sus pourtant, Monseigneur, vous verres nos articles et feres, je m'asseure, tout ce qui se pourra pour la conservation des droitz de Dieu et de son Eglise. Et tandis que nostre Josué sera la, nous tiendrons les mains haussees et prierons qu'il ayt une speciale assistance du Saint Esprit; nous invoquerons les Anges protecteurs et les saintz Evesques qui nous ont precedé, qu'ilz soyent autour de vous et qu'ilz animent vos remonstrances.

            De vous envoyer quelqu'un de la part de mon diocese, il n'en fut jamais question. Mon diocese est-il pas vostre, puisque je le suis si parfaitement? Populus tuus, populus meus.

            Vous verres la, le Pere Dom Jean de Saint Malachie, a Saint Bernard; si vous le hantes, vous [218] treuveres en luy une veine feconde de pieté, de sagesse et d'amitié pour moy qui l'honnore reciproquement bien fort. De madame Folin, dites m'en un jour a loysir l'histoire, parce que gloriam Regis annuntiare justum est.

            Dieu soit a jamais le cœur de nos ames. Je suis,

                        Monseigneur,

                                               Vostre tres humble et tres obeissant frere

                                                                       et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 22 aoust 1614, a Nessi.

 

 

 

CMXCV. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex (Inédite). Règlement de plusieurs affaires intéressant diverses paroisses du pays de Gex.

 

Annecy, 28 août 1614.

 

                        Monsieur,

            Ce qui a esté promis a M. le curé de Sessi, je vous [219] prie qu'on le luy face bon sil se peut, car en verité, la qualité du lieu requiert qu'on le gratifie. Or, il me dit que c'est cent florins annuelz, et on pourroit les donner tous-jours par provision et sans consequence. M. Mesnage veut tous-jours aller, et je voy son esprit fort tendu a cela.

            Je vous addresse une comission que je ne puis ni eviter ni donner ailleurs; il vous plaira d'en aviser les parties. Quant a la vente des bleds, je ne prsetends recommander personne, sinon que ce soit a l'utilité de l'Eglise et cœteris paribus, car ces revenus ecclesiastiques sont trop praetieux pour estre sujectz a aucune autre affectation que celle de Dieu.

            Le P. Commissaire ne vient point. M. Cheynel sçait ou il faut prendre les cent escus du don du Roy qui restent, car je croy quil en a despensé deux cens, dont il faudra aviser avec le P. Commissaire, quand il [220] sera venu, comme on se pourra faire, car avec M. Cheynel je ne sçai qu'en dire, puisque mesme le P. Cotton qui a moyenné cest'aumosne, me le recommande fort. C'est pitié que chacun veut avoir des volontés! Currebant, et non mittebam eos; et neanmoins ilz veulent que ce soit comme si on les avoyt envoyés. Or bien, il faut se donner du loysir pour voir tout cela.

            Je suis sans fin,

                                                                                              Vostre plus humble confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII aoust 1614.

            Monsr le Curé de Gex.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le marquis de Prunarède,

à Montpellier. [221]

 

CMXCVI. A Madame de la Fléchère. Les mauvais procédés et les répugnances de l'amour-propre : excellentes occasions de pratiquer l'humilité.

 

Annecy, [août-septembre] 1614.

 

            J'ay veu, ma tres chere Fille, vostre esmotion de colere et de repugnance a l'endroit de ceux qui traittent avec vous asprement. Or sus, il faut rasseoir vostr'esprit, car cela n'est rien que nous ne sachions bien; car nous sçavons bien que nostre nature bouillonne en mille sortes d'aigreurs quand on nous attaque, et que nostr'amour propre nous suggere tous-jours asses de mauvayses affections contre ceux qui nous attaquent. Mais, graces a Dieu, nous resistons en fin finale, nous ne nous laissons pas emporter au mal; au moins, si nous sommes esbranlés, nous ne tumbons pas du tout. Voyla donq une bonn'occasion de nous humilier, de nous confondre doucement et de prattiquer l'abjection de nous mesme.

            Demeures donq ainsy en une sainte paix, et si M. vostre mary le treuve bon, ne laisses pas d'aller voir ces gens-la pour tesmoigner la charité; mais vous pourres bien estre courte en vostre visite. Mon Dieu, je pense que si vous venies icy l'hiver vous auries bien plus de repos que lâ; mais je n'ay garde d'en plus parler, puisque tant d'autres considerations que je ne sçai pas, peuvent avoir rafroydy le dessein que vous en aviés. [222]

            Bonsoir, ma tres chere Fille, je vous eseris tous-jours sans loysir, et suis tous-jours pour jamais tres…

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin,

Archives de l'Etat.

 

 

 

CMXCVII. Au Duc de Bellegarde. Progrès spirituels du duc de Bellegarde. —A quelle condition peut-on servir Dieu à la cour. — Pourquoi Dieu est le plus digne objet de notre amour.

 

Annecy, 12 septembre 1614.

 

            Je n'ay point de plus grande gloire en ce monde, Monsieur mon Filz, que celle d'estre nommé pere d'un tel filz, ni point de plus douce consolation que de voir la complaysance que vous en aves. Mais je ne veux plus rien dire sur ce sujet, qui aussi m'est indicible; il me suffit que Dieu m'a fait cette grace, laquelle m'est tous les jours plus delicieuse, quand 0n me dit de toutes parts que vous vives a Dieu, quoy qu'emmi ce monde.

            O Jesus mon Dieu, quel bonheur d'avoir un filz qui sçache par merveilles si bien chanter les chansons de Sion emmi la terre de Babylone! Les Israëlites s'en excuserent jadis parce que non seulement ilz estoyent entre les Babyloniens, ains encor captifs et esclaves des Babyloniens; mais, qui n'est point en l'esclavage de la cour, il peut emmi la cour adorer le Seigneur et le servir saintement. Non certes, mon tres cher Filz, quoy que vous changies de lieu, d'affaires et de conversations, vous ne changeres jamais, comme j'espere, de cœur, ni vostre cœur d'amour, ni vostre amour d'object, puisque vous ne sçauries choisir ni un plus digne amour pour [223] vostre cœur, ni un plus digne object de vostre amour que Celuy qui vous doit rendre eternellement bienheureux. Ainsy la varieté des visages de la cour et du monde ne donnera point de changement au vostre, duquel les yeux regarderont tous-jours le Ciel auquel vous aspirés, et la bouche reclamera tous-jours le souverain Bien que vous y esperés.

            Mais pensés, je vous supplie, mon cher Filz, si ce ne m'eust pas esté un ayse incomparable de pouvoir aller moy mesme aupres de vous en l'occasion de ces Estatz, pour vous parler avec cette nouvelle confiance que ces noms de pere et de filz m'eussent donné. Dieu neanmoins ne le voulant pas, puisqu'il permet que je sois attaché icy, ni vous, ni moy non plus ne le devons pas vouloir. Vous seres donq la mon Josué qui combattrés pour la cause de Dieu en presence; et moy je seray icy comme un Moyse qui tendray mes mains au Ciel, implorant sur vous la misericorde divine affin que vous surmonties les difficultés que vostre bonne intention rencontrera.

            De vous supplier meshuy de m'aymer, je ne le veux plus faire, puisque je puis plus courtement et expressement vous dire: soyés donq mon vray filz de tout vostre cœur, Monsieur, puisque je suis de tout le mien, non seulement

                        Vostre tres humble et obeissant serviteur,

                                   mais vostre pere infiniment tres affectionné,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [224]

 

CMXCVIII. Au Baron Paul Damas d'Anlezy (Inédite). Mme des Gouffiers aspirante à la Visitation ; accueil que lui préparent le Fondateur et les Religieuses. — Sa famille n'aura nul sujet de blâmer son choix.

 

Annecy, 28 septembre 1614.

 

                        Monsieur,

            Puisque le brevet requis pour la declaration de la nullité des vœux de madame de Gouffier vostre seur, est expedié en la sorte qu'elle a peu desirer, elle ne peut, ce me semble, mieux tesmoigner qu'elle n'a pas pourchassé sa liberté que pour la reengager plus heureusement a Dieu, qu'en s'approchant de vous pour prendre les resolutions convenables a son entiere retraitte, laquelle ayant choysie en ce lieu et en la compaignie qu'ell'a veüe et consideree plus d'un an, il m'est advis que je dois vous protester, Monsieur, que sa naissance, ses vertus [225] et ses saintes intentions luy ont acquis tout le service que je luy pourray rendre; et que si bien elle sera icy esloignee de la plus part de ses parens, elle sera neanmoins proche de plusieurs personnes qui les honnorent infiniment, et qui l'auront en une consideration si sainte et honnorable, que pour ce regard, Monsieur, vous n'aures nul sujet de blasmer son choix, auquel, puis qu'ell'a eu plus d'attention a contenter Dieu que de servir aux respectz humains, sa divine Majesté sans doute luy donnera toutes les benedictions qu'ell'en doit esperer, et en fera deriver sut vous quelque bonne part, si mes souhaitz sont exaucés: car je le (sic) feray toute ma vie pour vostre bonheur, et demeureray de tout mon cœur,

            Monsieur,

                                               Vostre plus humble serviteur en Nostre Seigneur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII septembre 1614, Anessi.

                        A Monsieur

            Monsieur le Baron d'Anlezy.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Boulogne-sur-Mer.

 

CMXCIX. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Un échange qui accommoderait infiniment les monastères de Saint-Dominique et de la Visitation ; il se fera, si le prince de Nemours en témoigne le désir. — Le destinataire est prié d'en parler à Sa Grandeur.

 

Annecy, fin septembre ou commencement d'octobre 1614.

 

                        Monsieur,

            L'extreme necessité que la Visitation a d'une partie du jardin de Saint Dominique, sur lequel le bastiment [226] nouveau regardera, fait que plusieurs gens d'honneur ont pensé de proposer que les Peres de Saint Dominique prissent une partie d'un jardin du college sur lequel ilz regardent, et moyennant une recompense que l'on donneroit au college, que les Dames de la Visitation fourniroyent; et qu'en cette sorte, les Peres de Saint Dominique lascheroyent la partie requise de leur jardin en faveur de la Visitation: dont deux maysons, Saint Dominique et la Visitation, demeureroyent infiniment accommodees, et le college nullement incommodé. [227]

            Or, j'en parlay l'autre jour a Monsieur, qui treuva bon de le recommander aux Administrateurs du college par l'entremise de M. Dufresne. Mais maintenant que les Peres Barnabites sont remis, cela dependra aussi d'eux: c'est pourquoy, s'il plaisoit a Monsieur de leur tesmoigner qu'il desire ce commun accommodement, il y a de l'apparence que la chose reusciroit, pourveu que le tesmoignage de son desir fust un peu bien exprimé. Ce que Sa Grandeur fera facilement, puisqu'elle peut prier lesditz Barnabites de voir avec messieurs de son Conseil si cela se pourra bonnement faire, et que s'il se peut sans grande incommodité, il desire fort affectionnement que cela se fasse et qu'il les en prie. [228]

            Il reste que je vous supplie d'en parler a Monsieur, ce que je feray presentement, sans attendre davantage que les Peres Barnabites montent si haut pour parler a Sa Grandeur; et il sera a propos qu'elle fasse ce bon office en cette occasion. Je serois allé moy mesme l'en supplier; mais je n'ay pas creu que cela fust bien, puisque je me fusse rendu soupçonné, et peut estre devray je en venir en cette bonne affaire comme mediateur avec messieurs du Conseil.

            Excusés moy, j'espere, cette confiance, Monsieur; c'est en qualité de

                                                           Vostre tres humble et affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Monsieur

[Monsieur] de Forax,

            Gentilhomme de la Chambre

de Monsieur le Duc de Nemours.

 

M. A M. Pierre-François Jay, Curé de Bonneville. Un futur assistant du Saint aux Offices de la cathédrale.

 

Annecy, 3 octobre 1614.

 

                        Monsieur,

            Nous vous attendions icy, des avanthier, pour achever le projet que vous avies fait de venir estre l'un de nos [229] assistans en l'eglise cathedrale, puisqu'en (sic) nous avons treuvé une consideration de juste poids pour dispenser, pour vostre particulier, sur la regle du concours, pour la conservation de laquelle j'ay, jusques a present, fait de la difficulté en cett'affaire. Venes donq, attendu que vous estes de

                                                           Vostre plus humble confrere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            2 octobre 1614.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Vuÿ, à Carouge (Genève). [230]

 

MI. A La Mère de Chantal. Une visite des Pères Barnabites annoncée à la Mère de Chantal.

 

Annecy, vers le 6 octobre 1614.

 

                        Ma Mere,

            Le Pere Superieur et le P. Don Chrisostome vont pour voir la situation de vostre mayson et en prendre [231] les mesures, affin de bien instruire le P. General de la necessité que vous avés du jardin des Peres de Saint Dominique. Ilz entreront donq, et je suis d'advis que vous les facies monter vers vous, affin de leur parler, et puis vous les feres accompagner. En somme, ilz sont de la mayson.

 

Revu sur un fac-simile de l'Autographe, conservé à la Visitation d'Annecy.

 

MII. A la même. Reprise d'un travail interrompu à regret. — Un concours, et «l'eschange des jardins» à acheminer.

 

Annecy, [7] octobre 1614.

 

            Que dites vous, ma tres chere Mere, la Messe du P. Don Simplician vous sera-elle suffisante? Si cela n'est, je m'y en vay.

            Or, je suis sur le livre que j'ay tant laissé ces jours passés, et apres disné nous avons un concours, apres lequel je verray d'acheminer l'eschange des jardins. Hier nous ne fismes rien, la partie estant remise a jeudy.

            Bon jour, ma tres chere Mere, a laquelle je souhaitte mille benedictions. [232]

 

MIII. A MM. les Proviseurs du College de Savoie a Louvain. L'introduction des Barnabites au collège d'Annecy laisse subsister l'alliance avec le collège de Savoie à Louvain. — Les Proviseurs sont priés d'agréer ce qui a été fait et de correspondre au désir du Saint.

 

Annecy, 15 octobre 1614,

 

                        Messieurs,

            Sur l'expres commandement de Son Altesse Serenissime, de Monseigneur le Prince Cardinal et de Monseigneur le Duc de Nemours, seigneur de ce pais de [233] Genevois messieurs les Administrateurs de ce college d'Annessi ont remis ledit college a la direction et conduitte des Peres de la Congregation de Saint Paul, gens de grand zele et doctrine. En quoy, toutefois, ni eux, ni moy, qui ay eu la charge d'en faire les propositions, n'avons rien eu en plus grande consideration que de faire les traittés de sorte que l'alliance et correspondance qui est et doit estre entre le college de Savoye Chappuysien de dela et celuy de deça, fut saintement et religieusement conservee en tout ce qui en depend; qui nous fait croire que non seulement vous aggreeres, mais que vous loüeres ce qui a esté fait et en favoriseres davantage ce college, puisque Dieu y sera mieux servi et la jeunesse mieux instruite.

            Et neanmoins, affin que vous nous facies ce bien que de nous conserver vostre douce et desirable bienveuillance, je vous supplie de la nous despartir en cett'occasion, appreuvant nos bonnes intentions, lesquelles sans doute nous vous eussions communiquees avant que d'en venir aux effectz, si le desir pressant de ces Princes nous en eust donné le loysir. Vostre prudence et charité vous [234] conduiront a ce bien, et le respect que nous vous devons nous rendront (sic) de plus en plus desireux de nous maintenir en la societé et bonn'intelligence que la bonne memoyre de feu monsieur Chapuis a voulu estre entre nous.

            Et pour mon particulier, je prieray Nostre Seigneur quil vous comble de ses plus cheres benedictions, demeurant de tout mon cœur,

            Messieurs,

                                               Tres humble, tres affectionné serviteur en Dieu,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XV octobre 1614, Anessi.

                        A Messieurs

Messieurs les Proviseurs du College de Savoye.

                        A Louvain.

 

 

 

MIV. A Madame des Gouffiers, Religieuse du Paraclet. Dieu guide les âmes qui remplissent avec humilité quelque mission de sa Providence. — Le vrai esprit de la Visitation, et comment elle doit considérer les autres genres de vie. — Pourquoi Dieu l'a créée. — C'est sa «plus grande gloire qu'il y ayt une Congrégation de la Visitation au monde.» — Humilité du Fondateur ; son affection pour les Ursulines.

 

Annecy, 15 octobre 1614.

 

            Si la Providence divine vous employe, ma tres chere Fille, vous deves vous humilier grandement et vous [235] res-jouir, mais en cette Bonté souveraine, laquelle, comme vous sçaves, vous a asses fait connoistre qu'il vous vouloit vile et abjecte a vos propres yeux, par les consolations qu'il vous a donné es essays que vous aves faitz de vous avilir et abbaisser. Non certes, ma chere Fille, je ne seray point en peyne de vostre conduitte si vous marches sur ce chemin la, car Dieu sera vostre guide, et puis vous ne manqueres pas de personnes qui vous donneront conseil pour cela.

            Selon vostre desir, j'escris au P. Grangier, que je vous prie encor de saluer fort affectionnement de ma part et l'asseurer de mon humble service pour luy. Vous faites extremement bien de tesmoigner une tres absolue indifference, car aussi est ce le vray esprit de nostre pauvre Visitation, de se tenir fort abjecte et petite, et de ne rien s'estimer sinon entant qu'il plaira a Dieu de voir son abjection; et partant, que toutes les autres formes de vivre en Dieu luy soyent en estime et en honneur, et, comme je vous ay dit, qu'elle se tienne entre les Congregations comme les violettes entre les fleurs, basse, petite, de couleur moins esclattante, et luy suffise que Dieu l'a creee pour son service et affin qu'elle donnast un peu de bonne odeur en l'Eglise. Si que, tout ce qui est le plus a la gloire de Dieu doit estre suivi et aymé et poursuivi: c'est la regle de tous les vrays serviteurs du Ciel.

            C'est sans doute la plus grande gloire de Dieu qu'il y ayt une Congregation de la Visitation au monde, car elle est utile a quelques particuliers effectz qui luy sont propres; c'est pourquoy, ma tres chere Fille, nous la devons aymer. Mais s'il se treuve des personnes plus relevees [236] qui ayent aussi des pretentions plus grandes, nous devons les servir et reverer tres cordialement, quand l'occasion s'en presentera. J'attendray donques de vos nouvelles plus particulieres sur le service que vous pourres rendre a cette nouvelle plante, laquelle, si Dieu veut estre une plante de la Visitation et une seconde Visitation, sa Bonté en soit a jamais glorifiee.

            Je suis bien ayse que vous logies aux Urselines: c'est une des Congregations que mon esprit ayme. Resalués les de ma part et les asseurés de mon affection a leur service en tout ce que je pourray, qui ne sera pourtant jamais rien a cause de ce que je suis.

            Tenés bon, ma tres chere Fille, dans l'enclos de nos sacrees resolutions; elles garderont vostre cœur si vostre cœur les garde, avec l'humilité, la simplicité et la confiance en Dieu.

                        Vostre plus humble et affectionné frere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 15 octobre 1614. [237]

 

 

 

MV. A la même (Inédite). Succès des négociations entreprises pour l'obtention d'une dispense en Cour de Rome. — Le P. de Villars à Lyon. — Prudence recommandée à la destinataire. — Messages divers.

 

Annecy, 26 octobre 1614.

 

            Voyci une lettre d'attente, ma tres chere Fille, car ayant receu la vostre grande, il faudra bien aussi faire une grande responce. Ce sera, Dieu aydant, dans peu de jours, par le bon M. le contrerolleur Vulliat, lequel nous est demeuré de reste au partir de Monseigneur de Nemours et qui praetend, pourtant, d'aller tost a Lion mesme. Et maintenant, c'est par M. de Foras, qui me promet de faire seurement tenir la lettre, que j'employe pour vous annoncer la venue de vostre despeche de Romme, mais despeche si bien faite, que si nous l'avions faite nous mesme nous ne l'aurions pas faite autrement. Je vous en envoyeray une copie, avec une lettre de Monseigneur le Cardinal Bandini, qui vous escrit si courtoysement que l'on ne pourroit rien desirer de plus. [238]

            Le bon M. de Sainte Catherine m'escrit quil a un peu despensé gros, mais je ne sçai pas que c'est: si je puis, je l'apprendray pour vous en tenir avertie. Monseigneur le Nonce de France est deputé, et le lieu pour estre ouïe sera nostre pauvre chere Visitation; si que il y a toute sorte d'apparence que Monseigneur le Nonce me commettra, et que vous aures le commissaire le plus vostre et qui vous souhaite le plus de sainte consolation qui soit et puisse estre au monde. Au reste, il ne se peut dire quelle joye nostre Mere en a, et de sçavoir le bon P. de Vilars a Lion, dequoy je suis aussi fort consolé. Et pleut a Dieu que je peusse le loger en nostre chaire ce Caresme; mais il y a des-ja quelques moys que le P. Prieur de Saint Dominique est prié, et je n'oserois y bouger chose du monde.

……………………………………………………………………………………………………...

            Fille, de vous tenir dans l'enclos des advis que je vous donnay; ilz sont salutaires en tous tems, mays en l'occurrence en laquelle vous estes, ilz sont necessaires. Dieu vous tiendra tous-jours de sa main droite, ma tres chere Fille, et vous marcheres saintement et asseurement. Ainsi j'invoque sur vostre cœur sa toute puissante [239] Bonté, affin qu'elle le remplisse de son tressaint amour. Amen.

            Salues, je vous supplie, cherement de ma part le P. Grangier et le P. de Vilars, que j'honnore tous deux de toutes mes affections, comm'aussi le bon P. Philippe, en la bienveuillance duquel vous estes obligee de me conserver, puisque c'est par vostre entremise que j'y suis entré. Je salue ces bonnes Dames Urselines, vos hostesses et mes cheres Seurs, et encor ces Dames de la Presentation, Mmes d'Auxerre, [240] Colin et Belet. Vives toute a Dieu, pour qui je suis tout parfaittement vostre, ma tres chere Fille, ma Seur tres cherement bienaymee.

            XXVI octobre 1614.

            Mays n'oublies pas madame Vulliat; c'est une fille nouvelle que j'en ayme un peu tendrement.

                        A Madame

            Madame de Gouffier.

                        Aux Urselines.

                                   A Lion.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Orléans.

 

 

 

MVI. A la Soeur de Chastel, Religieuse de la Visitation. La nature et la grâce en la Sœur de Chastel. — Conduite à tenir dans ce conflit. — A quelles conditions Dieu chérit les âmes tracassées.

 

Annecy, 28 octobre 1614.

 

            Certes, ma tres chere Fille, vous me faites bien playsir de me nommer vostre Pere, car j'ay en verité bien un cœur amoureusement paternel pour le vostre, lequel je [241] voy bien tous-jours un petit foible en ces ordinaires legeres contradictions qui luy arrivent. Mais je ne laisse pas de l'aymer, car encor quil luy semble quelquefois qu'il va perdre courage pour des petites paroles et reprehensions qu'on luy fait, toutefois il ne l'a encor jamais perdu son courage, ce pauvre cœur; car son Dieu l'a tenu de sa main forte et, selon sa misericorde, il n'a jamais abandonné sa miserable creature. O ma tres chere Fille, il ne l'abandonnera jamais, car quoy que nous soyons troublee et angoissee de ces impertinentes tentations de chagrin et de despit, si est-ce que jamais nous ne voulons quitter Dieu, ni Nostre Dame, ni nostre Congregation qui est sienne, ni nos Regles qui sont sa volonté.

            Vous dites bien, en verité, ma pauvre chere Fille Peronne Marie: ce sont deux hommes, ou deux femmes, que vous aves en vous. L'une est une certaine Peronne, laquelle, comme fut jadis saint Pierre son parrein, est un peu tendre, ressentante et depiteroit volontier avec chagrin, quand on la touche; c'est cette Peronne qui est fille d'Eve et qui, par consequent, est de mauvaise humeur. L'autre, c'est une certaine Peronne Marie qui a une tres bonne volonté d'estre toute a Dieu, et pour estre toute a Dieu, d'estre toute simplement humble et humblement douce envers tous les prochains; et c'est celle ci qui voudrait imiter saint Pierre, qui estoit si bon apres que Nostre Seigneur l'eut converti; c'est cette Peronne Marie qui est fille de la glorieuse Vierge Marie et, par consequent, de bonn'affection. Et ces deux filles de ces diverses meres se battent, et celle qui ne vaut rien est si mauvaise, que quelquefois la bonne a bien a faire a s'en defendre, et lhors, il est advis a cette pauvre bonne qu'elle a esté vaincue et que la mauvaise est plus brave. Mais, non certes, ma pauvre chere Peronne Marie, cette mauvaise la n'est pas plus brave que vous, mais ell'est plus afficheuse, perverse, surprenante et opiniastre; et quand vous alles pleurer, ell'est bien ayse, par ce que c'est tous-jours autant de tems perdu, et elle se contente de vous faire perdre le tems quand elle ne vous peut pas faire perdre l'eternité. [242]

            Ma chere Fille, releves fort vostre courage, armes vous de la patience que nous devons avoir avec nous mesme. Reveilles souvent vostre cœur affin quil soit un peu sur ses gardes a ne se laisser pas surprendre; soyes un peu attentive a cet ennemi; ou que vous mettres le pied, penses a luy, si vous voules, car cette mauvaise fille est par tout avec vous, et si vous ne penses a elle, elle pensera quelque chose contre vous. Mays quand il arrivera que de sursaut elle vous attaque, encor qu'elle vous face un peu chanceler et prendre quelque petite entorse, ne vous fasches point, mais reclames Nostre Seigneur et Nostre Dame: ilz vous tendront la sainte main de leur secours, et silz vous laissent quelque tems en peine, ce sera pour vous faire de rechef reclamer et crier de plus fort a l'ayde.

            N'ayes point honte de tout ceci, ma chere Fille, non plus que saint Paul, qui confesse quil avoit deux hommes en soy, dont l'un estoit rebelle a Dieu et l'autre obeissant. Soyes bien simple, ne vous fasches point; humilies vous sans descoragement, encourages vous sans presomption. Sachés que Nostre Seigneur et Nostre Dame vous ayant mis au tracas du mesnage, savent bien et voyent que vous y estes tracassee; mais ilz ne laissent pas de vous cherir, pourveu que vous soyes humble et confiante. Mays, ma Fille, n'ayes donq point honte d'estre un peu barboullié (sic) et poudreuse; il vaut mieux estre poudreuse que tigneuse, et pourveu que vous vous humiliies, tout se tournera en bien.

            Pries bien Dieu pour moy, ma chere Fille certes toute bien aymee, et qu'a jamais Dieu soit vostre amour et protection. Amen.

            Jour Saint Simon et Jude, 1614.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Rouen. [243]

 

 

 

MVII. A Madame des Gouffiers, Religieuse du Paraclet. Le Saint donnera de bon cœur ses Filles pour la fondation de Lyon. — Pourquoi le genre de vie de la Visitation en facilite la diffusion. — Un trait de la Providence divine et le suffrage du Patron de l'Eglise lyonnaise. — Un des plus grands avantages des Congrégations au XVIIe siècle. — Déférence que méritent les Carmélites. — Messages et salutations.

 

Annecy, 30 octobre 1614.

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Ouy da, ma tres chere Fille, nous donnerons de bon cœur de nos Seurs de la Visitation pour augmenter la gloire de Dieu. Mays, qui pourroit asses admirer non plus qu'asses loüer sa Providence? Cette Bonté paternelle aura regardé de l'œil de son amour une quantité de filles et de femmes qui, pour diverses raysons, demeuroyent entre les hazars des flotz de la mer mondaine, s'il ne leur dressoit un port aysé auquel elles puissent surgir, nonobstant que leurs barques soyent un peu foibles. La mediocrité de nostre Visitation est propre pour estre grandement estendue et multipliee; les hautes et relevees Religions ne peuvent pas estre montees si aysement. [244]

            Au reste, ma chere Fille, celuy qui a destourné, ramene maintenant ses congregees a leur premier dessein. Il m'escrit un trait de la Providence divine qui me plaist fort; car en la patente de permission que Leurs Majestés ont donnee pour l'erection de cette Mayson, on lanommoit «de la Congregation de la Visitation,» comme si Nostre Seigneur se fust voulu declairer par la voix royale. Et le glorieux saint Jean Baptiste, Patron de l'Eglise lionnoise, aura donné son suffrage a ce choix, comme ayant si bonne part au mystere de la Visitation, en laquelle il fut rendu serviteur de son Maistre et filleul de la sacree Vierge.

……………………………………………………………………………………………………...

            Je retourne a l'affaire de dela, et puisque je suis a parler, je ne me puis tenir de m'estonner dequoy il semble qu'on se soit comme caché des Jesuites; car au contraire, entre les biens des Congregations, au dessus des Religions, celuy la est de (sic) plus grans, que les Congregations peuvent fort aysement avoir l'assistence [245] des Peres Jesuites, comme la Congregation des Guastales, de Milan, celle de Castillon et plusieurs autres d'Italie, qui fleurissent en sainteté et perfection.

            Quant a l'establissement des Carmelines, certes, il est desirable a Lion et en plusieurs lieux; mais pour cela, je ne voudrois pas ruiner l'autre dessein, et seroit mieux en faysant l'un de ne laisser pas l'autre. J'ay conneu la bonne Mlle de Breauté avant qu'elle fut Religieuse; [246] c'est une ame des mieux faites qu'on puisse voir, et madame d'Alincourt a rayson de favoriser sa Religion, ce qu'elle pourra faire par mille moyens. Et sur ce point, ma tres chere Fille, prenes bien garde a parler des Carmelines avec reverence, car leur vertu et perfection vous y oblige; et puisque ce desordre survenu a la Presentation a eveillé le dessein de les faire venir a Lion, il faut esperer que Dieu en tirera plusieurs autres biens.

            En somme, je treuve que vous vous estes bien conduite, ou plus tost que Nostre Seigneur vous a fort bien guidé en tout cet affaire, et ne pouvois rien desirer de mieux: ce que je dis apres avoir releu vostre lettre. Et pour le regard de vostre cœur, tenes le tous-jours bien en son devoir, c'est a dire en humilité, [amour] de vostre abjection, simplicité et douceur. Si on envoye prendre [247] nostre Mere et deux de nos Seurs, avertisses nous a l'avantage.

            Ma tres chere Fille, il faut que j'envoye cette lettre a nostre Mere, et si, il est bien tard. A Dieu donques, ma chere Fille, a Dieu soyons nous eternellement et inseparablement. Je salue tous-jours le P. Granger, le P. de Vilars, le P. Philippe et encor vos hostesses, ces bonnes Dames de la Presentation et nostre Mme Vulliat.

            A Neci, le XXX octobre 1614.

                        A Madame

            Madame Elisabeth de Gouffiez.

 

MVIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Une consolation refusée au Saint. — Il termine la rédaction du Traitté de l'Amour de Dieu. — Encore l'échange des jardins. — L'entrée au monastère de la Visitation permise àquelques dames de Chambéry, mais à une condition.

 

Annecy, commencement de novembre 1614.

 

            Je ne sçai certes plus que faire avec ces gens, ma tres [248] chere et tres honnoree Mere, car ilz me tirannisent et, comme si c'estoit par conjuration, m'empeschent a vive force le bien que j'estime plus que tout, de vous aller au moins un peu voir de mes yeux. Il ni a moyen quelcomque de faire autrement, et l'importance est, que je ne vous sçauray pas seulement dire un mot de tout ce que j'ay fait aujourdhuy, sinon que j'ay pourtant un peu escrit dans le livre, que j'acheve.

            Voyla, ce pendant, communication de lettres a ma Mere, a laquelle je donne mille et mille fois le bon vespre. Je suis marri de n'avoir rien fait aujourdhuy pour les jardins, mais je ne sçai pas mesme si j'ay vescu.

            Ces dames de Chamberi m'ont demandé permission; je leur ay dit qu'oüy, pourveu qu'elles ne trainassent pas leur grande quëue. Elles n'ont jamais esté icy, et ne sont pas pour y revenir: un peu de devote caresse les edifiera. Elles sont bien bonnes femmes, la vanité sauve.

            Ma tres chere Mere, bonsoir de tout le cœur de vostre filz tres aymé et très aymant de sa tres aymable Mere; un peu de bon soir a nos filles. Amen. Vive Jesus!

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Revel de Mouxy, à Brest. [249]

 

MIX. A la même (Inédite). Une sénatrice à confesser ; le Saint lui donne rendez-vous à la Visitation.

 

Annecy, vers le 6 novembre 1614.

 

                        Ma tres chere Mere,

            La bonne Religieuse de Monthouz me dit hier que Mme la Senatrice sa cousine desiroit se confesser ce matin a moy, qui le veux bien, et peut estre que, pour cet effect, elle seroit plus ayse que ce fut a la Visitation; et moy aussi, puisqu'aussi bien, malaysement puis-je sauver ma matinee, et que nostre M. Michel, a moytié malade, ne sçauroit escrire ce que je luy fournirois du livre, et que sur tout il nous fera grand bien de nous entrevoir, et ce sera tous-jours autant de fait. [250]

            Bonjour, ma tres chere Mere; j'iray la dans une petite heurette, Dieu aydant. Cependant, sil venoit quelque prestre, ne laisses pas de communier, car j'entens qu'hier vous fustes toute alangourie.

            Je suis vostre comme vous sçaves vous mesme.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Milliet, à Saint-Alban (Savoie),

 

MX. Au Chanoine Maurice Marpeaud (Inédite). Le destinataire est prié de loger en vertueuse compagnie le fils de Mme d'Escrilles.

 

Annecy, 6 novembre 1614.

 

                        Monsieur,

            La bonne Mme des Crilles avoit une grande consolation en la creance que vous luy avies donnee de recevoir avec vous son filz, estimant que, sur toutes autres, [251] vostre presence luy seroit salutaire. Mays puisque vous n'en aves pas le desir maintenant, elle vous voudroit prier de le loger au moins en quelqu'autre lieu ou il soit en bonne et vertueuse compaignie, au mieux quil vous sera possible; et croyant que j'aurois bien du credit envers vous, elle m'a conjuré de joindre ma priere a la sienne. Ce que je fay par ces quatre motz, de tout mon cœur, tant en consideration de la mere, qui est digne d'estr' assistee et qui est ma parente, qu'en consideration du filz qui, a mon advis, est plein de bonne volonté de reuscir en la crainte de Dieu.

            Et avec cela, je vous demande encor la continuation en vostre amitié et en vos saints Sacrifices, puisque je suis,

            Monsieur,

                                                           Vostre humble confrere et affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            6 novembre 1614, a Nessi.

                        A Monsieur

            Monsr Maurice Marpeaud,

                        Chanoine de la Ste Chapelle.

                                   Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Côme (Italie).

 

MXI. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. L'Evèque de Genève conserve l'espoir du prochain retour du prince. — Raisons pressantes pour le Duc de résider à Annecy. — Charles-Emmanuel désire qu'il y demeure, la guerre lui en fait un devoir. — Son absence paraîtrait un abandon et amènerait une séparation d'avec la cour de Savoie.

 

Annecy, 6 novembre 1614.

 

                        Monseigneur,

            Le tesmoignage de la bienveuillance en mon endroit quil pleut a Vostre Grandeur de me donner a son despart [252] de cette ville, la pieté qu'elle prattiqua demandant la benediction celeste a cet indigne Pasteur, la naturelle inclination fortifiee de plusieurs obligations que mon ame a tous-jours saintement nourri envers vostre bonté, Monseigneur: tout cela, et plusieurs autres considerations que ma fidelité me suggeroit, me toucha vivement au cœur, et ne sceu m'empescher d'en rendre des signes a ceux que je rencontray sur le champ apres avoir perdu de vëue Vostre Grandeur.

            Cette touche, avec quelque sorte d'esperance que Vostre Grandeur me commanda de conserver de son prochain retour, m'ont fait penser plus d'une fois aux raysons qu'ell'auroit de revenir, pour aggrandir ce reste de consolation qu'elle m'avoit laissé, me signifiant que la privation de sa presence ne seroit peut estre pas de si longue duree, ains beaucoup plus courte que nostre desplaysir ne nous faysoit imaginer. Et j'ay treuvé, Monseigneur, que c'estoit le vray service de Vostre Grandeur qui requeroit vostre retour, et non seulement le general desir de tous vos tres humbles sujetz, qui prendroyent sa presence a soulagement, apres beaucoup de peyne qu'ilz ont souffert.

            En verité, Monseigneur, vous ne recevrés jamais des affections si fideles en lieu du monde comme vous feres icy, ou elles naissent avec les hommes, vivent avec eux, croissent sans bornes ni limites quand et eux envers la Mayson serenissime de Savoye, delaquelle les Princes se peuvent vanter d'estre les plus respectueusement aymés et amoureusement respectés de tout le monde par leurs peuples: benediction en laquelle Vostre Grandeur a la part qu'ell'a peu voir et remarquer en toutes occurrences. Ici, Vostre Grandeur a sa mayson paternelle et, sans comparayson, beaucoup mieux accompaignee des commodités requises a son sejour que pas une des autres, puisqu'ell'y peut fournir sans les autres, et pas une des autres sans celle ci.

            Que si j'osois dire mes pensees sur les autres sujetz que Vostre Grandeur auroit de revenir, je luy marquerois le [253] desir ardent que Son Altesse Serenissime a eu qu'elle demeurast, auquel Vostre Grandeur correspondant par son retour, c'est sans doute qu'elle l'obligeroit non seulement a perseverer en l'amour plus que fraternel qu'ell'a tous-jours protesté envers icelle, mais elle en accroistroit extremement les causes, et par consequent les effectz.

            Je luy marquerois encor, qu'en cas que la guerre que Son Altesse Serenissime a sur les bras se rendit plus active et qu'elle passast jusques a quelqu'ardeur (ce que Dieu ne veuille), Vostre Grandeur, comme je pense, ne pourroit alhors retenir son courage quil ne la rapportast a la defense de ce sang, de cette Mayson, de cette couronne, de cet Estat dont ell'est et en quoy ell'a tant de part et tant d'interest, et ou manifestement vostre reputation, Monseigneur, presseroit vostre courage, si vostre courage, grand et bien nourri, ne prevenoit toute autre consideration, voyre mesme celle de la reputation. Et donq, Vostre Grandeur ne seroit elle pas infiniment marrie de se treuver tant esloignee de Son Altesse et de ses Estatz? Ell'a voyrement commandé que le sieur de la Grange fit passer ses trouppes dela les montz, qui est un bon tesmoignage de la perseverance de Vostre [254] Grandeur au devoir qu'ell'a envers sadite Altesse; mais d'en esloigner sa personne tandis que la fievre de la guerre est en ses Estatz et qu'on ne sçait si Dieu permettra que nous y voyons arriver des acces perilleux, je ne sçai, Monseigneur, ce que l'on en pourra juger, au prejudice de l'affection que je sçai bien neanmoins estre immuable dans vostre cœur.

            Je dirois encor, qu'estant icy pendant que cette guerre durera, quoy que Vostre Grandeur ne fut pas en l'armee, l'ennemy auroit tous-jours opinion ou qu'ell'y iroit en tems de necessité, ou qu'elle prsepareroit des nouvelles forces pour assister Son Altesse; et ces pensees ne pourroyent estre que fort utiles aux affaires d'icelle. Que si Vostre Grandeur se retire plus loin en un tems d'orage, certes, cela ressentira un abandonnement absolu du pilote et de la barque a la conservation delaquelle toute rayson humaine et divine oblige Vostre Grandeur, et laissera un certain sujet de plainte a tout cet arbre, dont vous, Monseigneur, estes une branche, a laquelle je ne sçai ce que l'on pourra respondre.

            Je proteste, Monseigneur, que je n'en pensois pas tant dire, mais escrivant, la chaleur de ma fidelité envers Vostre Grandeur m'a emporté au dela des limites que je m'estois proposees; car en fin, je suis pressé de la crainte que le souvenir de cet abandonnement de Son Altesse en un tel tems, ne soit pour durer longuement et pour servir de motif a quelque reciproque separation qui ne pourra jamais estre avantageuse, et pourra, en cent occasions, estre desavantageuse a Vostre Grandeur. Au moins ne manquera-il pas d'espritz qui la conseilleront, et peut estre avec tant de couleurs et d'artifices, qu'ilz la rendront probable.

            Si la fidelité de ce porteur, mais sur tout si la bonté de Vostre Grandeur ne me donnoit asseurance, je n'aurois garde d'envoyer une lettre escritte avec cette liberté; mais je sçai d'un costé, qu'elle ne sera point egaree, et [255] d'ailleurs, que elle ne sera leùe que par des yeux doux et benins envers moy, qui aussi l'escris (ainsy Dieu tout puissant me soit en ayde) sans en avoir communiqué le dessein qu'a deux des tres humbles et fideles serviteurs, sujets et vassaux de Vostre Grandeur. Comme aussi, si j'estois si heureux que d'estr'exaucé, je n'en voudrois recevoir autre fruit que celuy du mutuel contentement de Son Altesse et de Vostre Grandeur, et de la commune joye de ses peuples et de tous ses vrays serviteurs.

            Je prie Dieu de tout mon cœur quil remplisse celuy de Vostre Grandeur de ses graces, et suis sans fin,

            Monseigneur,

                                               Vostre tres humble et tres obeissant

                                                           orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Nessi, le VI novembre 1614.

            Oseray-je, Monseigneur, supplier Vostre Grandeur de recevoir cette lettre comm'en confession, et si elle ne luy est pas aggreable, de la punir elle mesme par son exterminement, en conservant neanmoins son autheur, a cause de l'innocence et bonne foy avec laquelle il l'a escritte, en qualité d'invariable tres obeissant serviteur de Vostre Grandeur.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Rouen. [256]

 

 

 

MXII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Le Saint déplore le départ du prince de Nemours. — Une paroisse très mal desservie. — L'épitaphe du poète Nouvellet.

 

Annecy, 6 novembre 1614.

 

                        Monsieur,

            Je vous remercie tres humblement de la part qu'il vous plait de me faire de vos nouvelles, toutes pareilles aux nostres de deça, car j'ay esté aussi prié d'escrire une lettre a Monseigneur le Duc de Nemours pour luy persuader de revenir; le tout, sur les remonstrances de monsieur son procureur fiscal, qui s'eschauffe infiniment a ce dessein. Or, j'ay escrit pour ne sembler pas avoir moins de desir que les autres pour un si grand bien; comm'en verité je l'aurois, ce desir-la, et plus grand et plus sincere que plusieurs autres, si je pensois que cela se peut faire, moralement parlant. Mays que pourront ces orateurs mortz, en comparayson des harangueurs continuelz qui vivent, et soufflent perpetuellement dans les aureilles de ce Prince son esloignement de ce païs? Et puis, n'ont ilz pas des-ja fait la moytié de leur besoigne? [257] Et si nous n'avons sceu empescher le depart, quel moyen d'obtenir le retour? Melius non incipient quam desinent. Au contraire, on m'escrit des le premier de ce moys, de Lion, que monsieur d'Alincourt l'attend lâ et fait des grans praeparatifs. Il est vray que c'est un prestre qui me l'escrit, et par consequent peut estre mal instruit des nouvelles de cette qualité lâ; mays le retour du sieur de Corbonex esclarcira ce point. J'ay une copie de la lettre que j'ay escritte, que je vous feray voir, Dieu aydant.

            Le bon monsieur de Blonnay a beaucoup de bon desir pour vostre eglise de Rumilli, laquelle, a la verité, est des plus indevotement servie de tout ce pais. Je [258] voy si je pourray rencontrer quelqu'expedient pour y remedier, et l'ayant treuvé, imploreray vostre faveur. Le bon curé ne sçait ce quil demande en la proposition quil fait faire audit sieur de Blonnay, car il parle contre Dieu et rayson: contre Dieu, par ce quil desire une symonie; contre rayson, par ce quil refuse un soulagement qui luy est offert gratuitement. Avec un peu de loysir, il pourra prendre meilleur conseil.

            Je receu seulement hier le pacquet pour Neufville, lequel sil fut arrivé un peu plus tost, seroit maintenant acheminé; mais il ne tardera pas beaucoup entre mes mains.

            L'epitaphe de notre bon M. Nouvelet est excellent et contient un abbregé de son histoire. Le grand honneur quil vous portoit requeroit que vous, Monsieur, fussies le seul qui luy fissies cette demonstration de la memoire que vous aves de luy; aussi, nul n'en pouvoit faire egalement. [259]

            Dieu vous comble de benedictions, Monsieur, selon le continuel souhait de

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            6 novembre 1614, Anessi.

                        A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon, Conseiller d'Estat

et commandant generalement pour S. A.

                        en l'absence de S. E.

 

Revu sur l'Autographe appartenant aux familles Ducruet et Pessoz, à Paris.

 

MXIII. A Madame de la Fléchère. Bonnes nouvelles. — Le premier essai d'une fille «bien resolue et de bon esprit.» — Annonce d'un départ. — Achèvement du Traitté de l'Amour de Dieu. — Divers messages.

 

Annecy, 7 novembre 1614.

 

            Dieu soit de plus en plus loué, ma tres chere Fille, dequoy mesme vous aves plus de santé que mon amour cordial envers vous ne me faysoit imaginer sur ce que vous m'aviés escrit. Je vous escris sans loysir.

            Ce soir, Mme de Treverney a receu une lettre en cette ville, escritte le 29 octobre par son mari, qui asseure expressement de la bonne santé du vostre. Voyla des-ja une bonne nouvelle. A mesme tems, nouvelle que le jeune M. de Blonnay, qu'on a tenu pour mort, estoit hors de danger.

            Hier, Mlle de Monthouz, cousine germaine du cher [260] mary, entra a la Visitation pour faire le premier essay; et madame la Senatrice sa cousine l'amena, qui est aussi une bonne ame, et de la confession generale delaquelle j'ay receu bien du contentement pour les bonnes inspirations que j'ay veu en son esprit. Mays la fille est certes brave, bien resolue et de bon esprit. Dieu luy face la grace de perseverer.

            Nostre Mere et les deux autres partent apres la Saint Martin pour Lion, d'ou on les envoyera prendre par des honnorables ecclesiastiques. Et moy, ma tres chere Fille, je m'en vay aussi en Valley pour consacrer Monseigneur l'Evesque de Sion, qui sera un voyage de trois semaines, pour le moins.

            Le livre de l'Amour de Dieu est achevé, mais il le faut transcrire plusieurs fois avant qu'on l'envoye.

            Nostre seur et la niece viennent faire icy l'hiver et prennent mayson a part; mon frere pourtant est maintenant un peu malade, a cause du tracas quil a fait parmi les affaires que ces trouppes de Monseigneur de Nemours nous donnent. [261]

            Bon soir, ma tres chere Fille, que mon ame cherit uniquement. Je suis tout vostre tres parfaitement, et salue ma niece et ma petite Francine.

            Le VII novembre 1614, Anessi.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Florence, au Conservatoire

de Saint-François de Sales.

 

 

 

MXIV. A la Mère de Chantal. Le Saint retenu chez lui par le grand nombre des visiteurs ; il se promet toutefois d'aller voir le lendemain la Mère de Chantal.

 

Annecy, [8 ou 9 novembre 1614.]

 

            Quel remede, ma tres chere Mere, a cette invincible sujettion de recevoir des gens lhors que plus j'ay le desir de me revoir moy mesme aupres de vous! Il n'y a eu moyen quelconque de m'en eschapper. Ce sera demain, Dieu aydant, malgré bon gré toutes aventures. Et ce pendant, Dieu benisse nostre cher cœur et le rende de plus en plus tout sien eternellement. Amen. [262]

            M. le senateur de Monthouz est ici, qui demain vous ira voir, ainsy qu'il m'a dit, et la cousine.

            Ma tres chere Mere toute tres aymee, bonsoir mille et mille fois. Amen.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

MXV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Pénurie de prédicateurs dans la province des Capucins de Thonon. — Intervention du Saint en faveur des Cordeliers savoyards, menacés d'une séparation préjudiciable à leurs études. — Une besogne qui n'est pas déplaisante à son auteur. — Pourquoi le Traitté de l'Amour de Dieu pourrait avoir moins de succès que l'Introduction à la Vie devote.

 

Annecy, vers mi-novembre 1614.

 

                        Monseigneur,

            J'ay fait une supplication a Monseigneur le Cardinal de Joyeuse, protecteur des RR. PP. Capucins, affin de pouvoir obtenir le P. F. Georges de Saint Joyre la Faverge [263] pour le Caresme 1616. Je vous supplie tres humblement d'interceder en ma faveur; mais ce que je ne desire pas que Monseigneur le Cardinal sçache, je vous-le diray confidemment. C'est que cette petite Province de la Mission a grandement besoin de predicateurs, et ne sçay ou donner de la teste pour en avoir, estant separee des autres Provinces, et n'ayant que des Italiens et Savoyards, ou Bressans. Pour cela, le Pere Provincial m'a conjuré de faire ce bon office, et m'a marqué specialement que j'employasse vostre intercession, comme je fay, vous la demandant, Monseigneur, tres humblement et tres affectionnement.

            Item, les Cordeliers de ce païs de Savoye ont eu nouvelles que leur Provincial sollicite messieurs du clergé de France affin quilz fassent retrancher leurs couvens de la Province de Saint Bonaventure es Estatz qui se celebrent; en suite de quoy, les Cordeliers savoyards n'auroyent plus acces a l'estude de Paris, [264] ou ilz ont eu tant de doctes et braves docteurs qui ont regenté et gouverné en ce couvent la, comme je l'ay veu moy mesme. Or, je laisse a part l'interest de ce païs, lequel pourtant me touche fort; mais j'ay un particulier interest pour ce diocaese, en faveur duquel feu Monseigneur Ange Justinien, mon predecesseur, fonda l'entretenement de bon nombre d'escoliers Cordeliers en l'estude de Paris. C'est pourquoy, Monseigneur, je vous supplie tres humblement d'employer vostre authorité et dexterité pour empescher ce coup, le dessein duquel ne peut proceder que d'envie ou de telle tentation; car c'est honneur a l'estude de Paris d'estendre ses rameaux hors du royaume. Et nos Savoyards se sont comportés tous-jours fort honnorablement, n'ayant rien fait qui leur puisse causer ce mal, sinon qu'ilz ont esté trop braves et ont obtenu les principales charges.

            Il y a encor l'affaire de nostre Chapitre pour ce petit benefice de Gex, dont j'escris a nostre grand et parfait [265] amy; s'il vous plaist, Monseigneur, vous y contribueres vostre faveur.

            Et pour le regard du livre de l'Amour de Dieu, je le revoy et fay transcrire, pour l'envoyer, Dieu aydant, ce Caresme a l'imprimeur, qui aura charge de vous faire presenter des premieres copies. Je vous confesse a vous, Monseigneur, que cette petite besoigne ne me desplait pas beaucoup; mays j'ay grand peur qu'elle ne reuscisse pas si heureusement que l'autre precedente, pour estre, a mon advis, un peu plus nerveuse et forte, quoy que j'aye tasché de l'adoucir et fuir les traitz difficiles. J'attendray l'oracle de vostre jugement pour le corriger avant quil viellisse, si vous me faites lhonneur de le voir et de me faire sçavoir les defautz que j'y auray commis, avec autant de liberté comme avec une veritable sousmission je souhaite vostre censure.

            C'est par nostre M. de Medio que je vous escris, Monseigneur; il prendra, je m'asseure, playsir a vous dire nos petites miserables nouvelles. C'est pourquoy, puisqu'aussi bien vous ay-je des-ja asses entretenu de nos menues affaires, je m'en remetz a luy, me contentant de me souscrire,

            Monseigneur,

                                                                       Vostre tres……

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Montpellier. [266]

 

 

 

MXVI. A Monseigneur Hildebrand Jost, Evêque nommé de Sion. Plusieurs raisons inclinent François de Sales à obliger l'Evêque de Sion. — Il lui sera très agréable de prendre part à l'office de sa consécration.

 

Annecy, 20 novembre 1614.

 

                        Illustrissime et Reverendissime Antistes ac Princeps,

            Gratissimum mihi semper erit si Vestrae Amplissimae et Rmae Dominationi obsequium aliquod praestare contingat. Id enim a me Deus Salvator, qui nos nobis invicem finitimos constituit, ut invicem alter alterius quoad fieri potest onera portemus. Id Vestrae Dominationis erga me jam pridem contestata benevolentia, id Vestrae Dominationis erga rempublicam [catholicam] optimus et constans animus jure suo postulare videntur.

            Quare, ubi diem Vestra Dominatio Rma condixerit, non deero quin lubentissime officio consecrationis suae amantissimi [267] utinam et amatissimi promotoris munere fungar. Sic enim apudme constitutum est, Dominationem Vestram Illmam et Rmam omni veneratione ac sincera dilectione semper et ubique prosequi.

            Interim, vale in Christo, Illme et Rme Praesul, et eundem Dominum Salvatorem habeto propitium.

            Dominationis Vestrae Illmae et Rmae,

                        Humillimus in Christo servus et frater,

            FRANCS, Episcopus Gebennensis.

            Annessii, vigesima novembris 1614.

 

 

 

                        Illustrissime et Révérendissime Evêque et Prince,

            Ce sera toujours pour moi une chose très agréable d'avoir l'occasion de rendre quelque service à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime. C'est ce qu'attend de moi Dieu notre Sauveur; il ne nous a faits si proches voisins, qu'afin que nous entreportions autant que possible les fardeaux l'un de l'autre. Ce bon office, je vous le dois encore, Monseigneur, à cause de la bienveillance que vous me témoignez depuis si longtemps et pour les égards que mérite votre souveraine et inviolable affection envers l'Eglise catholique.

            C'est pourquoi, aussitôt que Votre Seigneurie Révérendissime m'aura fixé le jour, je ne manquerai pas de remplir très volontiers, dans la cérémonie de sa consécration, la fonction d'un promoteur [267] très aimant, et, je le désire, très aimé. Je suis aussi résolu de témoigner en toute occasion à Votre Seigneurie Révérendissime les marques de mon absolu respect et de ma sincère amitié.

            En attendant, salut dans le Christ, Illustrissime et Révérendissime Prélat, et que ce même Sauveur vous soit propice.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

            Le très humble serviteur et frère dans le Christ,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le vingt novembre 1614.

 

 

 

MXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Voyages en Tarentaise et en Valais. — Nouvelles diverses.

 

Annecy, 28 novembre 1614.

 

                        Monsieur,

            Lhors que monsieur de Corbonnex fut icy, j'estois en un petit voyage que j'ay fait en Tharentayse pour la [268] consecration de 1'eglise que les Capucins y ont dressee nouvellement, selon la recommandation que Monseigneur l'Archevesque de ce lieu-la m'en avoit faite a son depart, et, dans deux jours, je vay en Valey, ou on doit sacrer Monseigneur de Syon le second Dimanche de l'Advent. Ce sera un voyage un peu plus long, et qui me tiendra hors de cette ville presque jusques aux festes. Cependant les nouvelles de la paix se fortifieront, Dieu aydant, et madame ma cousine arrivera pres de vous, qui me gardera de luy faire presentement response.

            J'ay apris par monsieur du Noyeret une partie de la negociation de Saint Rembert, car il a juge que vous [269] desiries que je la sceusse, puisque monsieur de Corbonnex avoit charge de me la communiquer. Si ce bon Prince revient, je seray grandement trompé, car, a ce que j'apprens, on le porte tous-jours plus avant de delà, et il me le signifie luy mesme par une lettre quil m'a fait la faveur de m'escrire.

            Je prie Dieu quil vous comble de contentemens, Monsieur, et suis sans fin,

                                                           Vostre tres humble serviteur, parent,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII novembre 1614, Anessi.

                        A Monsieur

            Monsieur le Comte de Tornon,

                        commandant generalement deça les montz

                                   en l'absence de S. E.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise Pensa, à Turin.

 

 

 

MXVIII. A Madame de la Fléchère. Annonce d'une messagère de confiance. — Encouragements. — Fidélité du Saint à sa chère Eglise de Genève, sa première épouse.

 

Annecy, [vers fin novembre] 1614.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je ne veux pas vous beaucoup entretenir maintenant par lettre, car en voyla une vivante qui vous va voir, [270] en laquelle vous lires plus de bien que je ne sçaurois vous en escrire.

            Je me res-jouis dequoy vos passions se treuvent un peu alenties; elles le seront, Dieu aydant, tous-jours plus. Il ne faut sinon continuer joyeusement en la poursuite que nous faysons du saint amour de sa divine Majesté. J'espere de vous voir dans cet hiver, car vous ne le passeres pas sans rendre la pareille de cette visite que vous fait la chere cousine, principalement si monsieur vostre mari fait sejour dela les mons.

            Helas! je n'ay pas seulement pensé a ce que vous m'escrives de Tharentayse; je fais trop d'estat dé la viduité pour me remarier jamais. Non certes, si j'avois jamais ma liberté, jamais je ne la quitterois. Or sus, si la quitte-je de tout mon cœur entre les mains de Nostre Seigneur, affin quil face de moy selon son tres bon playsir. Qu'a jamais il vive et regne en nos cœurs. Amen.

 

Revu sur copie déclarée authentique, conservée à Turin,

Archives de l'Etat.

 

MXIX. A la Mère de Chantal. Une nouvelle prétendante pour la Visitation.

 

Annecy, [novembre] 1614.

 

            Voyci, ma chere Mere, ma niece de la Croix, qui vient des Dames de Bonlieu, a dessein de se faire Religieuse [271] aupres de vous. Je m'asseure que vous la recevres de bon cœur a cause de son merite, et qu'elle est fille de monsieur et madame de la Ruaz, a qui j'ay lhonneur d'appartenir.

 

Revu sur le texte inséré dans la Généalogie manuscrite de la famille

de Vincent de la Croix de Fésigny.

 

 

 

MXX. A la même. Une première étape et la pensée de zèle qui donnait un élan joyeni an saint voyageur. — Consolations spirituelles réservées aux âmes apostoliques. — Commentaire d'un texte de saint Paul.

 

Polinge, 2 décembre 1614.

 

            Je commence des icy, ma tres chere Mere, a vous [272] rendre conte de nostre voyage, duquel cette premiere journee nous donne bon augure. Je suis, Dieu mercy, tout gueri et brave. Et ce bon gentilhomme soüisse m'a commencé a dire que M. l'Evesque son frere n'avoit pas desiré ma presence a sa consecration seulement pour l'action, mais pour conferer avec moy de plusieurs choses d'importance pour l'entier restablissement de la sainte religion en ce pais-lâ. Voyla pourquoy je vay encor plus joyeusement voir si Dieu se servira de moy en quelque chose pour sa gloire; car saches, ma tres chere Mere, que j'ay eu en chemin, et ce matin encor plus, des grans sentimens de la grace que Dieu fait a ceux qu'il employe a son service et ausquelz il donne le vray goust des vertus, ayant eu cette pensee sur les paroles que l'Eglise inculque et qui donnerent le dernier coup a la conversion de saint Augustin: Non point es banquetz et ivroigneries, non point es couches et impudicitès, mais revestes vous de Nostre Seigneur Jesus Christ. Qu'a jamais ce Sauveur soit nostre robbe [273] royale qui nous couvre et defende du froid de l'iniquité, et nous eschauffe en ce divin amour que nostre unique cœur cherche.

            Bonjour, ma tres chere Mere, conserves vostre ame et mienne en sainte consolation. Amen.

            A Polinge, ce 2 decembre 1614.

            Je suis vous mesme, ma tres chere Mere, vous le sçaves bien, tres parfaitement vostre. Vive Jesus! Je salue nos Seurs cherement. Le cher filz vous bayse tres humblement les mains; il arriva hier, ainsy que nous entrions a table, c'est a dire a 5 heures.

            A Madame

Madame de Chantal,

            Superieure de la Visitation.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Orléans.

 

MXXI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Avis donné au Duc sur la politique du gouverneur de Milan en Valais. — Eloge détaillé du nouvel Evêque de Sion. — Un présent qu'il n'a pas reçu.

 

Thonon, 13 décembre 1614.

 

                        Monseigneur,

            Ayant esté ces sept ou huit jours passés en Valey pour la consecration de Monseigneur de Syon, j'ay remarqué beaucoup de bonn'affection au service de Vostre Altesse [274] Serenissime en plusieurs de ce païs-la. Mays parmi cela, j'ay apperçeu que le seigneur gouverneur de Milan a des grandes prattiques pour attirer cet Estat au parti d'Espagne, et a presque des-ja gaigné pour cet effect les vœux et les voix des quattre dizains, qu'ilz appellent, d'en haut: Rarogne, Vespia, Brighen et Comze, qui auroyent des-ja fait passer leur inclination en resolution, si Monseigneur de Sion et les trois dizains d'embas, Sion, Sierre et Loeïtze, ne se fussent grandement opposés pour empescher ce coup, lequel toutefois il sera malaysé de destourner, si quelqu'un n'arrive promptement entr'eux de la part de Vostre Altesse, avec les provisions requises pour reasseurer ces espritz-la fort esbranslés.

            Et par ce, Monseigneur, que le Valley estant si proche de Savoye et Piemont, ne peut estre qu'extremement utile aux affaires de Vostre Altesse, quand ell'en aura l'alliance et correspondance, j'ay pensé que cet advis estoit d'importance et que je le devois donner a Vostre Altesse, laquelle je supplie tres humblement de l'avoir aggreable, comm'encor que je luy die que ce jeune Prelat que nous venons de sacrer est de fort bonne esperance, devot, actif, de bon esprit et plus gentil que sa nation n'a pas accoustumé d'en produire, fort affectionné a Vostre Altesse, et qui attendoit avec honneur un anneau episcopal en present, de Monseigneur le Prince Cardinal, ainsy qu'on luy avoit fait esperer.

            Et quant au cappitaine Valdin, il fait par dessus tous profession expresse d'estre tout affecté au service [275] de Vostre Altesse, a laquelle je fay tres humblement la reverence, et luy souhaitant toute sainte prosperité, je demeure infiniment,

            Monseigneur,

                                               Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                                           serviteur et orateur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Thonon, le XIII decembre 1614.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

MXXII. Au Marquis Sigismond de Lans. Renseignements politiques. — Les agissements du gouvernenr de Milan pour attirer le Valais au parti de l'Espagne. — Opposition de l'Evêque de Sion. — Mesures à prendre. — Un festin de six heures. — Qualités du nouvel Evêqne.

 

Thonon, 13 décembre 1614.

 

                        Monsieur,

            Je vous donnay advis, a mon départ d'Annessi, comme je venois en Valley pour la consecration de Monseigneur l'Evesque de Sion qui, des il y a longtems, m'y avoit convié, et a la celebration delaquelle j'estois necessaire en quelque sorte, puisqu'il n'avoit point d'Evesque plus proche qui luy peut rendre cet office avec moins d'incommodité que moy. Or, revenant de la, je me suis treuvé obligé de donner advis a Son Altesse de l'effort que le seigneur gouverneur de Milan fait pour attirer le pais de Valey au parti d'Espagne et soustraire cett'alliance a Son Altesse; dequoy les fers sont si avant au feu, que si sadite Altesse n'y remedie promptement, je ne sçai comm'on en pourra empescher les effectz. Et des-ja les [276] dizains de Comze, de Raroigne, de Brighen et Vespia sont gaignés et auroyent fait faire le coup, n'eut esté la vive resistence de Monseigneur de Syon et des autres troys dizains.

            Cest advis, Monsieur, est d'importance, comme Vostre Excellence jugera trop mieux. C'est pourquoy je la supplie d'envoyer ma lettre ci jointe au plus tost a sadite Altesse, a laquelle je ne dis pas que ces gens-la sont merveilleusement ombrageux et delicatz a entretenir, car elle le sçait bien; mays je luy eusse volontier dit qu'en suite de cela, ilz ont treuvé estrange que le seigneur Valdenghe n'ayt pas comparu au sacre de leur Evesque et a l'assemblee qui estoit assignee a ce jour la, puisque mesme on leur en avoit donné intention, comme aussi a Monseigneur de Syon que Monseigneur le Prince Cardinal luy envoyeroit son anneau episcopal. Que si ledit sieur Valdenghe, ou quelqu'autre de la part de Son Altesse, ne se treuve mardi, 16 de ce moys, ou soudain apres, en l'assemblee generale des dizains qui se doit [277] celebrer, je crains infiniment que l'alliance de Son Altesse ne se convertisse en celle d'Espagne.

            Au reste, il ne se peut dire combien de carouz on a fait a la santé de Son Altesse, de Messeigneurs les Princes et de Vostre Excellence mesmement, Dimanche passé, au festin solemnel qui ne dura sinon despuis un'heure apres mydi jusques a sept heures et demi du soir; et Vostre Excellence peut penser si, passé la premiere heure, les autres devoyent estre longues a ceux qui ne s'estoyent jamais treuvés en tell'histoire. Le bon Monseigneur l'Archevesque de Vienne et moy fusmes exempts des carroux, hormis de quatre, a la santé de Son Altesse, de Messeigneurs les Princes, des sept cantons catholiques et de Monseigneur le Prince et seigneurs dizains du pais de Valey; mays nous les fismes encor dans des verres et selon la mesure que nous voulusmes. Toutes les autres santés ne nous furent point presentees, mais elles ne demeurerent pas sans porteurs.

            Il falloit bien, Monsieur, vous dire tout, en gardant pour la bonne bouche que ce nouveau Prince et Evesque (car ilz l'appellent ainsy) est tout brave, devot, sçavant, gentil et courageux, fort serviteur de Son Altesse et ami de la Savoye.

            Je prie Dieu quil vous comble, Monsieur, de ses plus desirables benedictions, et suis sans fin,

            De Vostre Excellence,

                                   Tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Thonon, en haste, 1614, 13 decembre.

A Son Excellence.

            A Montmellian.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [278]

 

 

 

MXXIII. A la Mère de Chantal. Réponse à donner à une personne qui combat une vocation. — Respect dû à la liberté des âmes.

 

Annecy, [après la mi-décembre] 1614.

 

            Je luy respondray que la vocation de cette fille n'est pas mon œuvre, ains de Dieu, comme je pense; que je ne n'oserois contribuer une seule parole pour la ruiner. Qu'elle s'en addresse donq a Nostre Seigneur, qui tient les cœurs des siens en ses mains pour les tirer ou bon luy semble. Mays vous, ma tre chere Mere, escrives-luy fort doucement que vous n'aves rien contribué a la vocation et que vous craindries trop d'offencer Dieu en la dissuadant; qu'ell'est en sa liberté, delaquelle elle peut user a son gré, et que si Dieu la veut en nostre Congreation, ce vous seroit une grande charge de conscience a l'heure de vostre mort de la repousser; que vous la supplies de s'en accommoder a ce que Dieu en disposera. Et quelque chose de vostre esprit et du mien.

Bon soir, ma tre chere Mere, toute mienne, moymesme.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rennes. [279]

 

 

 

MXXIV. A Dom Placide Bailly, Benedictin. Excellente disposition pour recevoir de grandes grâces. — Comment vivre «en ce petit pelerinage.» — Document pour commencer une bonne vie religieuse. — Un anniversaire très pieusement célébré par le Saint.

 

Annecy, 18 décembre 1614.

 

                        Mon tres cher Pere,

            Je vous puis asseurer que nostre chere Seur Françoise Gabrielle Bailly, vostre seur, m'est aussi chere que si c'estoit la mienne propre, sa pieté m'y ayant convié, et loue Dieu de ce qu'elle reçoit et donne beaucoup de consolation en la Congregation de nos cheres Seurs. Nostre Mere d'icy l'ayme parfaitement, et nous voyons que c'est un vase bien poly, vuide, ouvert pour recevoir de [280] grandes graces celestes; car c'est une ame droitte, un esprit vuide et desnué de toutes les choses de ce monde, et qui n'a pensee ni dessein que pour son Dieu. O qu'elle est heureuse en cet estat! car peu importe le tems passager a une ame qui aspire a l'eternité, et qui ne regarde ces momens perissables que pour aller en la vie immortelle.

            Ah! mon cher Pere, mon Frere, vivons ainsy en ce petit pelerinage, joyeusement selon le gré de nos hostes, en tout ce qui n'est point peché. Je sçai que vostre ame est de celles desquelles les yeux vont defaillans a force de regarder le sacré object de leur amour, disant: Quand me consolerés-vous?

            Vous me demandes quelque instruction pour commencer une bonne vie religieuse. Ah! vray Dieu, mon cher Pere, moy qui ne fus jamais seulement bon clerc, m'appartient-il d'instruire les saintz Religieux? Portés doucement et amoureusement vostre croix, laquelle, a ce que j'entens, est asses grande pour vous combler de benedictions, si vous l'aymés.

            Quelque petite occupation m'empesche de respondre a souhait a la douce lettre que vous m'aves escrit. Seulement je vous dis que c'est aujourd'huy le jour que je fus consacré a Dieu pour le service des ames; je solemnise tous les ans ce jour avec le plus d'affection que je peux, me consacrant de nouveau a mon Dieu. Enflammés mon sacrifice de l'ardeur de vostre charité, et croyés que je suis

                                               Vostre tres humble serviteur, pere et frere

                                                                       tout ensemble,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessi, ce…… [281]

 

 

 

MXXV. A la Mère de Chantal. Mme des Gouffiers propose de venir prendre la Mère de Chantal pour l'accompagner à Lyon ; le Saint agrée provisoirement ce projet.

 

Annecy, fin décembre 1614.

 

            J'ay repensé, ma tres chere Mere, au desir que Mme de Gouffier a de vous venir prendre, et l'ay conferé avec ses lettres; et m'est venu en l'esprit que peut estre il ne seroyt pas si hors de rayson quil me sembloit d'abord, puisqu'elle son esprit si embarrassé et plein de choses qui l'affligent. A elle la peine de venir et la despense de son voyage. Mays nous en parlerons, Dieu aydant, ce soir. Cependant vous y penseres un peu, et moy auray eu ce petit sujet de donner le bon jour au tres aymé cœur de ma Mere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le baron de Cholen, à Paris.

 

MXXVI. A la même. Où réside la foi dans l'âme des saints qui sont tentés contre cette vertu. — Les souffrances spirituelles de la Mère de Chantal ne troublent pas son saint Directeur.

 

Annecy, [1614.]

 

                        Ma chere Mere,

            Ne craignés point, la foy reside tous-jours en la cime [282] et pointe de vostre esprit, et cela vous asseure que ces troubles finiront et que vous jouires du repos desiré au sein de Dieu; mais la grandeur du bruit et des cris que l'ennemy fait dans le reste de l'ame et rayson inferieure, empesche que les advis et remonstrances de la foy ne sont presque point entendus. Mays de tout cela, ma chere Mere, je ne m'en metz nullement en peyne; au contraire, je benis Dieu dans la nuit de vostre souffrance, et rens grace a Celuy qui vous monstre combien il faut souffrir pour son nom.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ms. original des Mémoires, etc., par la Mère de Chaugy, conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

MXXVII. A la même. Une malade reprise pour ses imprudences.

 

Annecy, [1612-1614.]

 

            Je vous surprens, ma chere Mere, en manquement de fidelité, sans aucun pretexte de prudence et de sagesse. Dites moy comme vous vous portes, pour Dieu et pour moy, qui suis, comme vous sçaves vous mesme, plus vostre que vous mesme.

            Dieu vous benisse, et moy. [283]

 

MXXVIII. A la même. Demande et envoi de nouvelles.

 

Annecy, [1612-1614.]

 

            Que ma tres chere Mere soit benite des plus sacrees benedictions du Sauveur de son ame! Amen.

            Mais dites donq un peu bien, ma tres chere Mere, comme vous vous estes portee, car le cœur de vostre filz, qui est le filz de vostre cœur, desire un peu de certitude de cela. Pour moy, je me porte fort bien, graces a Dieu, et suis autant vostre que vous mesme, tout en verité.

            Bon soir, ma tres bonne Mere, et soyes toute sainte.

 

 

 

MXXIX. A Madame de Peyzieu. Pour être tout à Dieu, nous devons crucifier nos affections les plus vives. — Il nous faut surtout un cœur amoureux envers le prochain. — Quand cet amour est-il plus excellent.

 

[Fin 1612-1614.]

 

                        Ma tres chere Mere,

            Maintenant que vous diray-je? Bien des choses sans doute, si je voulois suivre mes affections, lesquelles seront [284] tous-jours pleynes pour vous, comme je desire que les vostres soyent bien pleynes pour moy, quand sur tout vous seres dans le petit oratoire, ou je vous supplie d'en respandre beaucoup devant Dieu a l'intention de mon amendement; ainsy que de mon costé je respans, non les miennes, qui sont indignes a rayson du cœur ou elles sont, mays le sang de l'Aigneau immaculé, devant le Pere eternel, en faveur de la bonne intention que vous aves d'estre toute sienne.

            Quel bonheur, ma chere Mere, d'estre tout a luy, qui, pour nous rendre siens, s'est fait tout nostre! Mais il faut pour cela crucifier en nous toutes nos affections, et specialement celles qui sont plus vives et mouvantes, par un perpetuel allentissement et attrempement des actions qui en procedent, affin qu'elles ne se facent pas par impetuosité, ni mesme par nostre volonté, mais par celle du Saint Esprit.

            Sur tout, ma chere Mere, il nous faut avoir un cœur bon, doux et amoureux envers le prochain, et particulierement quand il nous est a charge et degoust; car alhors nous n'avons rien en luy pour l'aymer, que le respect du Sauveur, qui rend l'amour sans doute plus excellent et digne d'autant qu'il est plus pur et net des conditions caduques.

            Je prie Nostre Seigneur qu'il accroisse en vous son saint amour. Je suis en luy

                                                                       Vostre bien humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [285]

MXXX. A M. Jean de la Ceppède (Minute). Remerciements au destinataire pour l'envoi d'un poème. — L'auteur a su transformer les muses païennes en chrétiennes. — Puisse-t-il servir d'exemple à d'autres poètes. — Le pouvoir des vers pour pénétrer les cœurs.

 

[1613-1614.]

 

                        Monsieur,

            Ce m'a esté un honneur extremement sensible d'avoir receu de vostre part ces riches et devotz Theoremes que le Reverend Pere Ange Le Blanc m'a remis; et si j'avois le riche parfumier ou cabinet des unguens que cet ancien prince Alexandre le Grand destina pour la garde des livres et escritz d'Homere, je le destinerois aussi a la conservation de ce beau present, lequel m'est d'autant plus pretieux que je n'avois garde de l'oser [286] esperer, puisque je n'ay pas mesme pensé que vous eussies sceu que je fusse au monde, ou estant, de vray, si peu de chose, confiné en ce recoin de nos montagnes, je me tiens pour invisible. Mais toutefois, comme ce sont les grandes lumieres qui descouvrent les atomes, ainsy m'aves vous peu voir.

            Or, puisque non seulement il vous a pleu, Monsieur, de jetter vostre pensee et, ce qui est encor le plus, vostre bienveuillance sur moy, je vous supplie tres humblement de me continuer cette grace par la mesme courtoisie et bonté qui l'a fait naistre en vostre ame sans aucun merite de ma part; et si je ne puis par les effectz, au moins par affection je m'essayeray de correspondre a cette faveur, vous portant a jamais un honneur, ouy mesme (si vous me permettes ce mot) un amour tres particulier. A quoy je suis encor attiré par cette sçavante pieté qui vous fait si heureusement transformer les muses payennes en chrestiennes, pour les oster de ce viel prophane Parnasse et les loger sur le nouveau sacré Calvaire. Et pleust a Dieu que tant de poetes chrestiens qui ont en nostre aage si dignement tesmoigné comme vous, Monsieur, la beauté de leur esprit, eussent aussi, comme vous, fait paroistre la bonté de leur jugement au choix des sujetz de leurs poëmes! La corruption des mœurs ne seroit pas si grande; car c'est merveille combien les discours resserrés dans les lois des vers ont de pouvoir pour penetrer les cœurs et assujettir la memoire. Dieu leur veuille pardonner de l'abus qu'ilz ont fait de leur erudition.

            Et vous, Monsieur, usés, ains jouisses tous-jours ainsy saintement de ce beau, riche et bon esprit que la divine Majesté vous a conferé en cette vie temporelle, affin que vous vous res-jouissies a jamais, contemplant et chantant glorieusement les mesmes mysteres, en la vie eternelle. Je suis de tout mon cœur,

                        Monsieur,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                                      F., E. de Geneve. [287]

 

 

 

MXXXI. A la Mère de Chantal. Une occasion est offerte à la Mère de Chantal d'écrire à son cher enfant. — De quoi elle avait peur.

 

Annecy, [1613-1614.]

 

                        Ma tres chere Mere,

            Avec une aggreable occasion, je prens le contentement de vous donner le bon soir.

            Un fort honneste gentilhomme me vient demander une lettre vers M. le Grand pour la recommandation de quelque affaire qu'il a; j'ay pensé que peut estre auries vous playsir d'escrire a vostre cher enfant. Et n'estoit que je sçai que vous aves peur que l'amour naturel ne soit trop rafroidy et presque tout esteint, je n'oserois pas vous donner cette atteinte pour le resveiller. Or sus, si vous escrivés, il faut avoir la lettre encor ce soir.

            Et Dieu vous benisse, ma tres vraye, tres aymee et tres aymable Mere. Je salue nos filles, notamment la malade, et suis, comme vous sçaves vous mesme, tout vostre par Nostre Seigneur. Amen. [288]

 

Année 1615

 

 

MXXXII. A M. Claude de Blonay. Pourquoi le saint Fondateur désire envoyer à Lyon les meilleurs de ses sujets. — Marie-Aimée de Blonay sera l'une des fondatrices ; son père est prié d'agréer cette mission si glorieuse pour sa fille.

 

Annecy, 2 janvier 1615.

 

                        Monsieur mon tres cher Frere,

            Dieu nous visite en sa douceur, et veut que la Visitation soit invitee par nostre tres bon Monseigneur de Lion de l'aller visiter en son diocese, pour y establir une Mayson de Nostre Dame comme la nostre d'Annessy. Or, d'autant que l'entreprise est grande et que c'est la premiere saillie ou production de nostre Mayson (que je desire qui ne produise rien que de bon), nous voulons y envoyer la cresme de nostre Congregation; et parce que nostre chere fille Marie Aymee est un de nos plus pretieux sujetz, je desire de la poser aux fondemens de ce nouvel edifice.

            J'espere que vostre pieté, mon cher Frere, vous fera volontier acquiescer a l'esloignement de cette chere fille, puisqu'il est requis a la gloire de Dieu. Et encor (pour parler un peu humainement a un pere qui ayme bien son enfant), cette mission est glorieuse a nostre fille, a laquelle je ne me baste point de demander si elle voudra aller, me tenant asseuré de son obeissance, comme je [289] suis asseuré de vostre resignation, et que vous le deves estre de l'affection fraternelle de

                                   Vostre tres humble serviteur et confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessi, le 2d jour de l'an 1615.

 

MXXXIII. A Madame Gasparde de Ballon, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine. La débonnaireté de Notre-Seigneur en sa crèche ; ce qu'on y trouve et dans quelle posture il faut s'y tenir. — Que faire quand l'ennemi nous détourne de la sainte dévotion ; le péril de quitter l'oraison.

 

Annecy, 6 ou 7 janvier [1613-1615.]

            Nostre Seigneur vous ayme, ma chere Fille, et vous ayme tendrement. Que s'il ne vous fait pas sentir la [290] douceur de son saint amour, c'est pour vous rendre plus humble et plus abjecte a vos yeux. Mais ne laissés pas pour cela de recourir a sa sainte debonnaireté en toute confiance, sur tout maintenant, en ce tems auquel nous le nous representons comme il estoit, petit enfant en Bethlehem; car, mon Dieu, ma chere Fille, pourquoy prend il cette douce et amiable condition de petit enfant, sinon pour nous provoquer a l'aymer confidemment et a nous confier amoureusement en luy?

            Demeurés bien pres de la cresche cette sainte octave des Rois. Si vous aymes les richesses, vous y treuveres l'or que les Rois y ont laissé; si vous aymés la fumee des honneurs, vous y treuveres celle de l'encens, et si vous aymes les delicatesses des sens, sentes-y la mirrhe odorante qui parfume tout l'estable. Soyes riche en amour pour ce cher Sauveur; honnorable en la privauté que vous prendres avec luy par l'orayson, et toute delicieuse en la joye de sentir en vous les saintes inspirations et affections d'estre tres uniquement sienne.

            Pour vos petites choleres, elles passeront, ou si elles ne passent pas, ce sera pour vostre exercice et mortification. En fin, ma chere Cousine, puisque, sans reserve, vous voules estre toute pour Dieu, ne tenes point vostre cœur en peyne, et, entre toutes les secheresses qui vous peuvent arriver, soyes ferme a demeurer entre les bras de la misericorde divine.

            Et pour ces apprehensions qui vous arrivent, c'est l'ennemy qui, vous voyant a cette heure toute resolue de vivre en Nostre Seigneur sans reserve et sans exception, il fera toute sorte d'effort pour vous incommoder et rendre dure la voye de la sainte devotion. Or, il faut que vous, au contraire, estendies vostre cœur par une frequente repetition de vostre protestation, que vous ne relascheres jamais, que vous persevereres en vostre fidelité, que vous [291] aymes mieux les rigueurs du service de Dieu, que les douceurs du service du monde, que jamais vous n'abandonneres vostre Espoux.

            Gardés bien, ma chere Fille, de quitter la sainte orayson, car vous feries le jeu de vostre adversaire; mais continues constamment en ce saint exercice et attendes que Nostre Seigneur vous parle, car il vous dira un jour des paroles de paix et de consolation; et lhors vous connoistres que vostre peyne aura esté bien employee, et vostre patience, utile.

            Bon soir, ma tres chere Fille. Glorifiés vous d'estre toute pour Dieu, et protestés tous-jours d'estre toute sienne. Dites souvent: Que vive Jesus!

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

MXXXIV. A Madame de la Fléchère. La malignité humaine, grand sujet de résignation. — Quels esprits ne sont pas bons à l'office de chapelain. — On attend à Annecy les délégués de l'Archevêque de Lyon.

 

Annecy, vers le 15 janvier 1615.

 

            J'ay receu vos lettres, ma tres chere Fille, mais on ne m'a donné commodité d'y respondre que maintenant; encor n'ay-je loysir que celuy que je prens au milieu d'un appointement.

            Pour le premier chef, vous pourres, en justification de M. de Blonnay, declairer tout ce que vous aves appris du tappis. C'est un grand cas de la malice de l'esprit humain! Rien ne nous donne tant de sujet de resignation [292] que la rencontre des diverses ruses dont il se sert a mal faire.

            M. Charvet est un esprit jeune et ardent, et je le luy dis l'autre jour. Il seroit requis que M. de Blonnay arrestast, mais je ne sçai si nous le pourrons faire, car je le voy disposé a tout quitter, par la recherche quil me fait de l'envoyer a Lion, servir de chapelain la nouvelle Visitation. Je luy respons en sorte que je luy donne courage de demeurer, ne m'estant pas advis quil fut bon a l'office quil recherche, d'autant que c'est un esprit foysonnant de conceptions et fort porté aux extremités.

            J'ay remis la lettre a Mme de Chantal sans la voir, par ce que je n'avois pas encor leu celle que vous m'escrivies. On n'est encor pas venu de Lion; nous attendons aujourdhuy des nouvelles. J'en ay receu de nostre seur de Bons.

            Dieu vous comble a jamais de ses tressaintes graces, et suis sans fin, ma tres chere Fille,

                                                                       Tout parfaitement vostre,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

            Revu sur l'Autographe conservé dans le trésor de l'église Saint-Servais, à Maëstricht. [293]

 

 

 

MXXXV. A la même. Départ imminent de la Mère de Chantal pour Lyon. — Souhait du Saint.

 

Annecy, 25 janvier 1615.

 

            En somme le bon monsieur de Blonnay a choisi de quitter la charge du college. Certes, ma tres chere Fille, son esprit n'est pas pour supporter un si grand tracas; et je voy que non seulement cela, mais il est pour se retirer de Rumilly. Or, Dieu soit loué.

            Nostre bonne madame de Chantal part demain pour aller coucher a Clermont, ces messieurs et ces dames de Lion estant venus la prendre. Hé! Dieu veuille benir et prosperer ce voyage, qui s'entreprend pour son honneur et l'edification de plusieurs. [294]

            Je vous salue infiniment, ma tres chere Fille, a qui je suis tres parfaitement en Nostre Seigneur, qui vous sauve et benisse a jamais. Amen. Vive Jesus!

            Je salue reciproquement la chere niece et luy souhaite mille et mille benedictions.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

             [25] janvier 1615.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

MXXXVI. A la Mère de Chantal. Sept billets pour le voyage. — Souhaits et bénédictions. — Les âmes vraiment inséparables. — Motifs de confiance et de courage. — La joyeuse ardeur de saint Ignace, martyr. — Promesse de la protection des bons Anges. — Douceur de l'unité des cœurs et des esprits. — Ardente prière pour la Fondatrice ; bénédictions à ses filles

 

Annecy, 26 janvier 1615.

 

            Voyci le souhait de vostre Pere, ma tres chere Fille: Dieu soit avec vous au chemin par lequel vous ires; Dieu vous tienne tous-jours vestue de la robbe de sa charité; Dieu vous nourrisse du pain celeste de ses consolations; Dieu vous ramene saine et sauve en la mayson de vostre pere; Dieu soit a jamais vostre Dieu, ma chere Mere. Ce sont les benedictions que Jacob se souhaitoit quand il partit de Bethel, et ce sont celles la que je me souhaite a moy mesme, ma tres chere et tres unique Fille, a [295] vostre despart de ce lieu, ou vous demeures en partant et d'ou vous partes en demeurant.

            Allés en paix, ma tres chere Fille, allés en paix ou Dieu vous appelle; demeurés en paix, mais demeurés en la sainte paix de Dieu, ou il vous tient et arreste icy. Les ames que Dieu a rendu tout une sont inseparables, car, qui peut separer ce que Dieu a joint? Non, ni la mort, ni chose quelconque ne nous separera jamais de l'unité qui est en Jesus Christ, qui vive a jamais en nostre cœur. Amen.

 

 

 

MXXXVII

 

            Or sus, ma chere Fille, puisque Dieu est l'unité de nostre cœur, qui nous en separera jamais? Non, ni la mort ni la vie, ni les choses presentes ni les futures, ne nous separeront jamais, ni ne diviseront nostre unité. Allons donq, ma tres chere Fille, avec un seul cœur, ou Dieu nous appelle; car la diversité des chemins ne rend rien de divers en nous, puisque c'est a un seul object et pour un seul sujet que nous allons.

            O Dieu de mon cœur, tenés ma tres chere fille de vostre main; que son Ange soit tous-jours a sa dextre pour la proteger, que la Sainte Vierge Nostre Dame la recree tous-jours de l'aspect de ses yeux debonnaires.

 

 

 

MXXXVIII

 

            Ma tres chere Fille, la Providence celeste vous assistera: invoqués-la avec confiance en toutes les difficultés desquelles vous vous treuveres environnee. A mesure que vous allés outre, ma tres chere Mere, ma Fille, vous deves prendre courage et vous res-jouir dequoy vous [296] contentes Nostre Seigneur, le contentement seul duquel contente tout le Paradis.

            Pour moy, je suis la ou vous estes vous mesme, puisque la divine Majesté l'a ainsy voulu eternellement. Allons donq, ma chere Fille, allons suavement et joyeusement faire l'œuvre que nostre Maistre nous a marquee.

 

 

 

MXXXIX

 

            Hé! ma tres chere Mere, ma Fille, il me vient en memoire que le grand saint Ignace, qui portoit Jesus Christ en son cœur, alloit joyeusement servir de pasture aux lions et souffrir le martyre de leurs dens: et voyla que vous allés, et nous allons, s'il plaist a ce grand Sauveur, a Lion, pour y faire plusieurs services a Nostre Seigneur, et luy preparer plusieurs ames desquelles il se rendra l'Espoux. Pourquoy n'irions-nous joyeusement au nom de nostre Sauveur, puisque ce Saint alla si allegrement au martyre de nostre Sauveur?

            Que bienheureux sont les espritz qui marchent selon la volonté de ce divin Esprit, et le cherchent de tout leur cœur, laissant tout, et le Pere mesme qu'il leur a donné, pour suivre sa divine Majesté!

 

 

 

MXL

 

            Allés, ma tres chere Mere, ma Fille. Nos Anges de deça tiennent les yeux sur vous et sur vostre petite trouppe et ne vous peuvent abandonner, puisque vous n'abandonnes pas le lieu de leur protection, ni les personnes de leur garde, que pour n'abandonner pas la volonté de Celuy pour la volonté duquel ilz s'estiment heureux d'abandonner maintes fois le Ciel. Les Anges de dela, qui vous attendent, envoyeront a vostre rencontre leurs [297] benedictions, et vous regardent allant vers leurs lieux, avec amour, puisque c'est pour cooperer a leur saint ministere.

            Tenés vostre cœur en courage, car, puisque vostre cœur est a Dieu, Dieu sera vostre courage. Allés donq, ma Fille, allés avec mille et mille benedictions que vostre Pere vous donne, et sçachés que jamais il ne manquera de respandre, par toutes les aspirations que son ame fera, des combles de souhaitz sacrés sur la vostre. Ce sera son premier exercice au resveil du matin, le dernier au coucher du soir et le principal a la sainte Messe.

            Vive JESUS et MARIE! Amen.

 

MXLI

 

            Allés, ma fille, allés; mon esprit vous va suivant et respandant sur vous mille benedictions. Au nom de Dieu, nous allons et demeurons, avec une fort pure intention de servir de tout nostre cœur a la gloire eternelle de sa divine Majesté icy ou nous demeurons, et la ou nous allons. O Dieu, que c'est une douce chose que d'avoir la sainte unité des cœurs qui, par une merveille inconneuë au monde, nous fait estre en plusieurs lieux, sans division ni separation quelconque.

            Demeurons et allons en paix, ma tres chere Fille. Et comme une seule femme se console en l'une et l'autre main, tenant son filz de l'une et son pere de l'autre, ainsy res-jouissons nous dequoy en une parfaite unité d'esprit [298] et de tout nous mesmes, icy ou nous demeurons et la ou nous allons, nous nous tenons a ce Sauveur que nostre cœur veut cherir reveremment comme son Pere et tendrement comme un filz.

            Or sus, je m'en vay presenter ce cœur a ce cher Sauveur en la sainte Messe.

 

 

 

MXLII

 

            O Seigneur Jesus, sauvés, benissés, confirmés et conservés ce cœur qu'il vous a pleu de rendre unique en vostre divin amour; et puisque vous luy aves donné l'inspiration de se dedier et consacrer a vostre saint Nom, que vostre saint Nom le remplisse comme un bausme de divine charité, qui, en une parfaite unité, respande les varietés des parfums et odeurs de suavité requises a l'edification du prochain. Ouy, Seigneur Jesus, remplisses, comblés et surabondés en grace, paix, consolation et benediction cette ame qui, en vostre saint Nom, va et demeure ou vostre gloire la veut et appelle. Amen.

            Mille benedictions a nos cheres filles. Dieu, qui les a assemblees, les benisse; leurs saintz Anges soyent a jamais autour d'elles, respandant a pleines mains les graces et consolations celestes dans leurs cœurs bienaymés, et que la Sainte Vierge, desployant sa poitrine maternelle sur elles, les conserve en la vertu de son amoureuse maternité. Amen. VIVE JESUS! [299]

 

MXLIII. A Madame de Peyzieu. Les marques du pur amour. — De quel prix ont été payées les vertus des chrétiens.

 

Annecy, [vers février] 1615.

 

            Helas, mon Dieu, ma tres chere Mere, que j'ay esté estonné quand par vostre lettre j'ay sceu, comme tout a coup, la longueur et le danger de vostre maladie! car, croyés moy, je vous supplie, mon cœur vous cherit finalement. Mays, Dieu soit loué dequoy vous voyla presque toute eschappee.

            Certes, des-ormais je voy bien qu'il faudra vous apprivoyser aux maladies et infirmités en cette decadence d'aage en laquelle vous estes. Seigneur Jesus, quel vray bonheur a une ame dediee a Dieu d'estre fort exercee par la tribulation avant qu'elle parte de cette vie! Ma tres chere Mere, comme peut on connoistre le franc et vif amour, que parmi les espines, les croix, les langueurs, et sur tout quand les langueurs sont accompaignees de longueur? Aussi, nostre cher Sauveur a tesmoigné son amour desmesuré par la mesure de ses travaux et passions.

            Faites, ma chere Mere, faites bien l'amour a l'Espoux de vostre cœur sur le lit de douleur; car c'est sur ce lit la ou il a fait vostre cœur avant mesme qu'il fust fait au monde, ne le voyant encor qu'a son divin projet. Helas! ce Sauveur a conté toutes vos douleurs, toutes vos souffrances, et a payé au prix de son sang toute la patience et tout l'amour qui vous est necessaire pour saintement appliquer tous vos travaux a sa gloire et a vostre salut. Soyés contente a vouloir doucement tout ce que Dieu [300] veut que vous soyés. Jamais je ne manqueray a prier la divine Majesté pour la perfection de vostre cœur, que le mien ayme, cherit et honnore tendrement.

            A Dieu, ma tres chere Mere, et ma tres chere Fille encor; a Dieu soyons-nous eternellement, et nous et nos affections, et nos petites peynes et les grandes, et tout ce que la divine Bonté veut estre nostre. Et sur ce, je suis en luy, ma tres chere Mere, tres absolument,

                                   Vostre vray filz et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

MXLIV. A M. Claude de Quoex. Gratitude de Son Altesse envers le Saint pour un avis important.

 

Annecy, [février] 1615.

 

                        Monsieur,

            Ce billet vous asseurera de ma part que je n'ay receu aucune lettre de Son Altesse despuis une qu'elle m'escrivit, pour tesmoigner le gré qu'elle me sçavoit d'un asses important advis que je luy avois donné en l'occasion de mon voyage en Valley.

            Cependant je vous suis trop obligé de la part que vous aves en tout ce qui me regarde, qui suis aussi de tout mon cœur, Monsieur,

                                                           Vostre plus humble tres asseuré serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie. [301]

 

 

 

MXLV. A la Mère de Chantal, a Lyon. Sentiments du Saint après le départ de sa chère fille spirituelle. — Nouvelles détaillées du Monastère, des Religieuses, de Françoise de Chantal, de son goût pour la parure et de la piété de Mme de Thorens. — Désir de savoir les particularités de l'«abord» à Lyon. —Bénédictions à la Fondatrice et à chacune de ses filles qui l'accompagnaient.

 

Châteaufort, 4 février 1615.

 

VIVE † JESUS

 

            Voyci la seconde commodité de vous escrire, ma tres chere Mere, et voyci aussi ma seconde lettre, qui vous porteroit mille nouvelles du cœur que vous aves icy, si j'avois autant de loysir quil en faudroit; mais je vous en diray asses, ma tres chere Mere.

            Les deux premiers jours quil ne se vid plus soymesme, il demeura en une douce tendreté et quelques larmes; mais quand je le portay la premiere fois ou il avoit accoustumé de treuver son ame et quil ne l'y treuva plus, il fut saysi d'un estonnement nompareil qui luy a duré trois ou quatre jours et le resaisit souvent, c'est a dire quand il y pense par maniere de privation du bien quil ayme plus que tout autre du monde. Mays tout cela ne touche point la pointe de l'esprit qui, asseuré de plus en plus de l'indissoluble et invariable unité que Dieu a faite de ce que nous sommes, demeure aussi impenetrable a toute sorte d'apprehension. Et encor, cette partie inferieure a son estonnement ……trouble ni inquietude, mais en verité grand plus quil ne se peut [302] dire. Mays, ne disons plus rien de cela; car, ne suffit il pas que Dieu nous ayant rendus une mesme chose, nous soyons par tout nous mesmes tout siens?

            Dimanche je fus voir ma Seur de Brechard et je la treuvay plus joyeuse. Je ne vis qu'elle, par ce que j'arrestay fort peu; mais au retour, je les verray toutes, et commencerons par les Novices. Elle me dit que nostre fille de Rabutin s'attristoit. et pleuroit pour n'avoir pas dequoy se faire brave; et je luy dis quil failloit luy faire faire un beau collet pour les festes, et cela suffiroit au vilage, en attendant mieux a vostre retour. Je pense que cette fille croit que ce soit grand contentement d'avoir ces dentailles et ces colletz montans (vous voyes bien que j'en sçai quelque chose), et il la faut charger de cela; quand elle verra que cela n'est pas si grand feste, elle reviendra a soy. Mays nostre fille de Thorens se confessa et s'en alla bien brave; elle m'a prié de luy [303] faire un'orayson qu'elle die tous les jours tandis qu'elle sera grosse; ce que je feray, et vous en envoyeray une copie affin que vous sachies tout.

            Que j'ay d'envie, ma tres chere Mere, de sçavoir vostre abord et quel commencement Dieu aura donné au service pour lequel il vous a appellee. Tout ira bien, je m'en asseure, et la tressainte Vierge Nostre Dame tiendra vos cierges allumés, affin que vous esclairies a ces bonnes ames qu'ell'a marquees de sa bonté pour estre ses servantes. Je l'en supplie continuellement, estant perpetuellement a Lion, non seulement en vous comme vous mesme, mais aussi en vostre petite mayson, ou je suis present, ce me semble, en esprit a tout ce petit mesnage spirituel que Dieu y fait naistre.

            Je vous salue mille et mille fois, la plus aymee et la plus aymante Mere qui soit au monde, et ne cesse point de respandre des souhaitz sacrés sur vostre personne et sur vostre trouppe. Hé Seigneur, benisses de vostre sainte main le cœur de ma tres aymable Mere, affin quil soit beni en la plenitude de vostre suavité, et quil soit comme une source feconde qui vous produise plusieurs cœurs qui soyent de vostre famille et generation sacree. Benisses [304] ma premiere chere fille Marie Jaqueline, affin qu'elle soit le commencement permanent de la joye du Pere et de la Mere que vous luy aves donné. La chere fille Peronne Marie soit un accroissement continuel de consolation en la Congregation en laquelle vous l'aves plantee, pour y fleurir et fructifier longuement. La chere fille Marie Aymee soit aymee des Anges et des hommes, pour provoquer plusieurs ames a l'amour de vostre divine Majesté, et benisses le cœur de ma chere fille Marie Elizabeth, affin que ce soit un cœur de benediction immortelle.

            Ma tres chere Mere, que benediction sur benediction et jusques au comble de toute benediction soit adjousté a vostre cœur. Que vous puissiés voir vostre fille aysnee tous-jours recommençante par des nouvelles ardeurs, la seconde tous-jours croissante en vertu, la troisiesme tous-jours aymante, la derniere tous-jours benite; affin que la benediction du saint amour croisse et recommence a jamais en vostre petite assemblee. Et sur tout, que le cœur de ma tres chere Mere, comme le mien propre, soit a jamais tout detrempé au tressaint amour de Jesus qui vive et regne es siecles des siecles. Amen. Dieu soit beni.

            Je salue de tout mon cœur nos Seurs de dela et leur souhaite un cœur doux, maniable, amiable, c'est a dire qu'elles ayt (sic) un cœur d'enfant, affin qu'elles [305] entrent au Royaume des cieux. J'ay grande consolation en l'esperance que je sens des benedictions que Dieu leur donnera.

4 febvrier 1615, a Chasteaufort, ou dame Jane n'est, pas.

                        A Madame

            Madame de Chantal,

ma tres chere Mere superieure

            de la Congregation de la Visitation d'Annessi.

                        A Lion.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

MXLVI. A M. Antoine des Hayes (Inédite). Une chère ville que le Saint serait content de revoir. — C'est l'invitation et la société d'Antoine des Hayes qui auraient ses préférences s'il pouvait aller prêcher à Paris. — Pourquoi il prend patience dans son «buisson.» — Promesse d'adresser à son ami les premiers exemplaires du Traitté de l’Amour de Dieu. — M. de Granier.

 

Annecy, 15 février 1615.

 

            Je vous ay envoyé le brevet pour le petit benefice de Gex, et ay eu nouvelles que Monseigneur l'Archevesque de Bourges n'estoit pas mort, ains guerissoit.

            Monsieur Masuyer m'escrit une grande lettre pour [306] me persuader d'aller prescher a Paris le Caresme suyvant, ou a Saint Germain ou a Saint Mederic; mais si je pouvois avoir assés de liberté pour prendre ce contentement de revoir cette chere ville, ce seroit a vostre choix et privativement a tous autres que je me logerois en chaire, comme ce seroit de vous voir et estre pres de vous que je recevrois le plus de consolation. Or, puisque je ne puis faire ce voyage la qu'au gré de mon Prince, dans l'Estat duquel je vis et dois vivre, autre n'advenant, et que je ne voy rien qui me puisse promettre son aggreement pour cela, il faut que je prenne patience dans mon buisson, auquel, puisque Dieu y est comme ailleurs, il a dequoy se consoler.

            Je ne veux point perdre de tems apres Pasque pour tirer au jour ce petit ouvrage de l'Amour de Dieu, que vous aymés et desirés; et voyrement je donneray ordre que vous en aurés les fins premiers exemplaires qui s'en porteront a Paris, comme vous estes aussi le fin premier amy que j'y aye et ailleurs, et que je suis,

                        Monsieur,

            Vostre plus humble, plus obeissant et fidele serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            15 febvrier....

            J'attens de sçavoir que M. de Grenyer deviendra, car je ne sçai plus ou il est, sinon qu'il soit encor a Monpelier, attendant les nouvelles de son logement que vous luy avés impetré chez Monseigneur de Joyeuse.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [307]

 

MXLVII. Au Prince-Cardinal Maurice de Savoie. Les pièces pour la cause du bienheureux Amédée de Savoie ont été envoyées et reçues en temps opportun. — Le Cardinal est prié de s'intéresser à la prospérité du collège d'Annecy, gêné par l'insuffisance des revenus.

 

Annecy, 17 février 1615.

 

                        Monseigneur,

            J'envoyay au seigneur Ranze, il y a fort long tems, tout ce que j'avoys peu recueillir non seulement en ce diocaese de Geneve, mais encor ailleurs, pour l'avancement de la canonization du tre heureux Prince Amé troysiesme, et suys asseuré que le tout a esté receu. Ce qui me rendit d'autant plus estonné, il y a quelque tems, quand je receu une lettre de Vostre Altesse Serenissime, par laquelle elle tesmoignoit d'estre esbahie elle mesme dequoy je tardois tant a rendre ce devoir d'obeissance envers elle et de pieté envers ce Saint. Mays j'ay jugé que le trespas dudit seigneur Ranze avoit esté cause de l'esgarement de ces pieces et de l'apparence, par conseuent, de la neligence delaquelle je n'avois pas commis la verité. Or, voyla donq derechef, Monseigneur, des authentiques attestations de lhonneur religieux qui a esté porté a ce bienheureux Prince en divers endroitz, avec un petit memorial pour la correction de ce que le P. Maleto en a escrit en desordre, faute d'avoir entendu les actes que j'avois envoyés en langue françoise.

            Au demeurant, Monseigneur, Vostre Altesse nous [308] ayant fait le bien de procurer la venue des bons Peres Barnabites en cette ville, dont nous la remercions tres humblement, nous la supplions tres humblement aussi tous, tant que nous sommes ses tres obeissans serviteurs de deça, qu'il playse a sa bonté de vouloir bien prendre en speciale protection cette œuvre, delaquelle le fruit sera incroyable et qui portera sa splendeur a la posterité, si les revenus de ce college estoyent suffisans pour l'entretenement d'autant de personnes quil en faudroit pour faire les functions que ces Peres feroyent excellemment en un lieu si propre, regardé de tant de nations estrangeres, centre, de la Savoye, et a la juste distance qu'il faut pour jetter les bons exemples et la doctrine dedans Geneve.

            Vostre Altesse, Monseigneur, et en qualité de ce qu'ell'est de sa naissance et en qualité du rang qu'elle tient en l'Eglise, ne pourroit, a l'adventure, pas plus dignement loger son soin et son zele qu'en l'aggrandissement d'un œuvre si illustre, fructueux, saint et necessaire. C'est pourquoy je la supplie en toute reverence de l'embrasser avec cette pieté qui reluit en elle, et ne cessant point d'invoquer sur sa personne la grace celeste, je demeure a jamais,

            Monseigneur,

                                                                                  Tres humble et tres obeissant orateur

                                                                                  et serviteur de V. A. Serme et Reverme,

                                                                                              FRANÇS, Evesque de Geneve.

            XVII febvrier 1615, Anessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé aux Archives capitulaires de la cathédrale

de Verceil (Piémont). [309]

 

 

 

MXLVIII. A Madame de Peyzieu. Souhaits, offre de services, encouragements à une dame infirme et âgée. — Le moyen de rendre les langueurs salutaires et aimables.

 

Annecy, 28 février 1615.

 

                        Madame ma tres chere Mere,

            Mon cœur va visiter le vostre en l'infirmité de son pauvre cors, et voudrois bien vous offrir quelques services dignes de l'humble et forte affection filiale que j'ay envers vous. Au moins, ne pouvant rien davantage, je vous donne tous les meilleurs souhaitz que mon ame me peut fournir, et les presente a la majesté de Nostre Seigneur, affin quil luy playse vous donner, avec la patience quil vous a departie il y a long tems, le doux et tres humble aggreement de vos travaux que les plus grans Saints ont eu des leurs, affin que, moissonnant beaucoup de merites en cette arriere sayson de vostre aage, vous vous treuvies riche devant sa divine face, quand vous la verrés.

            Ma tres chere Mere, croyes, je vous supplie, que mon ame vous ayme et honnore filialement, et que les foibles prieres que je pourray contribuer a vostre consolation ne vous seront point espargnees. Cependant, aymes moy bien aussi, et pendant vos maladies, tenes vous a l'ombre de la sainte Croix et voyes y souvent le pauvre Sauveur languissant. La, les maladies et langueurs sont salutaires [310] et aymables, ou Dieu mesme nous a sauvés par ses langueurs.

            Madame ma tres chere Mere, je suis

                                               Vostre plus humble filz et serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII febvrier 1615.

            Si vous escrivies ou faysies sçavoir de vos nouvelles a ma chere seur madame de Grandmayson, pour Dieu, ma chere Mere, faites luy aussi sçavoir que je luy souhaite mille faveurs du Ciel et la cheris comme ma seur et fille tres aymee.

            Ayant despuis gaigné le tems de luy escrire, je l'ay fait.

            A Madame

[Madam]e de Pezieu.

                        A Thuey.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise de Mailly,

au château de la Roche-Mailly (Sarthe).

 

 

 

MXLIX. A la Mère de Chantal, a Lyon. D'où procèdent les découragements dans la vie spirituelle. — Il ne faut jamais s'arrêter dans le travail de la perfection. — Un précepte des Saints recommandé à la Mère de Chantal. — La présence du Saint-Sacrement, trésor de vie pour les maisons qui en jouissent.

 

Annecy, 1er ou 2 mars 1615.

 

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            Croyés moy, ma tres chere Mere, comme vous mesme: Dieu veut je ne sçai quoy de grand de nous. [311]

            Je vis les pleurs de ma pauvre Seur [Marie-Madeleine,] et il me semble que toutes nos enfances ne procedent d'autre defaut que de celuy ci: c'est que nous oublions la maxime des Saintz, qui nous ont advertis que tous les jours nous devons estimer de commencer nostre avancement ou perfection; et si nous pensions bien a cela, nous ne nous treuverions point estonnés de rencontrer de la misere en nous, ni dequoy retrancher. Il n'est jamais fait; il faut tous-jours recommencer, et recommencer de bon cœur. Quand l'homme aura achevé, dit l'Escriture, alhors il commencera. Ce que nous avons fait jusques a present est bon, mais ce que nous allons commencer sera meilleur; et quand nous l'aurons achevé, nous recommencerons une autre chose qui sera encor meilleure, et puis une autre, jusques a ce que nous sortirons de ce monde pour commencer une autre vie qui n'aura point de fin, parce que rien de mieux ne nous pourra arriver. Allés voir donq, ma chere Mere, s'il faut pleurer quand on treuve de la besoigne en son ame, et s'il faut avoir du courage pour tous-jours aller plus avant, puisqu'il ne faut jamais s'arrester, et s'il faut avoir de la resolution pour retrancher, puisqu'il faut mettre le rasoir jusques a la division de l'ame et de l'esprit, des nerfs et des tendons.

            Certes, ma tres chere Mere, vous voyes que mon cœur et le vostre propre est plein de ce sentiment, puisqu'il verse ces paroles, quoy qu'il soit sans loysir et qu'il n'y eust pas pensé.

            Mais, ma tres chere Mere, observés donques bien le [312] precepte des Saintz, qui tous ont adverti ceux qui le veulent devenir, de parler ou peu ou point de soy mesme et des choses qui sont nostres. Ne pensés pas que pour estre a Lion vous soyes dispensee du pacte que nous avons fait, que vous series sobre a parler de moy, comme de vous mesme. Si la gloire du Maistre ne le requiert en de certaines occurrences, n'en dites mot; si elle le requiert, soyés courte et exacte observatrice de la simplicité. L'amour de nous mesme nous esblouit souvent: il faut avoir les yeux bien fermés pour n'estre pas deceuz a nous voir nous mesmes. C'est pourquoy le grand Apostre s'escrie: Celuy qui se recommande soy mesme n'est pas appreuvé, mais celuy que Dieu recommande.

            Le bon Pere Granger parla bien, et le Saint Esprit luy e n sçaura gré. Je suis bien ayse qu'en vostre ruche et au milieu de cet essaim nouveau, vous ayes vostre Roy, vostre miel et vostre Tout. La presence de cette sacree Humanité remplira toute vostre mayson de suavité, et c'est une grande consolation aux ames qui sont attentives a la foy, d'avoir ce thresor de vie proche.

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ML. A la meme, a Lyon. Trois consolations dont le Saint a été gratifié au château de Sales. — Son attendrissement en voyant les pigeons faire place aux petits oiseaux et leur laisser pour leur repas des restes à suffisance.

 

Annecy, 5 mars 1615.

 

            Je vous escrivis allant a Sales, ma tres chere Mere; [313] et maintenant je vous escris a mon retour. J'y ay eu trois consolations, et vous seres bien ayse de les sçavoir, car ce qui me console vous console aussi comme moy mesme.

            Premierement, ma chere petite seur, que je treuve tous-jours plus aymable et desireuse de devenir brave et devote.

            Secondement, que hier, jour des Cendres, je fis ma matinee tout seul a la galerie et en la chappelle, ou j'eus une douce memoyre de nos aymables et desirables entretiens lhors de vostre confession generale; mays il ne se peut dire quelles bonnes pensees et affections Dieu me donna sur ce sujet.

            Troisiesmement, il avoit fort neigé, et la cour estoit couverte d'un grand pied de neige. Jean vint au milieu et balia certaine petite place emmi la neige, et jetta la de la graine a manger pour les pigeons, qui vindrent tous ensemble en ce refectoire la, prendre leur refection avec une paix et respect admirable; et je m'amusay a les regarder. Vous ne sçauries croire la grande edification que ces petitz animaux me donnerent, car ilz ne dirent jamais un seul petit mot, et ceux qui eurent plus tost fait leur refection, s'envolerent la aupres pour attendre les autres. Et quand ilz eurent vuidé la moytié de la place, une quantité d'oysillons qui les regardoyent vindrent la autour d'eux; et tous les pigeons qui mangeoyent encor se retirerent en un coin, pour laisser la plus grand part de la place aux petitz oyseaux, qui vindrent aussi se mettre a table et manger, sans que jamais les pigeons les troublassent.

            J'admiray cette charité; car les pauvres pigeons avoyent si grand peur de fascher ces petitz oyseaux ausquelz ilz donnoyent l'aumosne, qu'ilz se tenoyent tous [314] ramassés en un bout de la table. J'admiray la discretion de ces mendians, qui ne vindrent a l'aumosne que quand ilz virent que les pigeons estoyent sur la fin du repas et qu'il y avoit encor des restes a suffisance. En somme, je ne sceu m'empescher de venir aux larmes, de voir la charitable simplicité des colombes, et la confiance des petitz oyseaux en leur charité. Je ne sçai si un predicateur m'eust touché si vivement. Cette image de vertu me fit grand bien tout le jour.

            Mais voyla qu'on me vient presser, ma tres chere Mere. Mon cœur vous entretient de ses pensees et mes pensees s'entretiennent le plus souvent de vostre cœur, qui est, certes, un mesme cœur avec le mien.

 

            Dieu me favorise de beaucoup de consolations et saintes affections, par des clartés et sentimens qu'il respand en la superieure partie de mon ame; la partie inferieure n'y a point de part. Il en soit beni eternellement. Dieu, qui est l'ame de nostre cœur, ma tres chere Mere, nous veuille a jamais remplir de son saint amour. Amen.

            Je fay ce que je puis pour le livre. Croyés que ce m'est un martyre bien grand de ne pouvoir gaigner le tems requis; neanmoins j'avance fort, et croy que je tiendray parole a ma tres chere Mere.

            Vous estes, ma tres chere Mere, toute pretieuse a mon cœur. Dieu nous rende de plus en plus tous siens. Je salue nos cheres Seurs.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 2d jour de Caresme, 1615. [315]

 

 

 

MLI. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Dispense de l'abstinence. — Une dénonciation effrontée contre un frère du Saint.

 

Annecy, 7 mars 1615.

 

                        Monsieur,

            Je me res-jouis de tous vos contentemens pour vostre heureux retour et pour celuy de madame ma cousine, en attendant de recevoir le comble de cette joye par l'honneur de vostre veuë et de la sienne. Et tandis, vous pourres, Monsieur, et elle aussi, user des viandes convenables a vostre santé, selon que monsieur Burin vous aura dit, puisque son filz est venu sans l'attestation mentionnee, laquelle aussi n'estoit pas necessaire.

            J'avois, il y a quelques jours, la lettre ci jointe, mays je ne sçavois ou l'addresser. Cette seur-la en fin desire sa retraitte, et, comme elle m'escrit, elle ne la peut faire que par vostre secours. Elle vouloit mon intercession, mays je serois temeraire de l'employer pour une bonne seur envers un si bon frere.

            Monseigneur de Nemours a envoyé ces jours passés un gentilhomme pour solliciter promptement une information contre mon frere le chevalier, sur une effrontee [316] imposture que l'on avoit faite contre luy, qui est encor tout malade. Rien ne me fasche en cela que la facilité avec laquelle ce Prince reçoit le rapport des gens de rien, pourveu qu'ilz soyent faitz contre ceux qui me sont quelque chose. Mais, la providence de Dieu en tirera du bien.

            Je la supplie de vous combler de prosperité, et suis,

                        Monsieur,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            7 mars 1615, Annessi.

                        A Monsieur

            Monsieur le Comte de Tornon,

                        Conseiller d'Estat de S. A., Gouverneur de Savoye,

            Commandant generalement deça les montz

                        pour S. A. en l'absence de S. E.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

MLII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. La nuit et les œuvres de la nuit. — Pourquoi les princes sont tenus en conscience de ne pas recevoir sans examen les accusations. — Courageuse remontrance du saint Evêque au duc de Nemours.

 

Annecy, 9 mars 1615.

 

                        Monseigneur,

……………………………………………………………………………………………………...

            La nuit est un mauvais tesmoin, et les voyages et œuvres de la nuit sont sujetz a de mauvaises rencontres, [317] desquelles nul ne peut respondre. Mais ces pauvres gens de bien, qui estoyent revenus par la grace de Vostre Grandeur, preuveront qu'en ces nuitz la ilz estoyent ailleurs, et seroyent bien marris d'avoir ni cooperé, ni consenti a telles malices. Je n'ay point sceu d'autres insolences de leur part, parce qu'en verité ilz n'en ont point faittes.

            Monseigneur, je supplie tres humblement Vostre Grandeur de me permettre la discrette liberté que mon office me donne envers tous. Les Papes, les Rois et les Princes sont sujetz a estre souvent deceuz par les accusations et rapportz. Ilz donnent quelquefois des rescritz qui sont emanés par obreption et surreption; c'est pourquoy ilz les renvoyent a leurs cours, Senatz et Conseilz, affin que, parties ouÿes, il soit advisé si la verité a esté teuë, ou la fauseté proposee par les impetrans, desquelz les belles qualités ne servent a rien pour exempter leurs accusations et narrés de l'examen convenable, sans lequel le monde, qui abonde en injustice, seroit tout a fait despourveu de justice. C'est pourquoy les Princes ne se peuvent pas [318] dispenser de suivre cette methode, y estans obligés a peyne de la damnation eternelle.

            Vostre Grandeur a receu des accusations contre ces pauvres affligés et contre mes freres. Elle a fait justement de les recevoir, si elle ne les a receuës que dans ses aureilles; mais si elle les a receuës dans le cœur, elle me pardonnera si, estant non seulement son tres humble et tres fidele serviteur, mais encor son tres affectionné, quoy qu'indigne Pasteur, je luy dis qu'elle a offencé Dieu et est obligee de s'en repentir, voire mesme quand les accusations seroyent veritables; car nulle sorte de parolle qui soit au prejudice du prochain ne doit estre creuë avant qu'elle soit preuvee, et elle ne peut estre preuvee que par l'examen, parties ouyes. Quicomque vous parle autrement, Monseigneur, trahit vostre ame.

            Et que les accusateurs soyent tant dignes de foy que l'on voudra, mais si faut-il admettre les accusés a se defendre. Les grans Princes ne remettent jamais les places ni les charges qu'a des gens de foy et de confiance, mais ilz ne laissent pas d'estre fort souvent trompés, et ceux qui ont esté fideles hier peuvent estre infideles aujourd'huy; comme ceux qui ont accusé ces pauvres gens peuvent, par leurs deportemens precedens, avoir acquis la creance que Vostre Grandeur leur donne, laquelle ilz meritent de perdre dores-en-avant, puisqu'en abusant, ilz ont fait de si fauses accusations.

………………………………………………………………………………………………[319]

 

 

 

MLIII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Pourquoi François de Sales s'affligeait de la calomnie faite contre ses frères. Une prédiction du saint Evêque.

 

Annecy, 9 mars 1615.

 

            Estant de retour de Sales, ou j'estois allé passer les jours de carnaval, j'ay treuvé le retour de nos des-ja trop vielles tribulations, par la calomnie faite contre mes freres. Je me joüerois de tout cela, si ce n'estoit que je voy Monseigneur en cholere et indignation. Cela m'est insupportable, a moy qui ay tant d'inviolables affections a ce Prince, et duquel j'ay si doucement autrefois savouré la bonté. Tant de gens faillent, tuent, assassinent; tous ont leur refuge a cette clemence: mes freres ne mordent ni ne ruent, et ilz sont accablés de sa rigueur.

            Quel mal leur fait-on, ni a vous, disent les meschans? On nous ravit le bien le plus pretieux que nous ayons, qui est la bonne grace de nos Princes, et puis on dit: Quel [320] mal vous fait-on? Mon tres cher Frere, est il possible que Sa Grandeur m'ayme, qui, ce semble, prend playsir aux rapportz qu'on luy fait de mes freres, puisqu'il a des-ja treuvé que c'estoit ordinairement des impostures, et neanmoins il les reçoit, il les croit, il fait des demonstrations de tres particuliere indignation?

            C'est crime par tout le monde de haïr le prochain; icy, c'est crime de l'aymer. Messieurs les Collateraux, gens hors de reproche, sont reprochés par authorité extraordinaire, seulement parce qu'ilz m'ayment de l'amour qui est deu a tous ceux de ma sorte. Certes, mon cher Frere, j'ay de la gloire d'estre aymé par vous et d'estre passionné pour vous; mais puisque mon malheur est si grand, pour Dieu, ne disons plus mot des-ormais. Dieu et nos cœurs le sçachent seulement, et quelques uns dignes d'un secret d'amour.

            Je vous envoye un double de la lettre que j'escris a Monseigneur. Voyés si elle devra ou pourra estre donnee; car, tout extremement passionné que je suis en cette occasion, je ne voudroispas que Monseigneur se faschast, car en somme, je ne veux plus que vous couries fortune d'estre disgracié. Un jour viendra que de m'aymer ne sera plus reproche a personne, comme personne de ceux qui m'ayment particulierement ne merita jamais reproche.

……………………………………………………………………………………………… [321]

 

 

 

MLIV. Au meme (Inédite). Protestation d'amitié.

 

Annecy, 9 mars 1615.

 

                        Monsieur mon Frere,

            Ce porteur est une lettre vivante qui vous exprimera mieux que je ne puis faire sur ce papier, de quel cœur je vous honnore et cheris. Mays si faut il que j'en face icy une protestation, ne m'estant pas advis que je la puisse faire en trop de façons, puisque je suis sans fin, ni reserve quelcomque,

            Monsieur mon cher Frere,

                        Tout sincerement vostre, et vostre plus humble

                                               frere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            IX mars 1615, Anessi.

                        A Monsieur

            Monsieur de Forax.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Boulogne-sur-Mer. [322]

 

MLV. A M. Jean de Chatillon. Informations à prendre sur un ecclésiastique.

 

Annecy, 13 mars 1615.

 

                        Monsieur,

            J'ay eu force plaintes du curé de Cervens par un certain homme du lieu, qui s'appelle, ce me semble, Pelliex. Je vous prie de sçavoir que c'est, et apres avoir parlé audit Pelliex, sil vous est advis quil soit a propos, je vous prie d'informer. Je seray bien marry si ce pauvre homme est mauvais, mais sil l'est, il faudra pourtant le chastier,

            Je suis, Monsieur,

                                                                                  Vostre plus humble confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XIII mars 1615, Annessi.

Monsieur de Chatillon,

            Plebain de Thonon.

 

Revu sur une copie de l'Autographe appartenant à M. de Salverte, à Paris. [323]

 

 

 

MLVI. Au Prince Cardinal Maurice de Savoie. La ville d'Annecy mérite d'être exemptée des charges de guerre. — Le Saint demande au Cardinal de favoriser ce bon peuple.

 

Annecy, 15 mars 1615.

 

                        Monseigneur,

            La ville d'Annessi recourt a la bonté de Son Altesse pour une gratification, laquelle ci devant luy avoit des-ja esté accordee, et delaquelle la continuation luy est dautant plus necessaire que ses incommodités ont pris beaucoup d'accroissement. Or, elle espere principalement en l'entremise de Vostre Altesse Serenissime, Monseigneur, pour obtenir ce soulagement; et je joins ma tres humble supplication a celle que son premier scindique presentera, affin quil plaise a la douceur de [324] Vostre Altesse de favoriser ce pauvre bon peuple qui, avec moy, ne cesse point d'invoquer la divine Majesté sur la personne et les intentions de Son Altesse et de la Vostre,

            Monseigneur, delaquelle je suis

                        Tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XV mars 1615, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

 

MLVII. A la Comtesse de Tournon. La destinataire est priée de faire exonérer des impôts deux pauvres veuves réduites à la misère.

 

Annecy, 17 mars 1615.

 

                        Madame ma Cousine,

            Ces deux vefves Beart, reduites a l'extremité d'une lamentable misere, avec dix ou douze enfans qu'elles ont, ont jetté leur esperance en vostre secours pour estre soulagees des tailles; et, quoy que de ma vie je ne [325] l'eusse veu (sic), ni eu aucune connoissance avec elles ni leurs familles, elles ont desiré mon intercession aupres de vous, pour obtenir plus aysement vostre entremise en cette occasion. Et par ce que leur intention, comme je pense, est fort juste et honneste, je n'ay sceu les esconduire; qui me fait vous supplier de les avoir en protection autant comme vous jugerés que vous puissies, sans vostre incommodité, les ayder et favoriser.

            Je pensois vous faire cette supplication en presence, selon l'esperance que monsieur vostre mari nous en avoit fait concevoir; mais puisque ce bien ne nous est pas arrivé, estant pressé par ces pauvres desolees, je fay cet office en cette sorte, et vous conjurant de me conserver vostre bienveuillance et celle de monsieur vostre mari, je me nomme, comme je suis et seray pour jamais: c'est, Madame,

                                                           Vostre tres humble cousin et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII mars 1615.

                        A Madame

Madame la Comtesse de Tornon.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [326]

 

MLVIII. A la Mère de Chantal, a Lyon. L'amour ne va pas toujours en ordre. — Pourquoi, même à Sainte-Claire, François de Sales, en parlant de saint Joseph, n'a pas eu la ferveur qui lui est habituelle à la Visitation. — Bonnes nouvelles de plusieurs Religieuses et de toute la Communauté.

 

Annecy, 19 mars 1615.

 

            Ma Seur Anne Jacqueline, qui est icy et qui me vient de bayser la main de vostre part, veut que je commence cette lettre par sa salutation. Et je le veux bien, ma tres chere Mere, car l'amour ne va pas tous-jours en ordre; autrement, Nostre Seigneur eust commencé le soin qu'il eut en sa Passion, par sa Mere et son bienaymé saint Jean, dont je viens de parler a Sainte Claire sur le sujet de nostre grand saint Joseph, duquel j'ay fait le sermon et dit bien de bonnes choses, mais non pas avec la ferveur que j'ay tous-jours en parlant de cet admirable Papa de nostre Maistre. M. Michel m'a dit en sortant, que je n'avois presque jamais mon esprit la comme a la Visitation. Helas! ce n'est pas que je n'aye de fort bons desirs de bien servir cette bonne compaignie de servantes de Dieu; mais il faut que la divine Providence, qui m'a dedié a nostre chere Congregation, me donne quelques particuliers mouvemens quand je la sers. O que [327] Dieu est admirable, ma tres chere Mere, et que nous sommes bien heureux d'avoir un grand desir de le servir!

            Ce matin, en revenant du sermon, j'ay veu ma Seur Marie Magdeleine, que je n'avois encor pas saluee de vostre part. Elle m'a fait une grande feste et, en peu de paroles, elle m'a fort contenté, me disant qu'elle vouloit devenir une femme forte et de courage, contre tous ces petitz attendrissemens sur elle mesme dont elle est souvent touchee. J'ay aussi veu la petite Seur Paule Hieronyme, qui a receu une joye incroyable de vostre salutation et a dit qu'elle estoit nostre Eustochium. Nostre Assistante fait bien aussi. En somme, je me contente bien de toute cette chere trouppe, que j'iray entretenir en commun l'un des jours de la semaine prochaine, puisque ma Mere me l'a ordonné, au rapport de ma Seur Jeanne Charlotte.

……………………………………………………………………………………………………...

 

MLIX. A Madame de Peyzieu. Souhaits de pieuse affection. — La fièvre amoureuse du Sauveur capable d'adoucir la fièvre corporelle. — Promesse de prières.

 

Annecy, [mars 1615.]

 

             C'est avec peu de paroles, mays avec une extreme affection, que mon cœur salue le vostre, ma tres chere [328] Mere. Hé! Dieu, qui se plaist a tesmoigner sa vertu et sa force en nos infirmités, soit a jamais au milieu de vostre ame pour la tenir enflammee de ce saint amour celeste; qu'il arde emmi les espines et les brusle sans les consumer, affin que l'ardeur de cette fievre amoureuse du Sauveur vous rende douce la fievre ou les restes de la fievre douloureuse que vous aves tant souffert. Je n'oublie jamais de faire des souhaitz pour cela quand je suis a l'autel; aussi, suis je tant obligé a la sainte amitié qu'il vous plaist me porter, que je ne sçaurois jamais perdre la souvenance de ce devoir.

            La grace, paix et consolation du Saint Esprit soit tous-jours avec vous, ma tres chere Mere, et au milieu de vostre famille. Je suis

                                                                                              Vostre bien humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

MLX. A la Mère de Chantal, a Lyon. La préoccupation d'un écrivain «embesoigné». — Une consultation du médecin de la Sainte. — Précautions épistolaires suggérées par la charité. — Les sorties, et l'autorité du Père spirituel du Monastère. — Confesseurs de dévotion et confesseurs extraordinaires.

 

Annecy, fin mars ou commencement d'avril 1615.

 

VIVE † JESUS

 

            Quoy que ce soit par nostre M. de Medio que je vous escris, ma tres chere Mere, si est ce que je vous escris [329] sans loysir et avec empressement, car sçachés que je ne pensois pas qu'il partist si tost; et outre cela, je suis tellement embesoigné du livre, que tout le tems que je puis gaigner bonnement, je l'employe la. Si qu'ayant attendu jusques a cette heure, je me treuve bien en peyne; car je voudrois vous escrire une grande lettre, et je ne sçai si je pourray. Je m'en vay dire en desordre tout ce que je treuveray devant mon esprit sur le sujet de vos trois lettres: l'une, receuë par voye de Chamberi, l'autre par M. de Medio, la troysiesme par le sire Pierre.

            1. M. Grandis consent que vous laissies fermer vostre caustique de la teste, pourveu qu'une semaine devant vous prenies une dose ordinaire de vos syrops.

            2. Il est requis que vous mangies des œufz, et n'y a personne, ce croy-je, qui s'en puisse maledifier.

            3. Voyés-vous, ma tres chere Mere, quand je vay voir nos filles, il leur vient de petites envies de sçavoir de vos nouvelles par moy, et si je leur pouvois monstrer de vos lettres, cela les contenteroit grandement. C'est pourquoy, je vous demande ainsy des feuilles que je leur [330] puisse monstrer, et a M. de Thorens et au neveu. Or, quant a ma niece de Brechard, elle sçait bien que je suis vous mesme, car elle a veu des billetz qui contiennent cette verité la; mays pourtant, je ne luy ay pas voulu monstrer ces trois dernieres lettres, ni en tout, ni en partie. Mais de ce point, faites vos commodités tout a vostre gré, car je ne feray rien que bien a propos.

            4. Dedans les billetz de salutations, quand vous m'en escrires, il ne faut pas me dire: «mon Pere, mon amy,» car je les veux pouvoir monstrer pour la consolation de ceux que vous salueres.

            5. Je louë Dieu de vostre accoisement et dequoy vous estes hors de doute que l'orayson de simple remise en Dieu ne soit extremement sainte et salutaire. O ma chere Mere, ma Fille, il n'en faut jamais douter; il y a si long tems que nous l'avons examinee, et tous-jours nous avons treuvé que Dieu vous vouloit en cette maniere de prier. Il n'y faut donq plus autre chose que continuer doucement.

            6. Certes, en ces grandes villes, je ne voudrois pas ouvrir la porte aux visites des parens malades, pour en faire des sorties ordinaires; et si elles sont extraordinaires, [331] au moins faut il que le Pere spirituel sçache la necessité qu'il y a, comme aussi pour aller voir un monastere de filles, quand on en seroit recherché. Mays je voudrois que l'obligation de le faire sçavoir au Pere spirituel ne tendist qu'a luy faire pourvoir aux circonstances des sorties et a la bienseance, combien [que,] si quelque accident inopiné ne surprenoit, je pense que ces visites de parens ne se devroyent faire que sur une deliberation prise en Chapitre. C'est a dire, si un pere, si un frere desiroit d'estre visité, je voudrois que, selon la grandeur de la maladie, la distance du lieu, la qualité de la mayson, on advisast si on devra plusieurs fois visiter, si avec service et assistance, si en carrosse, ou en tems qu'on ne rencontre pas des gens, si c'est une mayson ou il y ayt grand abord, ou une mayson de devotion, et ainsy du reste. Mays nous y penserons encor mieux.

            7. Ceux avec lesquelz on confere ou on se confesse ainsy quelquefois par occasion ou rencontre, ne sont ni confesseurs ordinaires ni extraordinaires, mais confesseurs de devotion: or, estans gens qualifiés, il n'est pas besoin de demander licence. On appelle confesseurs extraordinaires ceux qui, en certain tems, comme quatre ou cinq fois l'annee, viennent; mais ceux de devotion ne viennent que par rencontre.

            8. Je n'entens pas ce que vous me demandes quand vous me dites que je vous envoye une copie de l'establissement, auquel il faudra specifier les sorties. [332]

            9. Le P. Recteur seroit excellent pour confesseur [extraordinaire].

 

 

 

MLXI. A M. Benigne Milletot. Soulèvement d'une paroisse qui refuse une partie de la dime au Chapitre de Genève. — Pourquoi le saint Evêque voudrait et ne voudrait pas châtier la mutinerie. — Les femmes de Seyssel. — Il faut ramener les délinquants au devoir.

 

Annecy, [mars-avril 1615.]

 

                        Monsieur mon Frere,

            Il faut que je vous parle a cœur ouvert, car a qui donq? Despuis que je suis en cette charge d'Evesque, rien ne [333] m'est arrivé qui m'ayt tant affligé que ce mouvement fait ces jours passés par les scindiques et plusieurs des habitans de Sessel, contre la pieté et la justice. Ilz ont despuis peu un proces avec mon Chapitre, a rayson des dismes qu'ilz pretendent ne devoir payer quant au blé, que de trente gerbes l'une, et quant au vin, de soixante charges l'une. J'ay tasché de tout mon pouvoir d'accommoder ce differend a l'amiable, mays il n'y a jamais eu moyen, ces bons habitans ne voulant subir ni sentences ni expediens, sinon que l'on face a leur volonté. Pendant ce proces, ilz ont estimé que la force leur seroit plus favorable que la justice, et, apres plusieurs menaces, ont fait ce que le sieur lieutenant de Belley aura, je m'asseure, remonstré. Si je ne me trompe, il y a eu un extreme mespris du devoir que l'on a aux magistratz, et une trop furieuse passion contre les curés et ecclesiastiques.

            Je suis donq affligé si cette violence n'est reprimee, car elle croistroit tous les jours davantage; d'ailleurs, je suis aussi affligé si on chastie cette mutinerie, parce que les mutins sont mes diocesains et enfans spirituelz. Toutes choses bien considerees, je desire le second, d'autant qu'en fin il faut un peu d'affliction aux enfans a ce qu'ilz se corrigent, puisque les remonstrances n'ont servi de rien, et vaut mieux que je pleure leur tribulation temporelle que s'ilz se precipitoyent en l'eternelle. Tout plein de bons personnages de ces lieux-la sont marris de ce soulevement; ilz n'ont peu toutefois arrester le torrent de ce desordre.

            Or, forcé de mon devoir, j'envoye ces deux porteurs, qui ont esté plus que tesmoins oculaires de ce fait, sur [334] tout monsieur Roget, doüé d'une incomparable probité et predicateur fort capable, contre lequel ilz esmeurent les femmes, affin de le faire jetter dans le Rhosne par ce sexe facile a s'esmouvoir, comme s'il eust parlé contre l'honneur de toutes. Dequoy s'excusant: «Helas!» dit il, «j'avois si grande peur parmi ces gens, que, quand j'eusse parlé mal toute ma vie, je me fusse bien teu alhors.»

            En somme, il me semble que cette insolence est trop publique pour estre dissimulee, trop fascheuse pour demeurer impunie, trop dangereuse pour n'estre pas reprimee. Me remettant neanmoins entierement a vostre prudence, je vous supplie seulement qu'il vous plaise, Monsieur mon Frere, me favoriser, a ce que mon Eglise subsiste en ses droitz et que des-ormais ces gens la demeurent en devoir.

 

 

 

MLXII. A Madame de Cornillon, sa sœur (Inédite). Affectueux bonsoir à la destinataire dont la visite est très désirée par le Saint. — Assurance qu'un service promis sera rendu.

 

Annecy, 7 avril 1615.

 

            Ma tres chere Seur, En attendant de jouir du contentement de vostre veüe, [335] je vous escris ce petit mot, pour vous saluer de tout ce cœur que vous sçaves bien estre tout vostre, et pour dire a mon frere, que monsieur le premier President m'a escrit quil fera l'office et espere qu'il reuscira ainsy que je le luy avois proposé, selon que mon frere m'avoit dit.

            Je vous donne donq le bonsoir a tous deux, et suis,

                        Ma chere Fille,

                                                                       Vostre plus humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            7 avril 1615, Anessi.

            Mays voyes vous, je vous attens fort affectionnement, comme ma chere unique seur, ma fille.

                        A Madame

            Madame de Mayrens.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le marquis de Virieu,

à Virieu-sur-la-Bourbre (Isère).

 

MLXIII. A la Mère de Chantal, a Lyon (Inédite). Les distractions en l'oraison. — Sainte affection du Bienheureux pour l'âme de sa chère fille spirituelle. — Nouvelles de plusieurs Religieuses de l'abbaye de Sainte-Catherine et de la Visitation. — Salutations particulières.

 

Annecy, 9 avril 1615.

 

VIVE † JESUS

 

            Hier, a mon retour de Sainte Catherine, environ les huit [heures de la nuit, je sus que le sire] Pierre [336] partoit ce matin. Ma tres chere Mere, quel moyen de vous escrire a souhait? Mays c'est bien asses que je salue vostre cœur maternel comme le mien propre, avec le plus grand et le plus solide amour qui puisse estre.

            Vous ne me dites tous-jours rien de vostre santé. Et pour mon pauvre cher esprit, qui est un peu travaillé de distractions en l'orayson, que luy diray-je, sinon quil se garde bien des empressemens, quil se tienne fort en la confiance de son Dieu, qu'il se repose en sa providence pour toutes choses, acquiesçant doucement aux evenemens; et puis, si les distractions nous tracassent, ce sera l'un des evenemens quil faudra recevoir, non pour le nourrir, mais pour le souffrir doucement. Ma tres chere Mere, aymes tous-jours bien vostre pauvre chere ame que j'ay, car j'ayme sans mesure, sans fin, hors de toute comparayson et au dessus de tout ce qui s'en peut dire, ma tres chere ame que vous aves: c'est a dire, aymons bien cette tres unique ame et vie quil a pleu a Dieu dé nous donner pour son service.

            La pauvre fille Vignoz vous salue tant et si cordialement, et la petite Ballon. Nous faysons cette semaine deux confessions generales: de ma Seur Marie Marguerite et de ma Seur Anne Françoise. Puys a loysir, ma Seur [Françoise-Gabrielle] veut faire la sienne; [337] mais pour celle ci, il ny a rien qui presse, de sorte que ce sera peut estre seulement bien avant dans l'esté.

            Je vous escrivis samedi par Chambery et ce dimanche par Sessel. Or, bon jour, ma tres chere Mere, car il faut donner cette lettre. Dieu soit a jamais nostre amour. Amen.

            Mille salutations a nos cheres Seurs qui sont la et, ma tres chere Mere, un peu bien cherement et tendrement a ma chere fille de Chatel, qui sçait bien que je l'ayme, et ma chere Seur de Blonnay, qui est ma fille, et a la pauvre grande fille Jeanne Marie Elizabeth, qui est bien avant dans mon cœur, qui est le vostre propre, ma tres chere Mere.......[Dieu] vous benisse

eternellement. Amen.

            IX avril 1615.

                        A Madame

            Madame de Chantal,

                        Superieure de la Visitation.

                                   A Lion.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Florence, au Conservatoire

de Saint-François de Sales. [338]

 

 

 

MLXIV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Entremise du Saint pour faire rentrer en grace auprès du destinataire un parent qui l'avait offensé. — Remerciements pouf l'offrande d'un opuscule. — Portrait du jeune Louis des Hayes. — Eloge des Pères Barnabites.

 

Annecy, 12 avril 1615.

 

                        Monseigneur,

            Je sçai combien est juste le ressentiment d'indignation que vous aves eu contre le sieur de Barraux, et le cœur m'en a fait grand mal, ne m'estant peu tenir de luy en faire la correction et tesmoigner que j'avois part au desplaysir quil vous avoit donné, dautant plus que je m'estois res-joui dequoy il avoit espousé une damoyselle qui est ma parente, sur lhonneur quil a d'estre le vostre si proche. Or, le voyci maintenant, Monseigneur, quil prend cette sayson de repentance et d'absolution a son advantage, et me demande mon entremise pour vous annoncer son regret de vous avoir tant ennuyé, et [339] vous supplier de le recevoir en grace. Tout, comme je pense, favorisera son desir: le tems escoulé, qui luy a donné le loysir de se bien repentir; le tems qui coule, auquel on ne refuse guere le pardon, mesme aux plus perfides ennemis; le bon advocat qu'il employe et avec lequel il va recourir a vostre bonté. Que si j'osois, j'adjousterois encor mon intercession, que vostre extreme bienveuillance envers rnoy rend hardie et forte, et en fin, la sousmission quil fait, ne desirant sa reconciliation aupres de vous que pour accoyser les remors quil a de vous avoir desagreé, et recouvrer lhonneur le plus pretieux quil ayt en ce monde, qui est d'estre advoüé de vous vostre tres humble serviteur.

            Vous feres donq, je m'asseure, encor ce coup selon vostre bonté, laquelle je remercie tres humblement de la faveur quil vous pleut me faire, passant a Lion, m'ayant fait part de la belle Remonstrance contre les duelz, que je prie Dieu vous rendre autant efficace comme les merites de la cause et de celuy qui l'a playdee le requierent.

            Nostre jeune M. des Hayes est icy tout apprivoysé avec le college. Il est fort gentil, l'esprit vif et qui ayme tendrement la sainte liberté quil a apprise parmi les pages; mais on tasche de luy en faire gouster un'autre un peu plus sainte et, petit a petit, on y proffite parce quil est bon enfant. Et comme pourroit il autrement, estant filz de tels pere et mere? Certes, nos bons Barnabites sont [340] braves gens, doux plus qu'on ne sçauroit dire, condescendans, humbles et gracieux outre la mesure ordinaire de leur païs. [341]

            Vous sçaures toutes nouvelles a l'abord de monsieur Portier, et vous sçaves que nous sommes icy hors de commerce. Je suis sans fin,

            Monseigneur,

                                                           Vostre tres humble et tres obeissant

                                                                       frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            12 avril 1615.

                        A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque de Monpelier.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montpellier.

 

 

 

MLXV. A la Mère de Chantal, a Lyon. L'affaire de Mme des Gouffiers. — Ne pas recevoir les postulantes avant l'âge requis. — Pourquoi la Mère de Chantal pouvait répondre hardiment pour le Saint. — Avis sur les sorties extraordinaires. — Trois hôtesses du Monastère d'Annecy. — Un sermon de deux heures et demie.

 

Annecy, 18 avril 1615.

 

            Pensés comme je vous escris, ma tres chere Mere. Hier, jour de la mort de nostre Vie, au retour des Tenebres, je treuvay vos lettres; ce matin, jour de la sepulture, tout en allant faire les Ordres pour sept a [342] huit personnes de qualité, en nostre chappelle de la Visitation.

            Pour ma tres chere Seur Marie Jeanne Elizabeth, je ne desappreuve pas son voyage, ni ne l'appreuve; mais il seroit utile que je commette quelqu'un pour ouÿr les tesmoins et recevoir authentiquement leurs depositions, et non seulement les tesmoins, mays Madame du Paraclet et ses Religieuses. Or, il faut que je face cela avec conseil et beaucoup de soin. Ce pendant, nous penserons s'il sera expedient qu'elle mesme y aille; il faut en tenir secrette la deliberation.

            Si Monseigneur l'Archevesque veut, on pourra bien dispenser pour l'aage en la reception de ces damoyselles, en la contemplation des meres, qui pourront tenir place d'une partie de la resolution que l'aage ne permet pas aux filles. En somme, il faudra fort condescendre aux volontés de Monseigneur l'Archevesque, pourveu que l'on treuve moyen d'eviter la consequence; car c'est une regle tres salutaire que celle la, de ne recevoir point avant l'aage competent, pour oster toute excuse au repentir, s'il en venoit. [343]

            Toutes ces ames seront bonnes, si elles sont courageuses, et Mme Colin et tout. Mays, pour me charger de soin quelcomque d'affaires, helas! vous sçaves comme moy mesme quel homme je suis pour cela: c'est a dire, que je ne suis pas homme pour cela. Vous pouves tous-jours respondre pour moy sans scrupule, car il se treuvera tous-jours que ce sera moy qui auray respondu. Vous estes, et d'esprit, et de volonté, et de tout, une mesme chose avec moy; vous sçaves ce que je puis, que je veux et que je souhaitte. Ne me renvoyés donq rien, mais respondes hardiment.

            On peut faire venir les damoyselles des Capucins pour essayer, et estant treuvees propres, ne les point renvoyer; car il n'y a pas grand hazard de les tenir en leur habit.

            Monseigneur l'Archevesque venant, humiliés vous fort cordialement pour moy comme moy mesme, et l'asseurés fort de l'estime, amour et reverence que j'ay a sa personne.

            Prenés garde a retenir la liberté des sorties extraordinaires [344]: entre lesquelles, les Jubilés, la visite des proches malades, ouy mesme de quelques signalés bienfacteurs ou grand amy de la Mayson, et mesme de quelque sermon, comme celuy de la Passion, doivent, ce me semble, estre reservees, et toutes autres occasions esquelles la Communauté des Seurs, avec l'advis du Pere spirituel, treuveront que ce seroit a propos; car il faut reduire la prattique des sorties a la seule bienseance et modestie que la Religion, jointe a la condition du sujet, requiert, car ainsy en fait on es Congregations d'Italie.

            Helas, ma chere Mere, il faut que je finisse. Nos Seurs ne sçavent pas que j'escris, car c'est par la voye de Chamberi. Elles ont madame de Chasteaufort, madame [345] la Baronne de Chastelard et madame de la Flechere, la vefve; troys bonnes et braves hostesses, dont la premiere parle fort de revenir un jour du tout, et l'autre est mariee, mais une perle. Son mary est filz du Baron de la Serraz; fille de madame Mont Saint Jean.

            Hier, je fis le sermon de la Passion en deux heures et demie; nos hommes disent que c'est chose extraordinaire.

            Ma tres chere Mere, j'ay tant prié Dieu pour vous, et le feray encor; tout m'annonce le bien de nostre indivisible unité. O Seigneur Jesus, vivés a jamais, regnés et a jamais soyes beni dans nostre unique cœur. Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

A Madame de Chantal,

            Superieure de la Visitation.

                                   A Lion. [346]

 

MLXVI. A la même, a Lyon (Fragment). De la réception des prétendantes. — Les sorties extraordinaires et pour quelles visites il faut les permettre.

 

Annecy, [18 avril] 1615.

 

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            ... qu'on ne reçoive pas avant l'aage.

            Quant a celles que les Peres Capucins presentent, il y a moins de hazard, parce qu'on en sera quitte les gardant quelque tems en leurs habitz mondains; et cela tiendra lieu de premiere veuë.

            Je disois, quant aux sorties extraordinaires, qu'il y failloit enfermer les visites des proches parens malades de maladies de consequence; la visite des eglises es Jubilés generaux, et de venir a certains sermons celebres, comme de la Passion, et toutes autres occurrences que la Congregation des Seurs, avec l'advis du Pere spirituel, jugeroyent dignes de sortir pour quelques insignes charités, comme d'aller visiter quelque insigne bienfactrice et amie.

……………………………………………………………………………………………… [347]

 

 

 

MLXVII. A Madame de la Fléchère. Faut-il rechercher la cause de nos sécheresses ? — Pourquoi Dieu les envoie. — A quoi servent quelquefois les séparations.

 

Annecy, 19-21 avril 1615.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je vous escris tout vistement parmi les aymables empeschemens de ces saintes festes. Il ne faut pas s'amuser beaucoup a la recherche de la cause de nos secheresses et sterilités, car nous ne sçaurions la deviner; il suffit de nous humilier beaucoup et acquiescer a ce travail, soit que Nostre Seigneur l'ayt envoyé pour nous chastier de quelque defaut, soit qu'il l'ayt envoyé pour nous es-preuver et rendre plus purement siens.

            Je n'ay pas receu des il y a quelque tems aucune lettre pour nostre Mere, pour vostre part; j'en attens des siennes aujourdhuy. J'eusse bien desiré que madame de Chasteaufort eust un peu joüi de vostre conversation; mais puisqu'il ne se peut bonnement, elle s'entretiendra avec ces bonnes Seurs, et encor plus avec Nostre Seigneur, que j'espere luy estre propice, puisqu'il luy a donné le cœur qu'elle tesmoigne. O qu'il est quelquefois bon d'estre affligé pour estre consolé, d'estre privé de ce que l'on ayme pour treuver ce que l'on doit aymer!

             Je resalüe tres affectionnement la chere niece, et [348] suis tres parfaitement tout vostre, ma tres chere Fille, tres veritablement bienaymee.

            Vive Jesus!

                                                                                                          F., E. de G.

                        A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée au 1er Monastère

de la Visitation d'Annecy.

 

 

 

MLXVIII. A une dame. Le double avantage qu'on retire souvent de certaines maladies. — Dieu n'abandonne jamais le premier l'âme qu'il a d'abord attirée à lui.

 

Annecy, 26 avril 1615.

 

                        Madame,

            J'ay sceu vostre maladie, et n'ay pas oublié de rendre le devoir que j'ay a une si chere fille. Si Dieu a exaucé mes vœux, vous releveres avec un grand accroissement de santé, et sur tout de sainteté; car souvent on sort de telz accidens avec ce double advantage, la fievre dissipant les mauvaises humeurs du cors, et espurant celles du cœur, en qualité de tribulation provenante de la main de Dieu.

            Ce n'est pas que je vous appelle sainte quand je vous parle d'accroissement de sainteté en vous; non certes, ma tres chere Fille, car il n'appartient pas a mon cœur de flatter le vostre. Mays, encor que vous ne soyes pas sainte, vos bons desirs sont saintz, je le sçay bien, et je [349] souhaite qu'ilz deviennent si grans, qu'en fin ilz se convertissent en parfaitte devotion, en douceur, patience et humilité. Remplisses tout vostre cœur de courage, et vostre courage de confiance en Dieu; car Celuy qui vous a donné les premiers attraitz de son amour sacré ne vous abandonnera jamais, si vous ne l'abandonnes jamais. Dequoy je le supplie de tout mon cœur, et suis sans fin,

                                                                       Vostre plus humble serviteur,

ma tres chere Fille, et a monsieur vostre mary, que je viens de voir preentement.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 26 avril 1615.

 

MLXIX. A Madame de Peyzieu. La santé du corps et la santé de l'âme vont souvent en mouvement contraire. — La maladie purifie le cœur. — Quel est le plus excellent sacrifice qu'on puisse faire, au temps de la vieillesse et des infirmités.

 

Annecy, [vers la fin d'avril 1615.]

 

            Bien que ce laquay aille expres, ma chere Mere, si est ce qu'il part en un tems auquel je suis fort pressé. Cette bonne dame m'a dit de vostre part ce que vous luy aves confié, et je loue Dieu qu'il vous ayt donné des nouvelles affections avec cette nouvelle santé. Mais il faut bien prendre garde, ma tres chere Fille, ma Mere, que le cors et l'esprit vont souvent en contraire mouvement, et a mesure que l'un s'affoiblit, l'autre se fortifie, [350] et quand l'un se fortifie, l'autre s'affaiblit; mays, puisque l'esprit doit regner, quand nous voyons qu'il a pris ses forces, il le faut tellement secourir et establir, qu'il demeure tous-jours le plus fort. Sans doute, ma tres chere Mere, puisque les maladies sont comme des coupelles, il faut bien que nostre cœur en sorte plus pur et que nous devenions plus fortz parmi les infirmités.

            Or, quant a vous, je m'imagine que des-ormais l'aage et la petitesse de vostre complexion vous tiendront souvent alangourie et foible; c'est pourquoy je vous conseille de vous fort exercer en l'amour de la tres aymable volonté de Dieu et en l'abnegation des contentemens exterieurs et en la douceur parmi les amertumes. Ce sera le plus excellent sacrifice que vous puissies faire. Tenés bon, et prattiques non seulement l'amour solide, mays l'amour tendre, doux et suave envers ceux qui sont autour de vous. Ce que je dis par l'experience que j'ay, que l'infirmité, ne nous ostant pas la charité, nous oste neanmoins la suavité envers le prochain, si nous ne sommes fort sur nos gardes.

            Ma tres chere Mere, je vous souhaite le comble de la sainte perfection es entrailles de Jesus Christ. Je demeure pour jamais vostre.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

MLXX. A M. Antoine des Hayes. L'Evêque de Genève s'excuse de ne pouvoir accepter une proposition qui l'obligerait à résider en France. — Remerciements pour des services rendus. — Privilèges et privilèges. — Qualités et défauts de Louis des Hayes. — Une de ses réponses ; son affection pour le Saint. — Nouvelles militaires.

 

Annecy, 3 mai 1615.

 

                        Monsieur,

            Je respons donq a part a vostre lettre du 10 avril, que je receus avanthier, 1er de may, et n'ay rien presque a dire [351] en celle ci sur ce sujet la; car je parle tout a la bonne foy, et ne puis croire que l'on voulust me retirer de dela qu'avec la bienseance, sans laquelle je ne puis ni veux y aller, puisque je ne pourrois le vouloir sans offencer Dieu et perdre ma reputation, de laquelle pourtant, en tout cas, mais en celuy la particulierement, j'aurois tant de necessité. Vous sçaves bien, Monsieur, qu'il faut plus de sujet pour faire remuer les vielles gens que les jeunes, et que les vieux chiens ne prennent jamais le change qu'avec advantage.

            Au bout de la, je suis en verité si peu de chose, que je ne suis pas mesme sans honte de voir l'honneur auquel, vous, Monsieur, et celuy qui vous a fait la proposition, aves pensé pour moy. Je croy que vous jugeres bien que je ne puis point faire d'autre responce a une proposition si generale.

            Maintenant, je respons a deux autres lettres que je receus le mois passé, et tous-jours obligé de vous remercier, puisque tous-jours vous ne cesses de m'obliger. Je vous remercie donq tres humblement de l'expedition de madame de Gouffier, et de celle du petit benefice uni a mon Chapitre, vous conjurant, Monsieur, de me faire sçavoir la despense que vous aures fournie pour l'un et l'autre, affin que j'aye tous-jours la confiance de me prevaloir de vostre courtoyse entremise es occurrences, laquelle, certes, je n'oserois plus employer si elle vous devoit estre onereuse en autre chose qu'en vostre peyne et vostre soin.

            Je vous remercie encor, Monsieur, de la peyne qu'il vous a pleu de prendre pour sçavoir si je pourrois obtenir un Privilege pour l'impression de ces petites besoignes [352] que je pourrois faire dores-en-avant; et puisque M. le Chancelier ne treuve pas a propos de me l'accorder sinon pour le libraire que je luy nommeray, il me semble que je dois laisser ce soin la au libraire mesme, qui obtiendra le Privilege pour soy a l'accoustumee. Mays je serois marry que M. le Chancelier creust que j'eusse voulu tirer consequence du grand Cardinal du Perron a moy, qui serois, certes, un temeraire scandaleux si je pensois m'apparier en privilege a cet homme sans pair en doctrine, eloquence et merite. Aussi n'a-ce pas esté sur ses livres que ce desir m'estoit venu, mays sur des autres, comme par exemple, de M. Valladier, qui a fait imprimer l'an passé ses Sermons sous un tel Privilege, et [353] de plusieurs autres; qui m'a fait estimer que ce n'estoit pas un Privilege tant special. Mais puisqu'il l'est, je ne le desire plus.

            Reste nostre filz qui, en verité, a un cœur fort bon et l'esprit encor meilleur; mais, comme vous le dites, Monsieur, il est un peu friand et brillant, et pour cela nous tascherons de l'occuper fort. Il va en classe et pense monter, a la saint Remy, a la seconde. Il va commencer a apprendre l'escriture d'un brave maistre que nous avons icy. Les Peres n'ont pas encor esté d'advis qu'on le mist aux mathematiques de quelques moys, et j'avois treuvé un de nos chanoines qui l'eust fort volontier enseigné. Le Dimanche de Quasimodo, il monta en chaire pour reciter un poëme heroïque de la Resurrection de Nostre Seigneur. Il ne se peut dire de quelle grace, avec quelle asseurance, avec quelle beauté d'action il prononça cette besoigne. Je luy dis apres, qu'il avoit parlé avec beaucoup de hardiesse, et il me respondit qu'il ne failloit pas craindre en bien faysant. Au demeurant, il m'ayme et me respecte extremement, avec une crainte infinie de me fascher, et je croy que je mesnage bien ce talent avec luy; de le tenir trop serré, cela luy nuiroit. Il commence a prendre un peu de sentiment de reputation, qui luy sera utile, car les remonstrances qu'on luy fait de la part de l'honneur le touchent.

            Je suis marri que nostre College n'est encor pas en si bon terme comme la bonté et suffisance de ces Peres qui le gouvernent maintenant nous promet qu'il sera bien tost. Mays puisque nous aurons l'honneur de vous [354] voir dans quelque tems, nous parlerons un peu ensemble de tout ce qui est requis pour la bonne conduitte de ce cher enfant, qui est fort aymable et qui reuscira, comme j'espere, extremement bien. Et sans doute, ça esté une vraye inspiration celeste qui vous donna la resolution de le remettre un peu aux Lettres, car la vivacité de son esprit l'eust mis en grand danger en cette autre profession pendant ces deux ou troys ans.

            Son Altesse a battu ces jours passés les Espagnolz, mais non pas avec grande effusion de sang. Il suffit qu'en ces trois ou quatre petites rencontres, Dieu a tous-jours favorisé la cause du plus foible; je pense que c'est pour advertir le plus fort de n'estre pas si vigoureux.

            Je suis trop long, mays pardonnés au playsir que j'ay de vous parler en la façon que je puis. Je prie Dieu qu'il vous comble de prosperités, et suis,

                        Monsieur,

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 3 may 1615.

                        A Monsieur

[Monsieur] des Hayes, Maistre d'hostel du Roy,

            Baillif et Gouverneur de Montargis. [355]

 

 

 

MLXXI. A Dom Jean de Saint-Malachie Obry, Feuillant. Amitié du Saint pour les religieux Feuillants. — Affectueuse mention de Mme Brûlart. — Dévotion de François de Sales à saint Bernard. — Nouvelles de la Visitation.

 

Annecy, 5 mai 1615.

 

                        Mon Reverend Pere,

            J'ay mille remerciemens a vous faire des deux lettres que j'ay receuës de vous et que j'ay leuës avec un'incroyable consolation, selon l'inclination que Dieu m'a donnee a l'honneur du glorieux Saint duquel vous habites le lieu natal et l'affection que j'ay a vos merites.

            J'ay bien desir de sçavoir que sera devenue cette damoyselle muette; car on m'a dit qu'elle estoit retombee a son premier accident. Ce porteur, gentilhomme de [356] marque, est mon parent, et je le pourray bien sçavoir par son retour.

            Le Pere Dom Henry, Prieur de vostre Monastere de Chambery, est icy, qui prescha hier a la Visitation. J'ay eu desplaysir de ne luy avoir peu rendre l'office d'hospitalité, comme [vous] sçaves que je fay volontier a ceux de vostre compagnie.

            Je suis bien ayse de l'edification que madame la premiere Presidente donne. C'est, a la verité, une fille que je cheris fort, et qui m'a bien donné de la consolation des il y a dix ans que Dieu voulut qu'elle prist confiance en mon ame; quand vous la verres, je vous prie de la saluer. Mais sur tout, salués quelquefois le filz de la mayson en laquelle vous estes, et luy demandés son intercession pour la pureté de mon miserable esprit, le suppliant qu'il implore la misericorde de sa chere Maistresse et Mere de Dieu sur ma vie et sur ma mort.

            Nostre Visitation croist «en nombre et merite.» Madame de Chantal est a Lion, avec madame Favre, madame de Chastel et madame de Blonay, pour l'erection d'une Mayson que Monseigneur de Lyon y a desiree.

            Je suis, mon Reverend Pere, d'un cœur tout particulier,

                                                                       Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessi, ce 5 may 1615.

                        Au Reverend Pere en Nostre Seigneur,

            Dom Jean de St Malachie, Religieux Feuillantin,

                        Superieur du Monastere de St Bernard.

                                   A Fontaynes lez Dijon. [357]

 

 

 

MLXXII. A la Mère de Chantal, a Lyon. Un billet hâtif. — Union d'intimité spirituelle entre les âmes des deux Saints.

 

Annecy, 10 mai 1615.

 

            Ma Mere, helas! c'est sans loysir quelcomque; imagines vous que c'est un billet pour une dame qui veut entrer. Je vous salue mille fois. Mon ame s'eslance dans vostre esprit, si toutefois il faut user du mon et du vostre entre vous et moy, qui ne sommes rien du tout de separé, mays une seule mesme chose.

            J'escriray par la premiere commodité, mays [c'est] plustost un eschantillon de commodité que j'employe pour saluer mille fois un cœur maternel, de toute mon affection filiale. Dieu, qui est nostre unité, soit a jamais beni.

            Je salue nos cheres Seurs, mes filles. Vives joyeuse en ce divin Jesus, qui est le Roy des Anges et des hommes. Je suis tres parfaitement en luy, ma tres chere Mere, ce que nul ne sçait que luy mesme qui l'a fait. A luy aussi en soit l'honneur, gloire et loüange. Amen.

                                                                                                          Vostre…..

            10 may 1615. [358]

MLXXIII. A la même, a Lyon. Aucune distance ne peut éloigner les cœurs que Dieu unit. — Une crainte du Saint. — La liberté qu'il faut garder à tout prix dans l'Institut de la Visitation. — Pourquoi le Fondateur voulait qu'on s'accommodât de certains esprits un peu difficiles. — Un vingt-troisième anniversaire cher au Bienheureux.

 

Annecy, 13 mai 1615.

 

……………………………………………………………………………………………………...

            II faut cultiver la tressainte indifference a laquelle Nostre Seigneur nous appelle. Que vous soyes la ou icy, helas! qui nous peut separer de l'unité qui est en Nostre Seigneur Jesus Christ? En fin, c'est chose desormais, ce me semble, qui n'adjouste plus rien pour nostre esprit, que nous soyons en un ou deux lieux, puisque nostre tres amiable unité subsiste par tout, graces a Celuy qui l'a faite. Combien de fois vous ay je dit, ma tres chere Mere, que le ciel et la terre ne sont point en asses grande distance pour esloigner les cœurs que Nostre Seigneur a jointz! Demeurons en paix sous cette asseurance.

            J'ayme bien mieux que l'on se fie tout en vous de la Mayson, car cela se fera fort doucement et suavement, pourveu que l'on vous laisse vostre liberté et qu'on se repose sur vostre foy. Mays je crains qu'on ne veuille vous arrester la, ce qui seroit une cogitation injuste [359] et que je ne pourrois ouÿr; je dis la cogitation, car de l'effect, il n'en faut pas parler. Il faut donq en cet article, parler souëfvement et justement, et arrester que vous aures un soin tres suffisant de cette Mayson la.

            Il faut garder comme la prunelle de l'œil la sainte liberté que l'Institut donne pour les communications et conferences spirituelles. L'experience me fait voir que rien n'est si utile aux servantes de Dieu, quand elle sera prattiquee selon nos Regles.

            Je respons que la vivacité de ces espritz nourris en leur propre jugement ne m'estonneroit point, pourveu qu'on leur eust proposé les maximes generales de la douceur, charité et simplicité, et le despouillement des humeurs, inclinations et aversions naturelles, qui doivent regner en la Congregation; car en fin, qui ne voudroit recevoir que des espritz avec lesquelz il n'y eust point de peyne, les Religions ne serviroyent gueres au prochain, puisque ces espritz-la feroyent presque bien par tout.

            O ma tres chere Mere, vivés joyeuse, toute brave, toute douce, toute jointe au Sauveur, et playse a sa Bonté de benir la tressainte unité qu'il a fait de nous et la sanctifier de plus en plus. Je salue nos cheres Seurs; helas, que je leur souhaitte de perfection!

            Ce 13 may, auquel je commence la 23e annee de ma vie en l'estat ecclesiastique, plein de confusion d'avoir fait si peu d'estat de vivre en la perfection de cet estat.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

MLXXIV. A la même, a Lyon. Puissants désirs de servir le divin amour qui affluent dans le cœur du Saint. — Consolations qu'il reçoit des progrès spirituels de ses chères filles d'Annecy. — Que faire pour permettre à Dieu de parachever son œuvre dans les âmes.

 

Annecy, 14 mai 1615.

 

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            O que mon ame, des plusieurs jours en ça, est pleine de nouveaux et puissans desirs de servir le tres saint amour de Dieu avec tout le zele qu'il me sera possible! La vostre, ma tres chere Mere, qui n'est qu'une mesme chose, en fera de mesme; car, comme pourroit-elle avoir diverses affections, n'ayant qu'une mesme vie et une mesme ame?

            Nos Seurs font, certes, merveilles et incitent mon cœur a beaucoup de reconnoissance envers la bonté de Dieu, de laquelle je voy de si clairs effectz en leurs ames. J'espere que celles de dela vous donnent aussi des pareilz sentimens, et que cette douceur celeste verse ainsy son Esprit sur toute cette petite assemblee de creatures unies pour sa gloire.

            Helas, ma tres chere Mere, que d'obligations que nous avons a Nostre Seigneur, et combien de confiance nous devons avoir que ce que sa misericorde a commencé en nous, elle le parachèvera, et donnera tel accroissement a ce peu d'huyle de bonne volonté que nous avons, que tous nos vaysseaux s'en rempliront et plusieurs autres de ceux de nos voysins. Il ne faut que bien fermer la [361] chambre sur nous, c'est a dire, retirer de plus en plus tout nostre cœur en cette divine Bonté.

            Je vous donne mille fois le bon soir, et prie Dieu qu'il soit tous-jours au milieu de tout vostre cœur, le benissant de ses tressaintes et plus desirables faveurs. Je salue toutes nos Seurs.

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 14 may 1615.

 

MLXXV. A la Soeur Favre, Assistante de la Visitation de Lyon. Inquiétudes résignées du Bienheureux sur la santé de la Mère de Chantal. — Voyage de M. Grandis à Lyon.

 

Annecy, 14 mai 1615.

 

                        Ma tres chere Fille, ma Niece,

            Vostre lettre m'a certes un peu estonné; mays j'ay, graces a Dieu, les yeux sur cette infinie Providence, delaquelle les decretz seront a jamais les loix de mon cœur. Helas! vous pouves penser ce que mon ame est a ma Mere et ce que l'ame de ma Mere est a la mienne. Hé, j'espere que la divine Bonté, en consideration de nostre pauvre petite Congregation faite en son nom et pour sa gloire, nous laissera cette Mere tant utile.

            Monsieur Grandis a eu peine a se resoudre d'aller, [362] par ce quil tenoit, d'un costé, la maladie n'estre pas dangereuse puisqu'elle est intermittente, et de l'autre, que les medecins de dela auroyent desja fait tous les remedes quand il arrivera. Neanmoins, en un'occasion de si grande consequence, en fin il s'est resolu. O! Dieu soit nostre secours, ma tres chere Niece. Prions bien Dieu, il nous aydera.

            L'homme qui accompagne M. Grandis reviendra soudain avec advis nouveau; je vous en prie, et que ce soit bien distinctement. Tout ce que Dieu ordonnera sera receu, moyennant sa grace, avec resignation; l'unité de mon ame avec celle de cette Mere n'est pas pour cette vie seulement, mais principalement pour l'autre.

            Dieu vous benisse, ma tres chere Fille, ma Niece. Monsieur Grandis ne fera point semblant d'aller expres.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Arona (Italie).

 

MLXXVI. A la Mère de Chantal, a Lyon. Zèle croissant du Saint pour le service de Dieu. — Béatitude et suavité des âmes totalement résignées au vouloir divin. — Attente de nouvelles.

 

Annecy, 14 mai 1615.

 

VIVE JESUS

 

            Nous avons esté huit jours sans commodité d'escrire, et voyci maintenant, coup sur coup, qu'on nous donne occasion. Nous attendons certes avec une devote impatience M. du Crest, qui n'est encor point arrivé, pour [363] sçavoir un peu de vos nouvelles, car je m'imagine que nous en aurons a force, et par le sire Pierre aussi, par lequel je vous avois envoyé des lettres pour M. des Hayes, ouvertes, affin que vous les vissies. Or bien, il faut donq attendre.

            Cependant, que vous diray-je de vostre cœur de deça, sinon que Dieu luy donne tous les jours des nouvelles affections pour son service. Ce matin, estant un peu en solitude, il a fait un exercice de resignation nonpareil, mays que je ne puis escrire, et que je reserve pour vous dire a bouche, quand Dieu me fera la grace de vous voir. O que bienheureuses sont les ames qui vivent de la seule volonté de Dieu! Helas! si pour en savourer seulement un bien peu par une consideration passagere, on a tant de suavité spirituelle au fond du cœur qui accepte cette sainte volonté avec toutes les croix qu'elle presente, que sera ce des ames toutes destrempees en l'union de cette volonté?

            Or sus, c'est bien asses, car je vous ay escrit ce jourdhuy mesme au matin par M. Grandis, par lequel nous attendons force lettres, et grandes; car, puisqu'il vous ira voir en arrivant et que ses affaires le retiendront un peu la, vous aures bon loysir d'escrire.

            Ce pendant, Dieu soit seternellement nostre tout. Je suis en luy vostre, selon quil luy a pieu et comme vous sçaves vous mesme.

            Annessi, le 14 may 1615.

                        A Madame

            Madame de Chantal,

                        Superieure de la Visitation. — A Lion.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans. [364]

 

MLXXVII A la même, a Lyon. Acquiescement de François de Sales à la volonté de Dieu. — Nouvelles de son propre cœur.

 

Annecy, 16-18 mai 1615.

 

                        Ma tres chere Mere,

            Ce mot part a l'impourveu pour saluer vostre chere ame, que je cheris comme la mienne propre; aussi l'est elle en Celuy qui est le principe de toute unité et union.

            Je ne veux pas nier que je ne sois marri de vostre fievre; mays ne vous mettes nullement en peyne de ma peyne, car vous me connoisses: je suis homme pour souffrir, sans souffrir, tout ce qu'il plaira a Dieu faire de vous comme de moy. Helas! il ne faut point faire de replique ni de fleschissement. Je confesse devant le Ciel et les Anges que vous m'estes pretieuse comme moy mesme; mays cela ne m'oste point la tres resolue resolution d'acquiescer pleinement en la volonté divine. Nous voulons servir Dieu en ce monde, icy et la, de tout ce que nous sommes; s'il juge mieux que nous soyons en ce monde ou en l'autre, ou tous deux, sa tressainte volonté soit faite.

……………………………………………………………………………………………………...

            Je ne vous diray rien davantage, sinon que je me porte [365] mieux, et que mon cœur va mieux qu'il n'est pas allé il y a long tems; mais je ne sçai pas si sa consolation vient des causes naturelles ou de la grace.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, pour le remplir de son saint amour. Amen. VIVE JESUS! Ma tres chere Mere, je suys, comme vous sçaves vous mesme, tous-jours plus tout a fait vostre.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

MLXXVIII. A la Soeur de Bréchard, Assistante de la Visitation d'Annecy (Inédite). Prières publiques pour la guerre. — Affaire d'argent.

 

Annecy, 18-20 mai 1615.

 

            J'avoys un grand desir de vous aller voir en presence, ma tres chere Fille, mais je n'ay pas ceans un prestre a mon commandement, et puis, j'ay un peu d'affaires, comme seroit de me praeparer au sermon que nous faysons demain pour recommencer les prieres et faire un'assemblee tantost pour l'ordre d'icelles. J'attens, non sans tentation d'inquietude, l'homme qui doit venir de [366] Lion; soudain quil sera arrivé, vous aures part a nos nouvelles. Hé, Dieu le (sic) nous veuille donner bien bonnes.

            Cependant, M. de Charmoysi doit rendre l'argent quil a, dans trois ou quatre jours. Il proposoit de le remettre a M. de Vallon, qui en donneroit la rente constituée; mays puis que l'on en a besoin pour le bastiment, je pense quil sera mieux de s'en servir que d'en emprunter. Et puis, quand il en viendra d'autre, si M. de Vallon est treuvé propre pour le recevoir, comme je pense qu'il le soit, nous le luy baillerons.

            Bonsoir, ma tres chere Fille. Dieu vous benisse des benedictions que ce cœur vous souhaite, ce cœur, dis-je, qui vous cherit vrayement d'un'affection toute paternelle et plus que paternelle.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Brioude. [367]

 

MLXXIX. A M. Balthazard de Peyzieu (Inédite). Condoléances, — Eloge d'un frère défunt. — La seule chose qui nous mette en repos. — Préparer la mère tout doucement à la fâcheuse nouvelle. — Une grande erreur.

 

Annecy, 21 mai 1615.

 

            Helas, monsieur mon Frere, que nous avions des-ja regretté nostre commune perte, entre nous autres freres de deça, car les Peres Capucins nous en avoyent donné quelque sorte de nouvelles. Il faut advoùer que cet evenement si inopiné est capable de troubler les espritz les plus resoluz de ceux qui ont aymé un peu affectionnement [368] ce brave et genereux frere, et rien que le souverain respect que nous devons a la Providence eternelle, qui ne fait jamais rien que saintement et sagement, ne nous sçauroit mettre en repos sur cet accident. Et comme pourroit on croire que ce brave cœur, qui avoit esté nourri des sa jeunesse en la pieté, et qui avoit en bonne partie entrepris cette si grande separation de tout ce qui luy estoit plus cher pour le zele du service de Dieu, n'ayt aussi esté tres specialement secouru de la grace d'iceluy en son dernier jour, lequel, selon sa profession, il a fini dans les termes de son devoir? Certes, lhonneur de cette mort est extreme, et la posterité la louera sans fin.

            Mays, de sçavoir comme on pourrait dextrement donner le coup de cette si estrange et fascheuse nouvelle au cœur de nostre pauvre chere mere sans esbranler extremement sa vie propre, je vous asseure, mon cher Frere, que je ne le sçai pas. Je pense bien qu'a la fin elle le sçaura, car le bruit respandu penetrera jusques a ses oreilles par quelque rencontre; c'est pourquoy il seroit bon de la praeparer tout bellement a cet assaut, lequel, puisqu'elle ne peut eviter, on pourroit luy donner par apres, quand on auroit un peu fortifié son ame. Je prie Dieu quil vous conseille, monsieur mon tres cher Frere, en cett'occasion; et ce pendant, je ne laisse pas d'escrire a nostre tres chere mere sur ce sujet, affin que si vous juges a propos qu'elle le sache, elle voye quant et quand la contribution de mon desplaysir au sien. Mays, que ne voudrois-je pas faire pour secourir ce pauvre cœur maternel, quand il sera blessé de ce coup si rude! Releves ce pendant le vostre, mon tres cher Frere, vous qui estes masle, et vous disposes a l'ennuy de voir encor, pour surcroist de vostre perte et de la nostre, les desplaysirs d'une si bonne mere. Qui se promet des autres occurrences en cette plus que miserable vie, il se trompe grandement.

            Monsieur mon tres cher Frere, je vous conjure de recueillir l'affection que ce cher defunct me portoit et a mes freres, et de la nous conserver, comme de tout mon [369] cœur je me dedie de nouveau a toute vostre mayson pour estre sans fin,

            Monsieur,

                                                           Vostre plus humble, tres affectionné

                                                                       serviteur et frere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            21 may 1615.

                        A Monsieur

            Monsieur de Pezieu.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise de Mailly,

au château de la Roche-Mailly (Sarthe).

 

 

 

MLXXX. A Madame de Peyzieu. Condoléances à la destinataire, sur la mort de son fils. — Le monde le plus désirable de tous. — Consolations à la mère «quasi sur le despart» pour aller où est son enfant.

 

Annecy, 21 mai 1615.

 

            O que mon ame est en peyne de vostre cœur, ma tres chere Mere, car je le voy, ce me semble, ce pauvre cœur maternel, tout couvert d'un ennuy excessif; ennuy toutesfois que l'on ne peut ni blasmer ni treuver estrange, si on considere combien estoit aymable ce filz, duquel ce second esloignement de nous est le sujet de nostre amertume.

            Ma tres chere Mere, il est vray, ce cher filz estoit l'un des plus desirables qui fut onques; tous ceux qui le conneurent, le reconneurent et le connoissent ainsy. Mais n'est-ce pas une grande partie de la consolation que nous devons prendre maintenant, ma tres chere Mere? [370] car en verité, il semble que ceux desquelz la vie est si digne de memoire et d'estime, vivent encor apres le trespas, puisqu'on a tant de playsir a les ramentevoir et representer aux espritz de ceux qui demeurent,

            Ce filz, ma tres chere Mere, avoit des-ja fait un grand esloignement de nous, s'estant volontairement privé de l'air du monde auquel il estoit né, pour aller servir son Dieu, et son Roy, et sa patrie en un autre nouveau monde. Sa generosité l'avoit animé a cela, et la vostre vous avoit fait condescendre a une si honnorable resolution, pour laquelle vous avies renoncé au contentement de le revoir jamais en cette vie, et ne vous restoit que l'esperance d'avoir de tems en tems de ses lettres. Et voyla, ma tres chere Mere, que, sous le bon playsir de la Providence divine, il est parti de cet autre monde pour aller en celuy qui est le plus ancien et le plus desirable de tous, et auquel il nous faut tous aller, chacun en sa sayson, et ou vous le verres plus tost que vous n'eussies fait s'il fust demeuré en ce monde nouveau, parmi les travaux des conquestes qu'il pretendoit faire a son Roy et a l'Eglise. En somme, il a fini ses jours mortelz en son devoir et dans l'obligation de son serment. Cette sorte de fin est excellente, et ne faut pas douter que le grand Dieu ne la luy ayt rendue heureuse, selon que, des le berceau, il l'avoit continuellement favorisé de sa grace pour le faire vivre tres chrestiennement.

            Consolés vous donq, ma tres chere Mere, et soulagés vostre esprit, adorant la divine Providence qui fait toutes choses tres suavement; et, bien que les motifz de ses decretz nous soyent cachés, si est-ce que la verité de sa debonnaireté nous est manifeste et nous oblige a croire qu'elle fait toutes choses en parfaite bonté.

            Vous estes quasi sur le despart pour aller ou est cet aymable enfant; quand vous y seres, vous ne voudries pas qu'il fust aux Indes, car vous verres qu'il sera bien mieux avec les Anges et les Saintz, qu'il ne seroit pas avec les tigres et barbares. Mays en attendant l'heure [371] de faire voyle, apaysés vostre cœur maternel par la consideration de la tressainte eternité en laquelle il est et de laquelle vous estes toute proche. Et en lieu que vous luy escriviés quelquefois, parlés a Dieu pour luy, et il sçaura promptement tout ce que vous voudres qu'il sache, et recevra toute l'assistence que vous luy ferés par vos vœux et prieres, soudain que vous l'aures faite et delivree entre les mains de sa divine Majesté.

            Les chrestiens ont grand tort d'estre si peu chrestiens comme ilz sont, et de violer si cruellement les loix de la charité pour obeyr a celles de la crainte; mays, ma tres chere Mere, il faut prier Dieu pour ceux qui font ce grand mal, et appliquer cette priere-la a l'ame de vostre defunct. C'est l'orayson la plus aggreable que nous puissions faire a Celuy qui en fit une pareille sur la croix, a laquelle sa tressainte Mere respondit de tout son cœur, l'aymant d'une tres ardante charité.

            Vous ne sçauriés croire combien ce coup a touché mon cœur; car en fin, c'estoit mon cher frere et qui m'avoit aymé extremement. J'ay prié pour luy et le feray tous-jours, et pour vous, ma tres chere Mere, a qui je veux rendre toute ma vie un particulier honneur et amour, de la part encor de ce frere trespassé, duquel l'amitié immortelle me vient solliciter d'estre de plus en plus,

            Madame, ma tres chere Mere,

                        Vostre filz et serviteur tout humble, tout fidelle

                                               et tout obeissant,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [372]

Le 21 may 1615.

 

 

 

MLXXXI. A la Soeur Favre, Assistante de la Visitation de Lyon. La Mère de Chantal hors de danger. — Nouvelles et avis spirituels. — Salutations aux chères Sœurs et aux bienheureuses Novices.

 

Annecy, 31 mai 1615.

 

                        Ma tres chere Niece, ma Fille,

            Je ne sçauroys vous dire combien mon ame se sent obligee a la vostre pour le soin que vous aves eu de me tenir adverti de l'estat de la santé de nostre Mere. Et Dieu soit loué dequoy il luy a pleu la nous conserver! Je veux esperer que ce sera plus longuement que la foiblesse de sa complexion ne nous permet d'esperer; car cette Bonté qui a commencé a nous gratifier, ne s'en lassera point, si nous sommes fideles.

            J'eusse bien desiré de vous donner quelque bonne nouvelle en contrechange, mays je n'ay sceu; car encor que monsieur le President et messieurs les freres et seurs se portent fort bien, si est ce que Nostre Seigneur a retiré a soy le bon oncle, monsieur l'advocat, le jour mesme de l'Ascension, pour bon presage quil luy feroit part du Ciel auquel il estoit monté, menant la captivité captive. Aussi ce bon defunct receut tous les [373] saints Sacremens convenables a ce dernier passage et tesmoigna une grande constance.

            Ma tres chere Fille, ma Niece, releves tous-jours bien vostre cœur en Nostre Seigneur, esvertues-vous de surmonter toutes les humeurs melancoliques et chagrines, demeures en paix. Amen.

            Je suis, plus quil ne se peut dire, tout vostre, et a nos cheres Seurs Marie Peronne et Marie, et aussi a vos bienheureuses Novices, que j'appelle ainsy par ce que je connois de plus en plus le bonheur de ceux qui se dedient a l'amour et service divin. Je suis tout vostre, ma tres chere Niece, ma Fille.

            31 may 1615.

                        A ma tres chere Fille en N. S.

            Ma Seur Me Jaqe, ma Niece bienaymee.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Troyes. [374]

 

Minutes écrites par Saint François de Sales pour d'autres personnes

 

 

MLXXXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier, pour les Religieuses de la Visitation. Remerciements et promesse de prières à Son Altesse en retour de la protection qu'elle accorde à la Visitation.

 

Annecy, vers mi-janvier 1614.

 

                        Monseigneur,

            La bonté et pieté de Vostre Altesse ne pouvoit jamais mieux paroistre qu'en recepvant sous sa protection une troupe de pauvres filles assemblees au nom de Dieu; et croyons tres assurement que Nostre Seigneur a heu fort agreable de voir la grandeur de Vostre Altesse [375] r'abaissee jusques la, esperans que se (sic) rabaissement eslevera tousjours d'avantage Vostre Altesse Serenissime devant les yeux de la divine Majesté.

            Et quant a nous, ce nous est un honneur si grand, Monseigneur, qu'il excede tout remerciement; de sorte que ce que nous pouvons faire, c'est d'offrir journellement a Dieu nos petites oraisons pour la conservation et prosperité de Vostre Altesse, pour, en quelque maniere, corespondre a l'estroite obligation que nous avons a la bonté de Vostre Altesse Serenissime, a laquelle faysans en toute humilité la deüe reverence, nous [serons a] sommes,

            Monseigneur,………

 

Revu sur l'original conservé au 1er Monastère de la Visitation de Paris.

 

 

 

                        Monseigneur,

            La bonté et pieté de Vostre Altesse ne pouvoit jamais mieux se faire paroistre en aucune sorte d'action, qu'en recepvant une troupe de pauvres filles assemblees au nom de Dieu soubs vostre protection. Nous croyons tres [375] assurement que Nostre Seigneur a heu fort agreable de voir la grandeur de Vostre Altesse r'abaissee jusques la, et esperons que se (sic) rabaissement vous eslevera tousjours d'avantage devant les yeux de la divine Majesté.

            C'est un honneur pour nous si grand, Monseigneur, qu'il excede tout remerciement; de sorte que ce que nous pouvons faire, est d'offrir journellement a Dieu nos petites oraisons pour la conservation et prosperité de Vostre Altesse, en quoy nous essayerons de corespondre a l'estroite obligation que nous y avons, et a nous tesmoigner, avec toute reverence et fidelité,

            Monseigneur,……

 

MLXXXIII. Au Cardinal Maffeo Barberini, pour Madame des Gouffiers (Inédite). Mme des Gouffiers se félicite d'avoir le Cardinal pour intercesseur dans son affaire. — Elle en espère le succès de sa charitable intervention.

 

Annecy, février ou mars 1614.

 

                        Monseigneur,

            Des il y a long tems, vostre charité et pieté m'estant conneue par la reputation qu'elle s'est acquise en nostre [376] France, elle l'est maintenant beaucoup plus par lhonneur que Vostre Illustrissime Grandeur me fait en une affaire que la divine Majesté a permis, ou plustost ordonné, vous estre tumbee entre les mains, pour mon bonheur et advantage; puisque je ne pouvois rencontrer ni une plus grande, ni une plus utile et necessaire faveur que celle quil plaira a vostre bonté, Monseigneur, me departir, et laquelle me licentiant, ce me semble, de representer encor de rechef sur ce papier ma necessité, je ramenteveray en toute humilité a Vostre Illustrissime Grandeur, comm'il y a des-ja quelques annees, pendant son sejour en France, je m'essayay me rendre sous vostre authorité pour le sujet dont il est maintenant question; et sachant bien que de moy je ne meritois pas cet honneur, je fus favorisee de Monseigneur le Duc de Nevers, lequel vous fit offrir quelques supplications [377] pour moy. Mais lhors, a cause de quelque consideration, Vostre Grandeur Illustrissime ne jugea pas a propos de m'accorder ce dont je la suppliois; et je connois par experience que Nostre Seigneur avoit ainsy disposé pour mon bien, me reservant vostre faveur, Monseigneur, jusques a ce tems auquel elle me sera plus utile a mon avancement spirituel, que peut estre elle n'eut pas esté lhors que je la pretendois.

            Je sçai que les difficultés de mon affaire sont grandes, mais j'en espere pourtant un heureux succes, et que vostre charité, Monseigneur, jointe a vostre authorité, me rendra jouissante demon desir, auquel je proteste n'estre portee que pour la gloire de Dieu et la plus grande asseurance de mon ame. Le sieur Philipe de Quoex, recteur de Sainte Catherine, fera voir a Vostre Illustrissime Grandeur combien il me seroit desavantageux d'estre renvoyee par devant Monseigneur l'Evesque de Troyes, et je m'asseure qu'elle considerera et favorisera mes raysons, ainsy que tres humblement je l'en supplie, luy baysant en toute reverence les mains sacrees, et luy souhaitant une grande et abondante recompense de la grace et protection qu'elle exercera pour moy qui suis,                                 Monseigneur,

            De Vostre Illustrissime et Reverendissime Grandeur,

                        Tres humble et tres obeissante, indigne servente en

                                                           Nostre Seigneur.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [378]

 

 

 

MLXXXIV. A la Duchesse de Mantoue, Marguerite de Savoie, pour les Religieuses de la Visitation (Inédite). Les Religieuses de la Visitation d'Annecy rendent compte à leur protectrice de leurs consolations : pose de la première pierre de l'église, envoi prochain de trois d'entre elles pour dresser un nouveau monastère à Lyon.

 

Annecy, novembre 1614.

 

            Le bonheur et l'honneur que nous recevons d'estre sous la maternelle protection de Vostre Altesse Serenissime, nous oblige a luy rendre conte de toutes les saintes consolations que la Bonté divine nous depart, sachant bien que vostre charité, Madame, y prendra du playsir.

            Ce moys d'aoust passé, madame de la Croix posa la premiere pierre de nostre eglise de la part de Vostre Altesse Serenissime, delaquelle action nous eusmes un grand contentement, pour l'esperance que nous avons que la divine Majesté sera saintement servie en ce petit lieu, par plusieurs bonnes ames qui s'y assembleront a l'advenir en son nom. Et presque a mesme tems, un nombre de dames vertueuses, filles de la ville de Lion, qui, pour quelque digne sujet, estoyent venues icy l'annee [379] passee et avoyent veu nos exercices, inspirees, comme il est a croire, du Saint Esprit, desirant eriger une mayson de nostre Institut et ayant preparé ce qui est requis a cette intention, nous ont en fin demandé de leur envoyer de nos Seurs pour leur servir de conduite en leur sainte entreprise. Ce que Monseigneur l'Archevesque de Lion ayant recommandé a Monseigneur l'Evesque de Geneve, qui est le Pasteur de ce lieu, il a esté jugé expedient de devoir estre accordé, attendu que, par la grace de Dieu, nostre nombre est des-ja asses grand pour pouvoir exercer cette charité, de sorte que troys des nostres sont deputees pour aller dresser cette nouvelle mayson, lesquelles toutesfois, cela estant fait, reviendront icy ou elles se sont premierement donnees a Dieu.

            Dequoy, comme nous avons deu avant leur depart donner advis a Vostre Serenissime Altesse, aussi estimons-nous qu'elle l'aura fort aggreable, et loüera la Majesté divine dequoy elle daigne se servir de nous pour l'accroissement de sa gloire; puisque mesme, a mesure que nostre Congregation se dilatera, les prieres se multiplieront pour Vostre Altesse, qui a si doucement et favorablement arrousé de sa bienveuillance cette petite plante delaquelle les autres auront pris leur origine, et laquelle, se recommandant tres humblement de plus en plus a Vostre Altesse Serenissime, ne cessera jamais de luy souhaiter toute sorte de sainte consolation, [et] demeurera a jamais toute sienne, comme estant composee,

                                   Madame, des

                        Tres-humbles et tres-obeissantes filles et serventes

                                   de Vostre Altesse Serenissime.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation d'Annecy. [380]

 

MLXXXV. A un Secrétaire du Duc de Savoie, pour le Supérieur d'une Communauté (Inédite). Une réclamation injustifiée.

 

[1614-1615]

 

                        Monsieur,

            Ayant conferé avec mes Freres de ce que vous m'aves communiqué pour le regard [des] habitz qui furent jadis a Ripaille, nous n'avons jamais sceu treuver qu'ilz ayent esté remis en depost ceans; et si, ne pouvons croire que s'ilz nous avoyent esté confiés, Son Altesse voulut, apres tant de tems, les nous oster, puisque l'eglise a laquelle ilz appartenoyent n'est point en estre pour les repeter, et que nous ne sommes pas moins ses tres humbles et tres obeissans orateurs qu'aucuns autres ecclesiastiques de ses Estatz. Mais, comme je vous dis, nous n'avons nulle sorte de tesmoignage pertinent d'avoir jamais esté depositaires d'aucuns meubles de Ripaille. [381]

 

 

            Faites nous ce bien d'en asseurer Son Altesse, a laquelle nous souhaittons incessamment devant Dieu toute prosperité et santé, et a vous, Monsieur, l'assistence de son Saint Esprit, demeurans. …………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………………………………………...

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [382]

 

 

 

 

 

 

 

Appendice

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice avec le texte des Lettres de saint François de Sales.

 

I. Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants

 

A. Lettres de Commission de Mgr Pierre-François Costa, Nonce Apostolique a Turin

 

            Petrus Franciscus Costa, Dei et Apostolicae Sedis gratia Episcopus Saonensis, Sanctissimi Domini nostri Domini Pauli divina providentia Papae Quinti, dictaeque Sanctae Sedis apud Serenissimum Dominum Sabaudiae Ducem et Pedemontium Principem Nuncius, perillustri et Reverendissimo Domino Episcopo Gebennensi salutem in Domino, et nostris hujusmodi immo verius Apostolicis firmiter obedire mandatis.

            Subanexas preces nobis pro parte et ad instantiam perillustris magistri domus Ducis (?), Carolli a Turre, conventuum seu prioratuum Beatae Mariae Talloriarum et Sancti Jorii annexorum Ordinis Sancti Benedicti vestrae diocesis Prioris et commendatarii perpetui praesentatas fuisse noveritis, post quarum quidem praesentationem fuimus pro parte ejusdem domini oratoris instanter requisiti quatenus super eisdem providere dignaremur. Nos propterea, illarum continentia diligenter examinata, ejusdemque domini oratoris pietatem et divini cultus zelum, in quem die noctuque totis viribus invigilare debemus, plurimum in Domino commendantes, attentisque familiaritatibus tui Illustrissimi Domini nostri Cardinalis Burgetis, super hujusmodi negotio ad nos de ordine et mandato praedicti Sanctissimi Domini Papae transmissis, datis Romae, die vigesima tertia Augusti, anni 1608 [385] quas hoc inserere minime tenemur, vobis harum serie committimus, quatenus Superiorum monasteriorum Reverendos monacos, ecclesiasticis censuris poenisque et modis aliis vobis bene visis, ad Missae celebrationem Horarumque canonicarum et aliorum divinorum Officiorum quotidie in ecclesiis, juxta ipsorum monasteriorum primariam laudabilem invitationem, recitationem cogatis; eisdemque ac eorum singulis ne a conventu, seu monasterio, absque eorum Superiorum licentia sub quovis praetextu causa vel colore recedant, praebendasve quas obtinent in alicujus gratiam aut favorem resignent, expresse inhibeatis, etc.; eosdem denique monacos ad communiter et collegialiter vivendum, ac regularem disciplinam, tam in divinorum Officiorum celebratione, habitu, vita, vestitu et habitatione, quam aliis ad quas regulares, ipsi tenentur integre et inviolabiliter observandum compellatis et compellere faciatis.

            Nos enim vobis in praemissis, plenam praesentibus impartimur facultatem viresque nostras quae ad haec in Domino, etc.

            Datum Taurini, die ultima mensis Martii, millesimo sexcentesimo decimo.

 

D'après une copie inédite, conservée à Chambéry, Archives du Sénat,

Edits-Bulles, reg. 31, fol. 192.

 

B. Lettre du Père Jacques-Philibert de Bonivard de la Compagnie de Jésus

 

Mon tres honoré Seigneur et mon Pere bien aymé,

            Au sortir de vostre cher Nicy, je ne puis qu'a ma premiere journee je ne retourne par le moyen de ma plume bayser vos sacrees mains et vous dire, comme au depositaire de mon cœur, que tirant contre Geneve et faisant mon oraison sur ce passage: Et instaura numerum militum qui ceciderunt de tuis, hé, Seigneur, ce disois je, restaurez ceux ci, reparez ce nombre infini de Genevois qui sont cheus en l'eternelle perdition. Il a pleu a son infinie douceur de [386] combler mon ame de consolation, m'ostant du tout l'affliction de l'abomination de cette abominable cité de Geneve: ce bon Dieu m'a fait voir que son bien aymé ne pouvant vaincre la dureté de ces babiloniens calvinistes, il a dressé une triomphante Hierusalem, une paisible et amoureuse Sion, une petite Visitation, Visitation visitee a tout moment de l'Espoux celeste. J'ay veu, dis-je, ceste modeste et incomparable Judith, aporter glorieusement la teste de l'Holopherne infernal et mondain, et ay trouvé nostre siecle aussi riche qu'aucun des siecles passés, qui ont fait gloire de triompher en la pieté. Voyla, mon cher Pasteur, comme je vous descouvre mon ame.

            Mais vous diray je pas encore que, quand vos cheres Filles m'eurent descouvert les leurs en confession, je m'escriay: Mon Dieu, si vos Anges avoyent des corps et des confessions a faire, ilz se confesseroyent de ce de quoy les Filles de ce grand Pasteur s'accusent! Continuez, mon unique Pere et Reverendissime Seigneur, a les faire croistre en la profondeur de leur humilité; car, ou mon genie me trompe, ou tout le monde sera trompé en l'admirable progrez que l'on verra faire a vostre Congregation.

            Je suis insatiable a y penser et a vous en parler, et vous faut advoüer que ce matin, m'estant mis en chemin et ayant commencé mon oraison a quatre heures, je ne me suis jamais souvenu de la finir qu'à la disné, environ les onze heures. Et n'estoit que je voy nostre bon Frere compagnon qui a un peu envie de s'aller delasser, je ne me souviendrois point de finir de vous entretenir de ce que le bon Dieu m'a dit, de sa grace. Mais aussi ne le faut il pas dire la nuit, puisque sa Bonté le mettra bien tost au jour, et fera dire a plusieurs, voire a tous, ce que maintenant je dis avec le Prophete que vous aymez tant, Monseigneur: Tu m'as donné a conoistre les choses non sceuës et secrettes de ta sapience; voicy que la joye de mon salutaire m'est renduë, puis que tant d'ames seront confirmees de l'esprit principal dans la Visitation, que mon ame visite si souvent par ses souhaits a Dieu; car, Monseigneur, j'estime que si je pouvois servir ceste sainte Congregation, ce seroit vous tesmoigner que je suis

                                               Vostre fils tres indigne, et le plus affectionné de vos

                                                                       tres humbles serviteurs,

                                               JACQUES BONIVARD, le dernier des Jesuites.

            Ce 8 may 1613.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère

de la Visitation d'Annecy. [387]

 

C. Lettre du Père Mathias de Dole, Capucin (Fragment)

 

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            Ce n'est plus une Judith que nostre madame de Chantal, c'est une sainte Paule; toutes ses actions font voir l'operation de Dieu en son ame et les traces de vostre direction. Ce n'est plus une Baronne, c'est une Sulamite; toute cette contree reste pleine de la douce odeur de ses celestes vertus; nos Religieuses de Dijon, comme les filles de Sion, l'annoncent bienheureuse, et toutes nos dames la loüent hautement.

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             [Vers mi-août 1613.]

 

Revu sur le texte inséré dans le Ms. original des Mémoires, etc.,

par la Mère de Chaugy, conservé à la Visitation d'Annecy. [388]

 

 

 

D. Lettre de Mgr Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley

 

            Les accez de vostre fiebvre ont poussé leurs excez jusques au plus intime de mon cœur. Quid facient virgultae cum tremunt columnæ? O Dieu, gardez de la mort celuy dont la vie est si necessairement necessaire; plustost, ostez de la vie celuy qui la traine si inutilement et dont les actions sont si miserables. C'est l'eslancement que je poussois tous les jours vers le Ciel, estant a l'autel, pour la santé de celuy qui m'a enhardy et donné le courage de m'approcher tous les jours de ceste Table sacrée.

            Or, toutes les circonstances de celle que je viens de recevoir de vous, m'obligent: la matiere, la forme, le temps et, plus que tout, cest extreme amour qui, ne la pouvant escrire, l'a dictée, et au milieu de ses douleurs; ainsi, fortior morte dilectio. La matiere, car certes, telle que l'eau à la terre seiche, elle m'est arrivée pour desalterer mon desir et me rasseoir, opprimé d'une violente esmotion d'esprit. La forme, car la tisseure de ses propositions ainsi courtes et serrées, a presté à mon ame un object pour y apporter ses vagues imaginations, et la resolution finale m'a singulierement, voire, et entierement consolé. Le temps, car l'impatience de l'attente, armée des esperons de mon desir, et les agitations de mes pensées donnoient d'estranges entorses et convulsions à mon indetermination. En fin, quand je voy que la charité, dont l'ordre est le desordre, vous a fait postposer l'indisposition de vostre corps à celle de mon cœur pour me tracer des douceurs dans le plus espais de vos douleurs, meslant la myrrhe avec les aromates, comme l'Espouse sacrée et sucrée, je ne peux dire autre chose, sinon que: Si je ne vous puis respondre par paroles, face le Ciel que je vous puisse au moins correspondre d'affection!

            Je croy qu'il y a des esprits secrets dans les caracteres qui partent de vous, tant ils sont flexanimes, et que d'en haut decoulent des influences particulieres sur vos persuasions, comme si la Deesse Python avoit estably son throsne sur vos levres jamais livre ne me toucha le cœur comme le vostre, jamais lettres ne me contournarent (sic) [389] à leur gré comme celles qui me viennent de vous. Ne vous ennuiez pas de m'escrire, car je ne pense pas, emmy toutes les bonnes œuvres dont vous embaumez et le ciel et la terre, que vous en puissiez faire aucune plus signalée que celle de me conseiller, consoler et consolider. Vous pouvez sur moy tout ce que vous voulez; vostre jugement a un tel ascendant sur le mien et vostre volonté regente si absolument la mienne, que je rumine vos paroles comme des oracles; je remasche vos escrits comme des fueilles Sibyllines, sur quoy je ne peux faire de gloses qui ne me satisfacent, pourveu qu'elles soient conformes à ces textes. Ne dittes point que je vous en conte, je dis la verité de mon sentiment: Oratio mea tantum abest à mendacio quantum à necessitate.

            Ce seroit vous assommer, apres ceste maladie, de vous sommer de vostre promesse; mais quoy? le changement d'air pourroit-il point ravigorer? Le pelerinage, comme le jeusne, confere souvent à la santé comme a la saincteté. Quid non speremus amantes? Soyez mon bon Seigneur et mon Apollon tant que vous voudrez, si me debvez-vous une veüe; l'amour se paye par l'amour, la visite par une autre. Et pourquoy n'attendray-je de vous en esté ce que je vous ay rendu emmy les rigueurs de l'hyver? Il est vray que j'allois apprendre de vous et vous rendre quelque eschantillon de mon devoir.

            Quittons ces ceremonies: Amor æquat amantes; amor æquales aut invenit, aut facit. Le Pape nous appelle bien ses freres, quoy que petits cadets de ce grand aisné. Pensez y. O! Si nil rescribens, celer ipse venires? Quelle grace que je n'ose penser, de peur d'inquieter mon esprit par la flatterie de ceste esperance. Venez seulement quand et comment il vous plaira; mon cœur est de si longue main preparé à cherir le vostre, que si le premier mouvement que les Stoïques pardonnent à leur inflexible sagesse donne quelque esmotion au sens par la surabondance de la joye, la partie superieure, partie de l'ame, n'en sentira aucune nouvelle impression. Vous ne prendrez jamais au despourveu un cœur si gros d'amitié pour vous, quil fera tousjours à vos pieds litiere de soy mesme.

            Cependant, si vous estiez en peine de la constitution de mon esprit apres ce deluge d'eaux angoisseuses qui l'ont comme vous sçavez, traversé et presque ensevely dans leur bourbe, je ne vous diray sinon: Hyems abiit, imber transiit et recessit, flores apparuerunt in terra nostra, tempus putationis advenit. Il ne pleut pas tousjours, tousjours le ciel n'est couvert de nuages;

                                     «Non semper imbres nubibus hispidos,

                                   Manant in agros.»

Multae tribulationes justorum, sed de omnibus bis liberabit eos Dominus. [390]

            Dieu est fidelle, et il envoye la robe selon l'hyver, le vent selon le (sic) voile, l'adversité selon la patience et la tentation selon la force. Il nous essaye comme l'or par la coupelle, comme le soldat par les combats, comme le pilotte par les tempestes; il est avec nous en la tribulation, et nous tient, comme la nourrice l'enfant trotinant, par les longes, prest de nous relever de nos tresbuchemens.

            Il soit loué et beny à jamais. Amen.

             [Fin août 1613.]

 

 

 

E. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie

 

                        Monsieur de Geneve,

            L'entreprise que ces bonnes Dames font de vivre en si grande perfection dans nos Estats Nous plait beaucoup, ayant des grandes esperances du fruit de leurs prieres. L'Infante Duchesse de Mantoüe, ma fille, est toute joyeuse de se voir choisie pour estre protectrice d'une si vertueuse compagnie et saincte assamblee, le service de laquelle Nous aurons a cœur d'un soin tout extraordinaire, excité par l'amour particulier que Nous avons a vostre personne, et par la vertu que l'on Nous raporte reluire en ces bonnes Dames, pour l'edification de la province. Faictes qu'elles prient Dieu pour Nous; Nous nous y attandons, comme aussi d'avoir part tous les jours en vos oraisons.

            Sur ce, Nous prions Dieu vous avoir en sa saincte garde et benir toutes vos sainctes entreprises pour le service de sa Majesté.

                                                                                  C. EMANUEL, DUC de Savoye.

            A Thurin, 22 decembre 1613.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastere

de la Visitation d'Annecy. [391]

 

 

 

F. Lettre du Cardinal Caffarelli-Borghese, Secrétaire d'Etat

 

            Per instanza fatta a Nostro Signore da i Monaci riformati di S. Benedetto di Savoia, si contenta Sua Santità che V. S. sopraseda di procedere nella causa che verte tra loro et quei della Congregatione di Fogliens per occasione di alcune Bolle, fin tanto che la Santità Sua resti ben informata da Monsignor Nuntio di Savoia di quel che passa in questa materia. Che tanto mi ha imposto di scriverle da sua parte.

            Et il Signore Dio la contenti.

            Di Roma, li 28 di Dicembre 1613.

                                                                                  Al Vescovo di Genevra.

 

Revu sur une copie conservée à Rome, Biblioteca Angelica,

Ms. 1225, vol. XI, fol. 41.

 

 

 

G. Lettre de Mathias, Empereur d'Allemagne

 

                         Reverend, cher et devost Prince,

            Encor que sellon le debvoir que Nous avons d'avoir soing aus affaires importants de nostre Empire, Nous avions assigné l'assemblee generale dans nostre ville Imperiale, a Ratisbonne, par une Nostre dernieredu 22e octobre de l'annee dernierement escheüe 1613, au premier may de l'annee presente 1614, affin de deliberer et resouldre sur les points contenus en noz propositions faictes pour la derniere diette: Nous avons veu, et avec un extreme regret, cogneu et sceu par des advis tres asseurés, que l'ennemys (sic) immortel de toutte la Chrestienneté, tous les jours s'en va d'aultant plus avançant et empietant sur les pais voysins de la province de Sibebourg (sic?), laquelle il a soubjugué et reduict en sa puissance avec tout ce qui en despandoit; de sorte que, non content d'avoir, avec un tres grand dommage et cruelle guerre, surmonté ces dictz pais, mais, au tres grand prejudice de la Christienneté, commis plusieurs conflictz tres cruelz et sanglantz et desquelz a present il ne veult desister; car Nous sommes tres asseuré que, pour ce printemps, il se prepare pour attaquer avec touttes ses forces nostre royaume d'Ungrie et les pais Christiens qui luy sont voysins. Et est facile a chequ'un de voir en quel grand danger et doubte doibvent estre lesdictz Estatz voysins, comme aussy noz royaumes frontiers, et par consequent tout le Sainct [393] Empire romain, sy Nous ne taschons de repoulser et empecher ce tyran en la defence de ces dictz pais, contre lesquels il va de plus [en plus] accroisant sa mauvaise volunté pour avancer la ruine, qu'il desire, du Christianisme; et semble avoir desja rencontré et empoigné les commodités pour executer sa tyrannique volunté et cruelz desseins.

            De sorte que, voyantz que lesdictz pais sont en tres grand danger et que silz ne sont secourus ilz ne peuvent eviter leur ruine: a ces fins, a esté continuee et assignee l'assemblee desdictz Estatz en ladicte ville de Ratisbonne, pour le premier de febvrier de l'annee prochaine 1615. De quoy Nous vous avons donné advis, comme aussy a tous les Princes Electeurs et Estatz de l'Empire, avec desir de vous convier de Nostre Imperiale autorité, de vous treuver audict jour, 1. febvrier, en ladicte ville, en personne propre, puisque sans l'assemblee desdictz Princes Electeurs, aultres Princes et Estatz de l'Empire, ne se peult resouldre ce qui touche et le repos commun et le bien public de tout l'Empire; oultre que l'absence de plusieurs de noz Electeurs et Princes en la derniere diette, empecha les effaictz que l'on attendoit d'icelle, au grand prejudice de tout l'Empire. Ou bien, estant V. R. empechee par l'indisposition de sa personne (que Dieu ne permette) ou par quelque (sic) aultres importantz affaires, de se treuver en personne, que ce soit par procureur, avec ample instruction et charge, affin que les communs affaires dudict royaume se puissent resouldre, et les malheurs desquelz il est menassé, empecher par l'asistance des Princes Electeurs et autres Princes et Estatz et par la vostre. Et particulierement, se puissent terminer les propositions avancees pour la derniere diette, et que vostre assistance serve a là resulution de ce qui a esté avancé et proposé contre ce cruel ennemy des Chrestiens, le Turc, et pour les necessités de la conservation des forteresses voysines d'icelluy, que sont les defences de tous les pais Christiens; et que le secour accordé pour trente moys ait lieu par tout l'Empire, et que l'on se puisse accorder pour la levee de quelque bonne armee, affin de l'emploier pour repoulser ledict ennemy des Chrestiens et aneantir ses forces qu'il va tous les jours accroisant. Sur ce, de Nostre Imperiale autorité et bienveuillance, et expressement, vous avons voulu de rechef exhorter a vous treuver a ladicte assemblee, avec les Princes Electeurs, aultres Princes et Estatz dudict Empire, audict jour, premier de febvrier de ladicte annee 1615.

            Or, puis que pour la conservation de la religion et paix de l'Empire, il est necessaire qu'ilz soient faictz des edictz, loix et ordonnances qui seront inviolablement gardees et observees sellon leur portee, affin que par ce moyen touttes les menees, factions, forces [394] et inquietudes qui se font en icelluy puissent estre empechees et aneanties, et a ces fins vous avons, il y a desja quelque temps, mis le tout en avant; comme aussy plusieurs aultres incommodités, qui desja vous furent proposees a la derniere diette et qui se vont tout le (sic) jours de plus accroissantz et augmentantz, Nous offrantz Nous mesme pour touttes les dictes necessités Nous emploier en tout et par tout sellon ce qui sera trouvé expedient et resoulu par tous lesdictz Princes et Estatz en ladicte assemblee. Et ne doubtons aucunement que vostre volunté, et de tous lesdictz Princes et Estatz, ne soit tousjours telle, que vous vous porterez tousjours avec une vraie affection pour le contenu ausdictes propositions, et serez tousjours zelé a l'avancement du bien de l'Empire, non seulement en ladicte assemblee, mais encor ou vostre assistance sera necessaire; protestantz, au deffault de ce que la ou lesdictz Estatz et assemblee ne se resouldront a quelque chose de bien, pour la tuition, deffense et soulas de la Christienneté, que ce ne sera a nostre coulpe, ains, comme Nous avons tousjours tesmoigné par tout, nostre syncerité et affection se rendra de plus en plus prompte, comme desja des nostre election Nous vous avons faict paroir en ce que Nous nous sommes portés en ce qui a esté du bien et repos de tout nostre dict Empire, et n'y avons espargné aucun hazard, mesme de nostre vie, comme Nous ne ferons encor par cy appres.

            Nous recommandant sur ce a vostre bonne devotion, Nous offrantz de continuer a vostre endroict Nostre benigne affection.

            Donné a nostre chasteau de Lyntz, le 18e mars 1614, la 2e annee de nostre Empire, la sixiesme de nostre coronnement en Ungrie et la y de nostre coronnement au royaume de Boeme.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation d'Annecy.

 

H. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie

 

                        Tres Reverend, tres cher, bien amé, feal Conseiller et devot Orateur,

            N'ayant rien plus à cœur que le bien de Noz subjectz, et mesmement de la jeunesse d'iceux, Nous avons estimé devoir remettre [395] le soin du College d'Annessi aux Reverendz Peres Bernabites, les bonnes qualitez desquelz Nous promettent d'en veoir le fruict et commodité que Nous avons tousjours desiré à nosdictz subjectz et à la ville mesme. A cette occasion, Nous escrivons aux Administrateurs dudict College et aux Scindics pour la remission d'icelluy entre les mains desdictz Peres.

            Et d'aultant que la perfection de ce bon œuvre Nous est fort à cœur, Nous avons estimé de l'appuyer à vostre pieté et zele que vous avez toujours monstré à l'avancement de la vertu, ennemye de l'oysiveté, en laquelle bien souvent la jeunesse se pert. Et pour ce, vous Nous ferez plaisir bien agreable d'embrasser à Nostre nom l'execution de cette Nostre voulonté et l'establissement desdictz Peres dans ledict College, facilitant touttes les difficultez que l'on y pourroit trouver, afin que Nous puissions recevoir ce contentement sans contredit ne replique.

            Et Nous promettant que vous l'aurez en recommandation, prions Dieu vous avoir en sa saincte garde.

            De Thurin, ce 25 juin 1614.

                                                                                                          Le Duc de Savoye,

                                                                                                          C. EMANUEL.

                        CARRON.

            A tres Reverend, nostre tres cher, bien amé

                                   et feal Conser et devot Orateur,

                                                           L'Evesque de Geneve.

 

Revu sur l'original inédit, conservé aux Archives communales d'Annecy,

Série GG, Fonds du Collège Chappuisien.

 

 

 

I. Lettre du Prince Cardinal Maurice de Savoie

 

                        Illustre et molto Reverendo Signor,

            Io ho sentito particolar contento che da cotesta Università se sia [396] procurato d'introdurre i Padri Bernabiti, perchè sono Religiosi di tal essemplarità et dottrina che meritano d'esser desiderati in ogni parte.

            Venendosene a quest'effetto alcuni di loro, ho voluto appoggiarli all'autorità di Vostra Signoria, per essere conveniente che faccino a lei capo in materia simile. Onde havrò caro ch' Ella, per mio rispetto particolarmente, gli favorisca così nell' avviamento come nel progresso dell' opera, poiché Ella havrà edificatione dei loro instituti et portamenti, et coteste sue anime cibo quotidiano di spirito et di ogni salutifero ammaestramento; oltre che l'attione per sè stessa le riserva lode et merito dove è sempre certa la mercede.

            Et me le offero all' incontro con tutto l'animo.

                        Di Vostra Signoria,

                                                                                                          Come fratello,

                                                                                              Il CARDINALE DI SAVOIA.

            Di Turino, à 25 di Giugnio 1614.

                        All' Illustre et molto Revde Sigre,

                                   Monsr il Vescovo di Geneva.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Contrat du 5 juillet 1614,

Archives communales d'Annecy, Sèrie GG, Fonds du Collège Chappuisien.

 

 

 

J. Lettre du Cardinal Caffarelli-Borghese, Secrètaire d'Etat

 

            È ricorso da Nostro Signore, con l'alligato memoriale, il Generale della Congregatione di Fogliens, con far instanza che V. S. proceda avanti nell' essecutione delle Bolle di Sua Beatitudine sopra la concessione fatta a essi Padri del Monasterio et mensa monacale del Priorato della Madonna di Talloira, non ostante l'appellatione interposta per parte dell'Abbate commendatario della Badia di [397] Savigni in Lione di Francia et monaci di detto Priorato. Sopra di che ha risoluto Sua Beatitudine che si scriva a V. S. che non ostante l'ordine di supersessoria già dato, Ella proceda in questa causa per termini di giustitia, conforme alle Lettere Apostoliche presentateli.

            Et Dio nostro Signore la prosperi.

            Di Roma, li 22 d'Agosto 1614.

 

Revu sur une copie conservée à Rome, Biblioteca Angelica,

Ms. 1225, vol. XI, fol. 234.

 

K. Lettre de Dom Bruno d'Affringues, Général des Chartreux

 

                        Monseigneur,

            Apres avoir baisé les sacrees mains de Vostre sainte et Illustrissime Seigneurie, je ne puis m'empecher de vous dire que, passant par Lion, tout foible que je suis, j'ay, comme un autre Samson, gousté, odoré et loué la suavité, douceur et pieté du mesnage et du miel de vos cheres abeilles, qui ont jetté leur premier essaim dans cette fameuse ville, ou elles sont en tres grande et rare estime. J'en loüe Dieu, Monseigneur, et le benis de ce quil a fait, par vous et la tres digne Baronne de Chantal, une œuvre si sainte et digne de la main, de la peine, du travail des Saints; car tels ouvrages ne se peuvent jetter au moule que par des ames singulierement esleües. Le progres fera voir de plus en plus que la douceur de la Providence de Dieu sur plusieurs ames se manifeste en nos jours.

            Perseverez, Monseigneur, a faire tel present a nostre France, et pleust a Dieu que nostre Grenoble possedast desja un couvent de [398] vos cheres Filles, comme une relique de vostre esprit que l'on voit beaucoup reluire en elles. Je le demanderay a Dieu, pour le bonheur de cette ville, avec la mesme passion que je suis

                                                                                  Vostre tres indigne et obeissant serviteur,

                                                                                                          FRERE BRUNO,

                                                                                                          General des Chartreux.

            De la Grande Chartreuse, ce 14 aoust 1615.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère

de la Visitation d'Annecy.

 

 

 

L. Lettre du Père Etienne Binet de la Compagnie de Jésus

 

                        Monseigneur,

            Il n'y a remede, si faut il que je fasse un peché veniel, vous allant distraire de vos grandes occupations pour lire mes esgratigneures, vous, dis-je, que je vois occupé, et non empressé, a cultiver vostre petit paradis terrestre.

            Je loüe Dieu d'un cœur joyeux que vous ayes transplanté la racine et des branches en nostre France, ou elles rendent desja une odeur de pieté et de devotion qui restaurera la devotion et ralumera le feu du saint amour en plusieurs cœurs de glace. Le Reverend Pere Maillan qui, comme vous savez, est a Lion, m'escrit qu'il trouve en madame de Chantal tout ce que l'on loüe es saintes vefves qui l'on devancee, et quil luy semble, quand il luy va parler, qu'il va dans l'oratoire de la devote et genereuse Judith, tellement tout y respire le Ciel et l'esprit d'oraison. 11 apartient a vostre digne main d'avoir mis dans cette sainte Congregation une si profonde loi d'humilité, que jamais aucune n'aye la hardiesse de lever ses yeux [399] pour manger le fruit defendu de la desobeissance. Ainsi en fay-je priere a Dieu, et me semble que je vois tout le Ciel rire de contantement, et tout l'enfer fremir de rage contre cette nouvelle façon de suivre Jesus Christ, ou tant de bonnes ames trouveront le chemin du beau Paradis.

            Si j'estois utile en quelque chose a leur service, voila ma chetifve personne que j'offre a Vostre Seigneurie, avec protestation que je suis

                                                                                              Vostre tres obeissant serviteur,

                                                                                              ESTIENNE BINET, Jesuite.

             [1615]

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère

de la Visitation d'Annecy. [400]

 

 

 

II. Lettres de princes et autres personnages a differents destinataires

 

A. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie, aux Religieuses de la Visitation d'Annecy. Le Duc de Savoie.

 

                        Reverendes, cheres, bien amees et devotes Oratrices,

            Nous avons heu fort agreable l'election que vous aves faicte de l'Infante Duchesse de Mantoue, ma fillie, pour vostre mere et protectrice; et louantz vostre pieté, charité et devotion, Nous avons esté tres ayse qu'ayes erigee vostre Congregation a l'imitation de celles que sainct Charles a institué a Milan. Aussy vous avons Nous voulu asseurer par ceste, de vous vouloir avoir en particuliere protection, et vous ayder, favoriser et assister en tout ce quil sera necessaire pour l'effect d'un si bon œuvre, comme Nous escrivons aussi de le fere au Marquis de Lans, mon neveu, et a nostre Senat de Savoie, auquel vous pourres recourir pour touttes sortes d'occasions. La Contesse de Tournon a charge de l'Infante d'assister a son nom a la solennité que vous feras, et de l'advertir de ce qu'elle pourra fere pour vous.

            Priantz, sur ce, Dieu vous avoir en sa sàincte garde.

            A Turin, ce 22 decembre 1613.

                                                                                                          C. EMANUEL.

            BOURSIER.

            Aux Daines de la Congregation de Nissi.

                                   Aux Reverendes, cheres, bien amé (sic) et feales Oratrices,

                                                                                  Les Religieuses d'Annessi.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy. [401]

 

 

 

B. Lettre de l'infante Marguerite de Savoie, Duchesse de Mantoue, a la Mère de Chantal

 

                        Tres chere et devote Oratrice,

            La resolution que vous aves prise de servir avec tant de zelle a Dieu et au prochain Nous a esté tres aggreable, et Nous ne pouvions recevoir davantage de contentement que de l'election que vous aves faicte en Nous, pour estre mere et protectrice de vostre devote compagnie; ce que Nous avons accepté tres volontier, pour avoir part a une sy bonne œuvre. Aussy avons Nous faict que Son Altesse, mon Seigneur et pere, vous aye bien particulierement recommandee au Marquis de Lans et au Senat, auquel vous pourés recourir pour toute sorte d'occasion, comme aussy a Nous, qui ne manquerons de vous favoriser et assister de tout nostre pouvoir, comme la Contesse de Tornon vous dira a bouche, a laquelle Nous avons donné charge d'estre presante en nostre nom a la solannité que vous feres.

            Il me reste donq a vous dire que, comme tous les fleaux que nous souffrons viennent du courroux que, justement, Nostre Seigneur conçoit contre nos pechés, ce quil ne se peut mieux apaiser que par les devotes oraisons des ames religieuses, Nous avons jugé que les vostres seraient tres a propos pour faire souvenir la divine Majesté de sa misericorde et regarder de son œil de pitié nos aflictions publiques. Voila pourquoy je vous conjure de prier sans intermission, afin que bientost nous puissions voir quelque bout de tant de calamités; ce que Nous asseurant que vous ferés volontier, je vous recommande de prier en particulier pour moy, qui vous cheris bien fort.

            De Thurin, 22 decembre 1613.

                                                                                                          MARGARITA.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère

de la Visitation d'Annecy. [402]

 

C. Lettre de M. Philippe de Quoex a son frère Claude

 

De Rome, 18 janvier 1614.

 

JESUS † MARIA

 

                        Monsieur mon Frere,

            Advant hier, a deux heures de nuict, M. Gojon m'envoya quantité de lettres, desquelles il paia un florin de port. Vray est que le pacquet que ne luy voulutes addresser, M. Trabichet le luy addressa, auquel estoient touttes ces lettres du bon Pere Diego; j'ay donc receu trois des vostres tout a coup, du 21, 22 et 29 decembre, ensemble la procure et lettres pour l'Ambassadeur et M. d'Albon, auxquelles je vous respondray tant amplement que le loisir le me permettra. Je vous ay tous-jours accusé touttes celles que j'ay receu.

            Il y a aujourd'huy trois sepmaines que j'obtin la supersessoire, et vous donnay advis par diverses voyes comme je l'avois envoyé à Monseigneur par voye du Nonce; j'ay grandissime envie d'entendre la reception. Quand a ce que vous me dites que je debvois faire que les Cardinaux escrivissent que le Nonce commit des non suspectz pro informatione, cela ne se pou voit, puisqu'alhors il ne [403] se parloit que de la volonté de Son Altesse, pour laquelle sçavoir et procurer nous estre favorable, j'obtins lesdites lettres au Sieur Nonce.

            Je loüe infiniment Nostre Seigneur de vostre bonne et tous-jours meilleure convalescence, vous asseurant que quotidie in sanctissimo Missae Sacrificio je la recommande, ensemble tout ce qui depend de vous, a la misericorde et bonté divine.

            Quand aux lettres que le bon Pere Diego escrit au Pere Ignace, elles ne me peuvent a present guieres servir, ny autres, puisque, comme je vous ay desja escrit, que le Dataire m'a faict dire ch'io faccia citare la parte, etc.; mais je n'y ay encour rien faict, car j'estoys conseillé de ne rien bouger sans les lettres de Savigny. Et maintenant, pour commencer, je suis fort en peine, car il est du tout impossible de ce faire sans une grande despense, car il faut faire escrire in jure et facto, et païer, etc., comme vous sçavez; car ce sieur d'Albon est fort prattique, et peut, mais il est si attaché au gain, qu'il ne veut travailler sans estre paié. Il m'a bien dict que pour ce qui est de faire des services de sa personne, qu'il le fera; mais c'est tout froidement, car il croioit que cecy seroit une cause ou il y auroit a gaigner. Et quand je luy ay remonstré la pauvreté, il m'a dict que si je voulois d'argent pour fonser et despendre (dépenser) comme il faut, il le me presteroit tant et si grande somme que je voudrois, pourveu que je m'obligea moy seul, en bonne forme de Chambre, pour me pouvoir faire excommunier au defaut du paiement. Je luy ay dict que je me contentois d'y mettre mes peines, sueurs et fatigues, mais qu'outre que je n'avois le moien de ce faire, quand je l'aurois, je ne me voudrois soubzmettre a tel danger.

            Je tascheray de faire escrire quelqu'un pour Dieu; et encour, si M. Gojon me donnera argent, je fourniray quelque chose, mais tout bellement; car ce bon sieur voudroit tirer la cause au long et y voir moien de gaigner. Il est marry de ce que M. de Savigny ne faict point d'estat de luy si non quand il en a besoin; et quand a ces memoires que je vous manday de sa part, avec le reste de ses louanges, rogatus rogabam. Il fera quelques diligences et tout ce qu'il pourra, pourveu qu'il ne faille ny debourser ny escrire, car il m'avoit des-ja promis de faire le...; mais il s'est excusé, voiant la pauvreté. Si vous estes content, et ces Messieurs, qu'on despende, et qu'on ne laisse, a faute d'argent, de solliciter et plaider, escrivé le moy, et ordre a M. Gojon de fournir; car il a receu ordre de me bailler jusques a la somme de 60 florins, et il ne faudra pas [404] beaucoup que la somme sera des-ja achevee, car il ne touche pas terre, comme vous sçaves. L'apprehension que j'ay que, puis appres, on ne pourra paier et rembourser, me faict aller si retenu a despendre; car si vous m'asseuriés qu'ilz auront de quoy a la fin du jeu, je ne serois si ciche a despendre.

            J'ay empronté de Nombride dix ducattons en piece, desquelz je me suis cedulé; je vous prie que, s'il mande la cedule, qu'on les paie a qui la portera. Escrives moy donc tout court que je despende ce qui sera necessaire au proces et sollicitations, ou vraiement que il ne se peut; car vous sçaves que je vins avec ferme croiance de tous nous autres de faire merveilles avec mes attestations, et non poinct pour plaider. Item, si vous estes d'advis que mettions la cause en Rote, car le Procureur de Sainct Paul dict que l'y ayant mise, que j'obtiendroys sans delay mandatum de manutenendo, et qu'avec cela je m'en pourrois aller, et que luy auroit le soing de defendre la cause et que, possible, les Peres Feullantz ce voiant, quitteroient.

            M. de Savigny a faict bonne procure, mais il n'y a pas mis tout ce qui est necessaire, car il nous commet en façon que l'un ne peut rien sans l'autre, et quod unus cœperit, alter prosequi poterit; et ny est pas aussy la... substitutionem. J'avois demandé qu'on la fit au Procureur general de Sainct Paul et au Dom Constantino, car c'estoit le mieux; car ce Procureur est un grand personnage qui, en brief, sera faict Abbé, et, a ce que j'ay conneu, il n'a pas gousté de se voir a la queue de deux autres Procureurs. Touttesfois, il n'a laissé pour cela de me promettre, hier mattin, que demain il s'en iroit expres treuver le Procureur general des Feuillantz, et luy mostrer la copie de la procure que j'ay transcrit en italien, et luy dire tantum que s'il ne desiste de telle sollicitation (puisque il est prié de M. de Savigny et constitué Procureur), qu'il prendra la chose en main a bon escient. Je verray et sçauray quelle responce il rapportera.

            Vous ferés fort bien, si quelqu'un va a Lyon (car il ne faut mander expres), d'escrire a M. l'Abbé qu'il fit un' autre procure, seulement au Procureur general de la Congregation Montis, etc., [405] sans y mettre son nom, quoy que je l'aye envoyé; car, comme cestuy en sera Abbé, la procure servira pour son successeur et au Pere Dom Constantino Gaietano, decano di essa Congregatione et continuo commensale di Sua Santità; et ce attendant, je ne lairray, avec celle que nous avons, de travailler tout ce qui se pourra. De mesme, que ledict sieur Abbé fit un mot de remerciementz auxdicts Peres, de tant de peine qu'ils ont desja prins a defendre son droit, et de mesme nous (sic) Reformés fissent une belle lettre en latin, tant humble qu'ilz pourront; car cela les encouragera au double de m'assister.

            Aujourd'huy, M. d'Albon et moy sommes allé parler au sieur Ambassadeur et presenter la lettre du sieur de Savigny; il l'a leu fort attentivement, et puis a dict qu'il ne se voudroit point embarquer en cet affaire sans estre asseuré d'en pouvoir rapporter l'honneur et la victoire, car, dit il, «Si ces Feulliantz sont portés du Duc, il y aura bien que faire; que si Leurs Majestés m'en escrivoient un mot, alhors nous ferions prou.» Ce nonobstant: «Allés vous en (a il commandé audict sieur d'Albon, me presente) aux Feulliantz et parlés au Procureur general, luy disant que je vous envoye expres vers luy pour [voir], par ce que Leurs Majestés et l'Abbé de Savigny m'ont escrit touchant un certain Prieuré, et qu'il nous dit ses raisons pourquoy; et outre ce, qu'il me vienne parler.» Ledict sieur d'Albon y vouloit aller sur le champ, a condition que je l'accompagnerais; je me suis excusé, et dict que pour avoir donné la lettre et informé une fois ledict sieur Ambassadeur, que je me contentois; mais que pour y retourner a solliciter et courtiser, ce sera tant furtive et rarement que je pourray, par raisons, etc.; tellement, qu'il a remis a demain mattin d'aller faire son ambassade. Dieu vueille qu'elle profite!

            Il faut encour escrire audict sieur de Savigny qu'il fasse escrire en sa faveur par le Roy audict Ambassadeur. Au reste, en un mot qui en vaut mille: Si Son Altesse parlera en faveur des Feulliantz a Sa Saincteté et priera pour eux, il en sera faict sans autres formalités; sinon qu'en ce cas ledict sieur de Savigny voulut mettre la main a la bourse, et disputer icy la cause a bon escient. Quant a la surprinse de laquelle vous me donnés advis, il ne faut doubter qu'il (sic) procureront de se justifier, voyant que par tant de memoriaux je les [406] ay accusé d'avoir mal supplié; mais je ne pense pas pour cela que l'on n'entende et voye mes attestations quand serons en lice. Je n'y peux faire autre que de informer le Dataire, ce qui va a la longue, pour les grandes occupations ou [il] est. D'en parler au Pape, cela seroit du tout superflu, puisque quand je luy parlay tout premier [avec] le Cardinal Bellarinin, nous l'informames de tout. De luy dire: En cas que Son Altesse vueille, etc.; que deviendront, etc.? Cela est tout clair que ceux qui sont reformés ne seront jamais chassés, mais seulement les autres, ains seroient ad vitam dans leur monastere, au moins s'ilz y vouloient demeurer; mais M. le Prieur n'a point du tout de volonté d'y demeurer. Quand Dieu permettroit tout cela, sa saincte volonté soit accomplie!

            Je ne sçaurois mieux montrer la grande affection que j'ay a defendre et maintenir cette saincte reforme, que d'avoir entreprins si long voiages et des si grandes peines et sueurs que j'ay supporté et supporteray courageusement et allegrement pour l'amour de. Dieu et de ce grand Pere des moines, sainct Benoit; mais avec tout cela, je suis tout preparé de recevoir avec toutte sorte d'actions de graces, de patience et mortification, tout sinistre evenement qui pourroit arriver, puis que c'est chose asseuré que Dieu permet tout pour le mieux. Si vous jugés que je perde courage, par la presente, vous le jugerés mieux par un'autre ou je vous parle plus sec, quand j'ay veu ne sçavoir ou donner de la teste au commandement du Dataire. Mais ce n'est point pour cela que je perde courage; mais il est impossible que je ne resente grand'affliction en mon esprit en semblables occurrences. Dieu soit loüé! Soyés certain que mon courage durera autant que ma vie; autant puisse durer l'argent!

            Il faut vous repeter le mot principal, affin que, tant vous qu'autres a qui il appartient, vous prepariés comme moy: si Son Altesse faict sçavoir a Sa Saincteté sa volonté en faveur des Feulliantz, il ny aura autre remede que celuy que je vous ay desja allegué.

            Je n'ay encour la responce de Mme des Gouffiers, et si non qu'a la requeste et remonstrance que Monseigneur le Reverendissime en fera a la Congregatione di Vescovi, comme je luy ay escrit que j'estois d'advys, per ultimo rimedio, croyés qu'il (sic) n'en feront rien, tres marry que j'en suis.

            La responce au memorial que j'ay donné pour M. de Sirvinges est: Unusquisque maneat in sua vocatione, car, si e buon Religioso, [407] procuri di corregere et ammaestrare li altri; si è discolo, peggio sarà essendo fuori del monasterio.

            M. de Chastel escrit a M. Gojon qu'il m'escrit, mais je n'ay point receu de ses lettres. [Je] luy escrit; vous la verrés et [baillerés]. Ne procurés pas, s'il vous plaict, qu'il me donne des commissions qui me puissent empescher en l'affaire principal, qui requiert totum bominem. J'ay prié M. Gojon de promptement faire la supplique de Cornier et la solliciter, mais, comme vous sçaves: qui n'aura de quoy expedier les Bulles, je ne le conseille d'envoyer a Rome, car touttes les supplications de nostre pays sont accrochees pour les Bulles.

            M. Gojon m'a faict voir la vostre cum rubore, car il semble que vous luy parlés un peu hault; mais vous avés bien faict, affin que, maintenant qu'il a ordre, qu'il ne fasse tant me promener. Cet (sic) du tout un bon personnage et qui nous est du tout amy; vere Israelita in quo dolus non est. Il m'a desja mandé, outre un disné qu'il me donna la vigile saincte Catherine, deux fois de son vin.

            Collomb partit le 8 du present, tout seul, avec six ducattons que je luy rendis, qu'il m'avoit presté par…………………………………………. il luy faschoit fort, et a moy aussy, car l'abondance de ses larmes m'inviterent a pleurer aussy tendrement comme j'eusse fait pour mon propre frere. Mais, patience; il faut faire de necessité vertu, et ce que l'on peut, et non ce qu'on veut. Dieu soit loüé! Je luy ay donné grand nombre de lettres; et dempuis son despart, le tems a tous-jours esté tres-beau et serain, et l'est tous-jours, Dieu mercy. Je prie Nostre Seigneur l'accompagner. Il a acquis prou de devotion pour toutte sa vie, s'il la sçait conserver: Dieu luy en fasse la grace.

            J'ay executé vostre intention devant que la sçavoir. Je suis tous-jours en la mesme chambre, devant l'eglise neufve, et n'en bougeray jusques a mon despart, lequel sera au tems et jour precisement que me manderés. Pour moy, je voudrois que ce fut desja demain, tant je m'ennuy, non pour autre que pour voir si grandz frais et si peu de moiens de les paier; sçaches moy donc, je vous prie tres-humblement, a dire et commander quand il faudra caparrare cavallo.

            M. Gojon m'a dict qu'il avoit escrit et esclarcy M. Chastel des 50 florins. J'ay aujourd'huy salué Monsignor Hortentio de Rossi, jadis nostre Procureur, et adesso Commissario della Cancelleria; il m'a demandé fort courtoisement de vostre estre, etc. Je vous ay escrit amplement de vostre faict. De François Pessard(?), j'attendz [408] responce en finissant ceste, laquelle servira pour tous messieurs mes freres, seurs, parentz et amys, auxquelz, appres vous, je baise tres-humblement les mains, et demeure a [jamais] de tout mon cœur,

            Monsieur et Frere,

                        Vostre tres humble, tres obeissant, tres obligé et tres affectionné

                                                                       frere et serviteur, comme filz,

                                                                       PHILIPPE DE QUOEX.

            De Rome, le 18 janvier 1614.

            J'ay escrit et respondu a M. de Savigny par voye de Lyon, et luy di (sic) qu'il obtienne lettre du Roy, [et] qu'il m'envoye procuration ad cautelam pour les Peres Sti Pauli, etc.

 

Revu sur l'autographe inédit, communiqué en 1901 par M. Mugnier, président de Chambre honoraire à la Cour d'appel de Chambéry.

 

D. Lettres patentes de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie, au Souverain Sénat. Le Duc de Savoye.

 

                        Tres chers, bien amez et feaux Conseillers,

            L'Infante Duchesse de Mantoue, ma fille, ayant prins en particuliere protection la Congregation de celle devote compaignie de Dames, nouvellement erigee a Nissy a imitation de celles que saint Carlo a establies a Millan, assavoir de vefves et de filles vierges, pour vivre ensemble en perpetuelle chasteté, soubz l'hobeissance d'une Superieure; les jeunes sans sortir jamais, comme es autres Monasteres les plus reformez, et les autres pour secourir les pauvres malades de ce lieu la, ou il ny a qu'un pauvre hospital lequel n'a le moien d'exercer la charité qui seroit necessaire ausditz mallades; sans qu'elles praetendent vivre d'aulmosne, ny d'accroistre jamais leur revenu de plus de mil cinq centz escus d'or l'annee, qu'elles esperent d'avoir ou par voye de rente constituee, ou en aultre [409] façon, sans agraver noz subjectz sur le faict des tailles, et se contentantz de recepvoir les vefves qui sont sans incommodité d'enfans, et les filles qui vouldront entrer en celle Congregation, moyennant seulement une pension annuelle leur vie durant: ce que Nous a esté fort aggreable, pour l'honneur et gloire qu'en doibt resulter a sa divine Majesté et pour le bien et fruict qu'en recevront nos bien amez subjectz. Et partant, vous avons voulu dire par ceste, qu'ayez a les aider, favoriser et assister en tout ce que vous sera possible pour l'effaict que dessus.

            Et sur ce, prions Dieu vous avoir en sa saincte garde.

            De Thurin, le 17e may 1614.

                                                                                                          C. EMANUEL.

            BOURSIER.

 

Revu sur une copie authentique et inédite de l'époque,

conservée à la Visitation d'Annecy.

 

E. Lettre Du Même Aux Nobles Syndics d'Annecy. Le Duc de Savoye.

 

                        Chers, bien améz et feaulx,

            Il y a long temps que Nous avons desiré de redresser vostre College, tant pour l'avancement de la jeunesse, que pour l'ornement et commodité que la ville d'Annessy en particulier en doibt recevoir. Et ayant faict reflexion sur les bonnes qualités des Reverends Peres Bernabites, despuis que Nous les avons placés en ceste ville de Thurin, les trouvantz tres capables d'apporter a ladicte ville d'Annessy ung grand bien spirituel et temporel, Nous avons estimé de le faire remettre entre leurs mains, avec tous les biens, revenus, droictz et charges d'iceluy, saufz de moderer ce qui pouvoit estre contraire a leurs Reigles et Constitutions. Et pour ce, Nous vous disons de faire promptement ladicte remission, par contract autentique, sans y aporter difficulté ny longueur, moins en attendre de Nous plus particulier commandement, puis que telle est Nostre [410] volonté. Et non seulement vous Nous donnerés en cela ung grand contentement, mais aussy tesmoignerés par la vostre affection au bien de la ville et de nos subjectz d'icelle, qui en doibvent ressentir le fruict.

            Et Nous asseurantz que vous y ferés tout incontinant, prions Dieu vous avoir en sa saincte garde.

            De Thurin, ce 25e juin 1614.

                                                                                                          C. EMANUEL.

            CARRON.

Aux Nobles Scindics de la ville d'Annessy.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Contrat du 5 juillet 1614,

conservé aux Archives communales d'Annecy, Série GG,

Fonds du Collège Chappuisien.

 

F. Lettre du meme aux Administrateurs du Collège Chappuisien. Le Duc de Savoye.

 

                        Reverends, chers, bien améz et feaulx Orateurs,

            Voyant que le College d'Annessy a besoing d'estre restauré pour l'utilité de la jeunesse, bien et commodité de la ville, il Nous a semblé bon de ne pouvoir faire meilleur (sic) ny plus convenable election que des Reverends Peres Bernabites, lesquelz nous recognoissons tous les jours plus habilles et capables d'en avoir le soing. C'est pourquoy Nous escripvons aux Scindics de le remettre entre leurs mains, avec tous les biens, revenus, apertenances et aultres droictz d'iceluy, et vous exhortons d'y aporter toute la facilité qui dependra de l'aucthorité que vous y avés, a celle fin de ne retarder ung si grand bien que non seulement la ville, mais toute la province en doibt ressentir. En quoy vous Nous ferés plaisir tres agreable, ne desirant rien tant que la bonne institution de la jeunesse et le bien [411] de Nos subjectz. Nous voulons tant croire de vostre zele au mesme bien, que vous franchirés toutes difficultés qui s'y pourraient presenter, afin de rendre cest œuvre a sa perfection.

            Atant, prions Dieu vous avoir en sa saincte garde.

            De Thurin, ce 25e juin 1614.

                                                                                                                      C. EMANUEL.

            CARRON.

            A Rds noz chers, bien améz et feaulx Orateurs,

Les Doyen de Nostre Dame et Prieur de St Dominique,

            Administrateurs du College de nostre ville d'Annessy.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Contrat du 5 juillet 1614,

conservé aux Archives communales d'Annecy, Série GG,

Fonds du Collège Chappuisien.

 

 

 

G. Lettre de M. Renaud de la Grange au duc de Villeroy

 

                        Monseigneur,

            Je ne vous saurois dire l'extreme contentement que Monseigneur de Nemours a receu a mon arrivee, lors que je luy ay representé le soin que vous avez de luy. Et l'ay trouvé grandement offencé des manquemens de S. A. de Savoye, quil cache neantmoins, jugeant bien quil ne s'en peut aysement ressentir; et quant il l'auroit peu, il ne l'eust pas executé sans la permission de Leurs Magestez, en la bonne grace desquelz il veut vivre et mourir, et sous leur protection.

            Leurs Magestez le voulant ayder, il se promettoit quil se mestroit en confiance avec ceux de Berne et de Geneve, ses plus proches voisins, et qu'en ceste occasion luy permettant de lever des troupes, il fut passé, avec sept ou huit mil hommes de pied et quelque cavallerie, en Piedmont, ou estant, si sadite Altesse ne l'eust contenté de son mariage, il s'en fust revenu assisté, comme il se promettoit, [412] et suyvy de ce quil y a de François et Savoyars dans son armee, qui sont en effet les meilleurs hommes qu'elle aye; qu'avec l'ayde de Leurs Magestez, il se seroit fait faire raison, et, en tout cas, ny auroit procedé qu'ainsy quil leur eust pleu. Quil connoist clairement que toute la Savoye, et particulierement ses sugets de Genevois, Foucigny et Beaufort, sont lassés de la souveraineté par trop lisentieuse de S. A., qui n'a aucung esgard a leurs miseres depuis vingt ans, et les a reduit au desespoir; et qu'en la resolution quil prendra, ses voisins, bien conseillés, l'assisteront pour leur interest, et se pourront ensemble maintenir sous la protection de Leurs Magestez. Quil croit qu'estant ainsy mal traité, et ses sugets tant oppressés, il peut justement rechercher d'establir la domination du prince, avec telle condition neantmoins, que luy ny aultre n'en puisse abuser a l'avenir, suyvant ses investitures et privileges, alterés par les declarations de ses predecesseurs qui ne luy doivent nuyre ny prejudicier. Et m'a particulierement dit que sadite Altesse luy est redevable des exactions extraordinaires et logement de gendarmerie faite (sic) contre l'ordre des contrats et transactions passez entre eux et ses predecesseurs, plus d'ung million d'or. Quil remet le tout a vostre prudent avis, et quil veut croire et se conduire en cecy et toute autre chose par vostre conseil, sous le bon plaisir de Leur (sic) Magestez; quil a tousjours eu une grande volonté d'entrer en conference avec vous des le tems du feu Roy, et en a esté souvent solicité par le sieur de la Bretonniere, son intendant.

            Il est aussy extraordinairement pressé par le Duc de passer les monts sans attendre M. de Rambolliet, mais il s'est resollu de n'en rien faire que nous n'ayons de vos nouvelles. Il a des troupes sur pied, et desire que je leur commande, pour la fiance quil a en moy, et crois qu'a cela l'amitié que M. d'Alincourt me porte m'y a beaucoup servy, et m'a envoyé vers luy pour savoir s'ils se pourraient secrettement aboucher ensemble; ce que je trouve dificile, veu l'ombrage que S. A. prend contre ce Prince de son affection envers la France, et du ressentiment de son offence. Et en cas quil se declare ouvertement, il desireroit que l'on negotiast avec l'Espagne, de sorte qu'elle donnast de l'occupation a sadite Altesse du costé de Lombardie, tandis que nous ferons fortiffier quelques places aux terres de mondit Seigneur pour la retraite de ceux quil aura soubz luy.

            Il m'a librement dit deux choses touchant le voiage de monsieur de Rambolliet, dont je desire vous avertir: l'une est, qu'ayant [413] connoissance de long temps dudit sieur de Rambolliet, il c'est resollu de ne luy communicquer son dessein, parce quil s'assure quil le descouvriroit a S. A., afin de pouvoir avec plus de facilité negotier ce quil aura a faire avec elle; et si c'estoit si bien au retour, il n'en feroit aucune difficulté. L'autre est que, quand ledit sieur de Rambolliet luy conseillera d'aller trouver Leurs Magestez en poste soudain quil l'aura veu, il ne se peut faire sans savoir l'effet de son voiage, et sil sera utile en se (sic) pais au service de Leurs Magestez, et dissimulera en attendant, sans rien rompre avec sadite Altesse, suyvant ce que je luy ay dit de vostre part; si bien que, de cela et de toute autre chose, il attendra ce quil vous plaira luy conseiller.

Nous verrons aussy si nous pourrons nous confier a quelqu'un pour faire parler au Prince de Piedmont, qui est veillé de tous costez, et sera difficile de le pouvoir faire, si ce n'est par le moyen de quelque ecclesiastique partial d'Espagne, qui luy represente le peril quil y a de voir la religion nouvelle introduitte dans les terres de son pere, qui semble y incliner du tout. Ledit Prince est fort consiensieux, et cela, plus que toute autre chose, est capable de l'esmouvoir; a quoy nous n'oublierons rien pour troubler tous ses desseins.

            Et recevons tous les jours des courriers en ce lieu, de S. A., de son fils le Cardinal, et marquis de Lans, pour faire passer mondit Seigneur en Piedmont, et connoissons le repentir quil a de l'avoir laissé sortir de Thurin. Tout ce lieu [est] plain d'espions pour prendre garde a ses actions, et ny a que la seule arrivee de l'Ambassadeur qui le maintienne en confiance et honneur. Cela fait, mondit Seigneur se tiendra sur ses gardes, attendant un prudent avis et ce quil plaira a Leurs Magestez ordonner de luy. Et pour ses troupes quil a en Piedmont, il les retirera toutes les fois qu'on voudra, avec cinq cens hommes de ses sugetz quil fait encores filler, et la trouppe du Conte de Salleneufve; et luy reste quinze cens hommes de pied, cinquante chevaux legers commandés par Noyson, et ses gardes.

            Voila, Monseigneur, l'estat de ses affaires, et ce que je vous puis mander de son intention, don je vous supplie tres humblement prendre creance, et que je suis,

            Monseigneur,

                                                           Vostre tres humble et obeissant serviteur,

                                                                                  LA GRANGE.

            Le 11 septembre 1614.

            Monseigneur de Nemours m'a commandé, de puis ma lettre [414] escrite, de vous faire sçavoir quil se conduira selon que M. de Ramboulliet luy parlera de la part de Leurs Magestez et la vostre.

                        A Monseigneur

            Monseigneur de Villeroy.

 

Revu sur une copie inédite, conservée à la Bibliothèque Nationale,

Fonds français, 3650, fol. 141.

 

 

 

H. Lettre du Prince Cardinal Maurice de Savoie aux Administrateurs du College Chappuisien. Il Principe Mauritio, Cardinale di Savoia.

 

                        Reverendi nostri carissimi.

            Le buone et utili conseguenze che son per derivare dall' introduttione costì dei Padri Bernabiti, sapendosi l'osservanza et essemplarità della lor vita et il decoro verso il culto divino, come anco il zelo della salute dei prossimi, devrebbeno non solo escluder l'oppositioni che se gli fanno circa il rimetter il Collegio, ma accender ogn'uno à favorir et metter mano in così pio et profittevol negotio.

            Però, intendendo che dal canto vostro ritrovino durezza per qualche interesse et che i Padri medesimi si offeriscano di rilevarlo con ogni conveniente conditione, vi esortiamo con questa à non mostrarvi alieni dall'accordo, né permetter che simil impedimento ritardi l'effetto d'un negotio desiderato da cotesta Università et da Sua Altezza, et da Noi particolarmente; che però terremo grata memoria della vostra concorrenza col desiderio commune.

            Et il Signor Dio vi conservi.

            Di Turino, à 20 di settembre 1614.

                                                                                              M. CARDL DI SAVOIA.

                        Al Decano di Santa Maria

                        et al Priore di San Domenico.

 

Revu sur l'original inédit, conservé aux Archives communales d'Annecy,

Serie GG, Fonds du Collège Chappuisien. [415]

 

 

I. Lettre des proviseurs du Collège de Savoie a Louvain aux Administrateurs de celui d'Annecy

 

                        Messieurs,

            Nous avons receu par le porteur present diverses lettres touchant l'incorporation faicte du College de feu Monsr Chappuis, en vostre ville d'Annessy, par Messrs les Barnabites, par l'authorité, comme vous escrivez, de Son Altesse le Duc de Savoye. Or, comme depuis un moys en ça ou environ, le Docteur de Bay, President du College par deça, est allé de vie a trespas, et que nous ne sommes bien informés de la fondation de par dela, n'avons pour le present sceu resoudre sur le faict de la dicte incorporation, ains tiendrons la dicte resolution preste pour le premier retour du porteur de ceste.

            Touchant le jeune homme qu'il vous a pleu reccomander par vos lettres a feu Monsr Bayeus, sa mort cause que vous ne pourrez venir a l'effect d'icelle reccomandation, laquelle mort cause aussy que nous devons advertir de n'envoyer aulcuns nouveaux boursiers pour les Pasques prochaines, pour se trouver le College arriere de quelques cents escus, lesquels devront estre ramborsés a la maison mortuaire dudict Bayus, lequel, par sa bienveulliance envers ceux de vostre nation, a receu et porté plus de charge que le revenu du College ne portoit.

            Et sur ce, nous raccomandans tres affectueusement a Voz Seigneuries, demeurons a icelles,

                                                                                              Serviteurs tres humbles,

                                                                       LES PROVISEURS DU COLLEGE DE SAVOYE,

            GUILIELMUS FABRICIUS, Provisor Collegii Sabaudiœ pro tempore.

            CORN. SYLVIUS, Proviseur du College de Savoye pour le temps.

            GERARD CORSELIUS, Proviseur du College de Savoye a Lovain.

            Messieurs, en suivant le pouvoir que nous est octroyé par la [416] fondation, nous conformant aux conditions prescrites par icelle, avons esleu pour President, en la place de feu Bayus, sire Jean Massen, prebtre, licencié en la saincte Theologie, ayant l'espace de quatorze ans regenté louablement le Pedagoge de la Fleur de Lys, esperant qu'il donnera contentement a touts en la regence de nostre College de Louvain.

            Ce 13 de novembre 1614.

 

Revu sur une copie inédite de l'époque, conservée aux Archives communales

d'Annecy, Série GG, Fonds du Collège Chappuisien.

 

 

 

J. Lettre de Mgr Anastase Germonio, Archevêque de Tarentaise, au Clergé de son Diocèse (Fragment)

 

……………………………………………………………………………………………………

            Quod scribitis, Capuccinorum ecclesiam et absolutam et dedicatam esse, summopere placuit, eo magis quo eum honorem assequuta sit per religiosissimum Genevensem Antistitem, Franciscus Salinam (sic), virum doctissimum atque in pastorali officio vigilantissimum; cui ego discedens, partes meas muniaque pastoralia delegaveram, ut quae in iis praesertim quae ad episcopale officium spectant, nec ab aliis quam ab Episcopis administrari possunt, vobis adesset, eum amice rogaveram. Quod ille oneris et libens suscepit et libentissime sustinet ut ego quoque sustinerem, si eo absente, operamque meam sibi commodam fore putante, similia facere juberet, atque utinam desiderio meo occasio respondeat, quo et ipse expertus cognoscat, res suas mihi non minus cordi esse quam sibi meae sint et ego eam benevolentiam, qua ornatissimum amicum constanter prosequor et sua et omnium opinione majorem esse ostendam…………………………

            Niciae, nonis Februarii, anno salut. MDCXV.

 

Anastas. Germonii Epistolar., lib. I, Clero Tarentasiensi, Epistola IX.

(Romae, 1623, tom. II, p. 451.) [417]

 

III. La fondation du Ier Monastère de la Visitation de Lyon, deuxieme de l'Ordre

 

            Des documents inédits et une interprétation exacte et rigoureuse des vieilles Chroniques de l'époque, nous permettent de présenter dans l'ordre des dates et dans leur suite naturelle, les événements qui introduisirent en France le premier essaim de la Visitation d'Annecy.

            A la fin de 1612, la fameuse abbaye du Paraclet ressemblait bien plus à une maison de mondanité qu'à un véritable monastère. Plus de Règle ni de clôture; l'Abbesse y menait grand train et prétendait ne relever que du Pape. Mme Elisabeth des Gouffiers, l'une de ses Religieuses, ne l'était devenue que par force et sous la contrainte maternelle. Aussi, tenant sa profession pour nulle, n'attendait-elle qu'une circonstance favorable pour se soustraire à la domination de sa mère et recourir, une fois libre, «a la justice du Saint Siege.» La lecture d'un petit livre de piété, nouvellement paru, vint encore surexciter son désir de quitter le Paraclet: la Providence lui avait fait tomber entre les mains l'Introduction à la Vie devote.

             «Cette bonne Dame fut tellement touchée de cette lecture et conçut une si haute estime de l'auteur de ce livre, qu'ayant appris qu'il avait érigé une Congrégation en laquelle il avait donné des lois encore plus parfaites, elle fit vœu à Dieu de ne se point donner de cesse et d'employer toutes ses industries pour se faire conduire à Annecy auprès du saint Pasteur et de la nouvelle Congrégation.» Malgré les contradictions qui n'étaient pas pour faire fléchir une volonté tenace, en dépit d'une «petite complexion,» et indécourageable, elle put arriver à Lyon. [418]

            Vivienne des Gouffiers, marquise de l'Ecluse, qui avait accompagné sa sœur, tomba gravement malade dès l'arrivée et dut retourner en son pays par ordre des médecins. Grand sujet de peine pour Mme Elisabeth, de se voir arrêtée, presque au terme du voyage, par ce malencontreux accident! Mais Dieu la secourut à propos, en lui ménageant la connaissance de Claude de Sevelinges, aumônier de l'abbaye de Belleville. Ce digne Religieux était beau-frère d'Antoine Bellot, que ses fonctions d'«élu» en Bugey, Valromey et Gex avaient souvent mis en rapport avec saint François de Sales. Il fut l'homme providentiel. Séduit, lui aussi, par l'attrait d'une vie plus parfaite, il cherchait la direction du bienheureux Evêque de Genève; il aurait même voulu devenir l'un de ses fils, dans la Congrégation d'hommes dont l'établissement hantait, au commencement de 1613, l'esprit de l'éminent Fondateur. On conçoit combien cette communauté de vues et de pieuses aspirations dut fortifier dans son espoir la transfuge du Paraclet.

            M. de Sevelinges s'empressa d'écrire au saint Prélat pour le prier de s'intéresser au dessein de l'intrépide voyageuse. Il fit plus; il résolut d'aller trouver le Saint lui-même entre ses montagnes, et vers le 10 janvier 1613, il frappait à la porte de sa résidence épiscopale.

            Le Bienheureux fut tout aise de le recevoir, entièrement disposé à lui donner audience «a sa consolation et edification!.» Le chanoine de Belleville l'entretint à loisir de ses pensées et lui révéla les prétentions de Mme des Gouffiers. Celle-ci, d'ailleurs, lui demandait par une lettre à part, avec beaucoup de déférence, d'être admise au nombre de ses Filles. François de Sales répondit qu'il l'agréerait volontiers, mais il l'avertissait discrètement — sans doute pour lui éviter une déception — que la Visitation n'avait rien de l'opulente somptuosité du Paraclet, que tout y était chétif et rabaissé, excepté toutefois l'ambition de ses hôtes: celle «de parvenir a la perfection de l'amour divin.»

            Or, dans le même temps et dans la même ville de Lyon, une vertueuse dame, Renée Trunel, veuve de M. d'Auxerre, lieutenant-général au bailliage de Forez, nourrissait la même espérance. Touchée [419] des merveilles qui se disaient de l'Evêque de Genève, elle aussi avait conçu un très ardent désir de le voir, «de luy remettre la direction de sa conscience et de luy demander l'entrée» dans son premier Monastère. Ame vraiment dévote, «elle entretenoit... dans sa maison plusieurs filles spirituelles qui faisoient profession» de piété «et qu'elle faisoit élever dans la vie interieure et divine, pour s'enflammer en la pratique de la sainte dilection.» C'étaient entr'autres, Mme Chaudon, née Bellet, et Mme Isabeau Colin, née Daniel. Même sans se chercher, les âmes en quête de sainteté finissent toujours par se connaître et se rencontrer.

            Mme des Gouffiers ne tarda guère à découvrir le petit cénacle et, avec cet esprit conquérant qui lui était particulier, elle eut bientôt fait de décider la pieuse troupe à entreprendre le voyage d'Annecy. Il s'agissait d'«epier», disent les Annales du temps, «si c'etoit la terre que Dieu leur vouloit donner.» Cette décision n'était pas le fruit d'un enthousiasme irréfléchi ni d'une vaine curiosité. Un homme d'une grande expérience et d'une robuste sagesse, le P. Grangier, de la Compagnie de Jésus, le conseiller de ces bonnes âmes, avait approuvé et encouragé la pieuse excursion.

            Les pèlerines lyonnaises arrivèrent dans la petite cité de «Nessy» les derniers jours de mai 1613. Leur première entrevue avec le Saint eut lieu dans la matinée du 27; il fut «bien content,» écrivait-il l'après-midi à la Mère de Chantal, «de voir ces bonnes damoyselles..., et particulierement Mme de Gouffier, que je voy toute telle que vous m'aves dit.» Dès l'abord, les deux Fondateurs avaient donc distingué la noble étrangère qui tranchait sur les autres par son esprit de décision et sa vive personnalité.

            Les quatre voyageuses furent accueillies, l'on s'en doute bien, «avec des bontés qui leur ravirent soudain le cœur.» On leur donna l'entrée du monastère pour satisfaire leur dévotion. «Elles trouvèrent toute la suite des exercices, la manière de traiter» des «premières Mères et Sœurs,» leur cordialité et leur modestie «si [420] à leur gré, qu'elles eussent voulu bâtir céans... quatre petites cellules pour y passer le reste de leur vie.»

             «Après avoir séjourné dix ou douze jours» au premier Monastère, ces «bonnes damoyselles» s'en retournèrent à Lyon, à l'exception de «Mme des Gouffiers qui ne se put résoudre à quitter» les «bienheureux Fondateurs, et demeura dans la Congrégation avec des ardeurs inexplicables pour la perfection.» Les trois autres ne sortirent d'Annecy qu'à regret, protestant qu'elles y laissaient leur cœur.

            Une fois à Lyon, ces âmes ferventes, pénétrées des beaux exemples qu'elles avaient contemplés chez les dévotes Filles de la sainte Mère de Chantal, n'eurent plus qu'une pensée: celle d'obtenir une place auprès d'elles. Mme d'Auxerre paraissait la plus ardente à la poursuite de ce projet, mais son désir était sérieusement traversé par la présence de son fils encore jeune, qui avait besoin de sa conduite et de ses conseils. Dans cette perplexité, elle consulta son directeur, le P. Grangier. Celui-ci, connaissant «le fond de cette grande ame,» ne se contenta pas d'encourager vivement son dessein, mais «luy ouvrit la pensée... d'oser quelque chose de plus avantageux pour la gloire de Dieu, par la fondation d'un nouveau Monastere» de la Visitation à Lyon même. «Et ce Reverend Pere, qui avoit contracté une sainte alliance avec» l'Evêque de Genève, «prit la charge de luy en écrire et de sçavoir son sentiment sur cette proposition.» Le saint Fondateur répondit qu'il l'agréait singulièrement et qu'il en favoriserait la bonne issue par «toutes sortes d'assistances.»

            Vivement encouragées par cette assurance, Mme d'Auxerre et ses compagnes acquéraient bientôt du «sieur André Olier, marchant epicier,» un immeuble situé rue du Griffon, sur les Terreaux, près de Saint-Claude, paroisse Saint-Pierre. Restait à obtenir l'assentiment de l'autorité ecclésiastique. La réponse de l'Archevêque, Mgr Denis-Simon de Marquemont, dépassa ce qu'on pouvait attendre de sa piété et de ses sympathies bien connues pour les Ordres religieux: il fit plus que d'accorder les permissions demandées, il donna mille écus pour faciliter l'acquisition de la maison. On accommoda celle-ci au mieux qu'il fut possible, conformément à ce qui avait été remarqué à Annecy. Vers le 8 novembre 1613, le Saint écrivait à Mme de la Fléchère: «Tout va extremement [421] bien en cette petite Congregation. On a envoyé prendre les Constitutions de Lion, ou on projette d'en eriger une.» Et de fait, l'organisation de la nouvelle Communauté allait bon train.

            Pour la diriger, l'Ordinaire désigna M. Lourdelot, prêtre du diocèse de Langres, qui avait commencé, sans le finir, son noviciat chez les PP. Dominicains de Dijon. Les Chroniques nous parlent de sa grande piété, mais toutes aussi laissent comprendre que sa prudence n'égalait pas son esprit d'initiative et d'entreprise. Il introduisit une quatrième prétendante Mlle de Valence. Tous deux s'accordèrent bientôt «à donner de nouveaux avis. A l'imitation des anciens contradicteurs, qui disaient si Dieu ne parlait qu'à Moyse, ils dirent aussi... si Dieu ne faisait des merveilles que par l'Evêque de Genève; si d'autres Evêques ne pouvaient pas ériger des Congrégations autant parfaites et bien réglées que celle qui était établie à Annecy. «Ils s'échauffèrent après ces considérations; innover leur paraissant chose aussi facile, et en tout cas plus honorable que d'imiter, ils s'éprirent du dessein d'établir une Congrégation indépendante et toute nouvelle. Mgr de Marquemont se laissa persuader; on décida que l'Institut serait fondé sous le titre de la Présentation Notre-Dame et que les quatre prétendantes en seraient les premières novices. Mme d'Auxerre se voyant pressée par une autorité supérieure, se soumit, mais ce ne fut pas sans un grand déplaisir intérieur de falloir renoncer à son cher projet.

             «L'esprit humain qui, dans ses entreprises, contrefait turbulemment l'esprit de la grâce, faisait parade d'ardeur à la poursuite de cette bonne œuvre. L'on obtint hâtivement permission du Roi pour l'établissement de cette Congrégation de la Présentation.»

            L'inauguration se fit en grande pompe extérieure et avec le concours de toute la ville. Mgr l'Archevêque donna aux quatre fondatrices l'habit religieux: il «consistoit en une robe gris Minime, une ceinture de corde et un voile blanc,» costume qui ressemblait à celui des Clarisses. Elles reçurent de M. Lourdelot des [422] règlements provisoires, en attendant de pouvoir choisir l'une des quatre Règles approuvées par l'Eglise.

            La nouvelle de cet événement, raconte la Mère de Chaugy dans ses Mémoires, «fut apportée à Annecy lorsqu'on croyait que l'on venait prendre des Sœurs pour aller fonder à Lyon. Notre bienheureuse Mère ne se fâcha aucunement de ce changement; au contraire, elle en bénit Dieu, disant à nos Sœurs que cela devait apprendre à toutes qu'il faut jeter de profondes racines en la très-sainte humilité.»

             «L'esprit humain,» remarque la judicieuse annaliste, «avait commencé la Congrégation de la Présentation, l'esprit humain la détruisit. La confusion des langues se jeta parmi ces congrégées;» quoiqu'elles fussent toutes de très bonnes âmes, «il leur arriva... tant de petites mésintelligences et entre elles-mêmes et entre leur conducteur,» qu'elles ne purent vivre six semaines ensemble et résolurent de se séparer.

            La Communauté naissante venait de se débander, elle était dans le plus profond désarroi, lorsque Mme des Gouffiers, allant au Paraclet pour s'y faire délier de ses vœux, arriva à Lyon à la fin de septembre 1614. Tout émue et déconcertée par la malheureuse issue de l'entreprise, Mme d'Auxerre lui conta sa peine, ses regrets, mais aussi lui confia son désir toujours vivace qui la portait invariablement vers Annecy. La voyageuse entrant dans les vues de sa sainte amie, se met aussitôt en campagne avec son ardeur et promptitude habituelles. Elle va trouver le P. Grangier, le supplie de s'intéressera la reprise du premier projet, et, en même temps, envoie à François de Sales un rapport de tout ce qui se pouvait faire ou espérer pour la réussite.

            La lettre du 15 octobre 1614 semble répondre à cet exposé: on voit par sa teneur, que le Bienheureux, tout en adhérant à un espoir [423] qui lui sourit, se tient sur la réserve et conseille à la fervente négociatrice de prêter son concours suivant l'occurrence, mais sans rien laisser paraître qu'une «tres absolue indifference.» En même temps, il écrivit au P. Grangier, sans doute pour l'assurer qu'il persévérait dans son bon vouloir de favoriser, quand les esprits seraient préparés, l'établissement d'une seconde Maison de la Visitation. Quelques jours après (26 octobre), il envoyait par sa correspondante, des messages pour le Religieux et pour les «Dames de la Presentation, Mmes d'Auxerre, Colin et Belet.» Il semble donc qu'à cette date l'ancien projet était repris, et avec un cordial effort de part et d'autre pour le faire aboutir.

            Auparavant, l'Archevêque de Lyon avait reçu la visite des Religieuses qui, désemparées et comme des «brebis errantes,» venaient solliciter assistance et compassion, demandant qu'après cette expérience, il plût à Sa Grandeur d'appeler le cher Institut d'Annecy. Le bon Prélat, comprenant bien que les pauvres filles «ne s'êtoient rangées» à la Congrégation «que par pure obeyssance» et que leur désir ne venait pas d'inconstance, mais de l'esprit de Dieu, promit de leur donner toute satisfaction et d'en écrire lui-même à l'Evêque de Genève.

            De son côté, Mme des Gouffiers pressait aussi le Fondateur d'envoyer ses Religieuses. «Ouy da, ma tres chere Fille,» répondit-il, «nous donnerons de bon cœur de nos Seurs de la Visitation pour «augmenter la gloire de Dieu.» Toute la lettre respire le sentiment joyeux de l'action de grâces. Assuré maintenant que les obstacles étaient levés, saint François de Sales n'hésitait plus à s'engager, M. Lourdelot lui-même, qui naguère avait contrecarré si passionnément la sainte œuvre, reconnaissait, avec une très méritoire franchise, l'insuccès de sa tentative, et voici qu'il employait ce qui lui restait de crédit pour favoriser le dessein auquel tout d'abord, avec tant d'éclat, il avait fait échec. C'est François de Sales qui nous apprend cette curieuse particularité: «Au reste, ma chere Fille, celuy qui a destourné, ramene maintenant ses congregees a leur premier dessein. Il m'escrit,» ajoute-t-il, «un trait de la Providence divine qui me plaist fort.»

            Ce trait a sa place ici, parce qu'il fut grandement admiré des amis de la Visitation et qu'il toucha vivement les deux Fondateurs. Voici [424] comment la Mère de Chaugy raconte la chose: «Avant que notre bienheureuse Mère et sa chère troupe arrivassent à Lyon, l'on voulut visiter les patentes royales obtenues pour l'autre établissement, afin de faire changer le mot de Présentation en celui de Visitation; pour cela il fallait faire quelque retardement, et des allées et venues. Notre-Seigneur y mit ordre: à l'ouverture des patentes, l'on vit que le mot était miraculeusement changé, et qu'où les hommes avaient mis Congrégation de la Présentation, il y avait en beau caractère bien formé Congrégation de la Visitation... Cette merveille... fut cause que notre petit Institut fut mieux goûté qu'il n'eût été; ceux qui avaient été contraires à notre établissement disaient alors: «La main de Dieu travaille pour ces Religieuses ici.»

Un récit plus circonstancié de la sainte Fondatrice complète les détails de ce fait merveilleux: «Nous avons appris de ma Sœur Colin,... que M. Fijean, à qui feu Monseigneur de Marquemont remit les lettres pour les porter au Roi afin qu'il les signât,» ayant «obtenu de Sa Majesté la permission que l'on demandait, comme il les présenta à mondit seigneur de Marquemont, l'on trouva le nom de Visitation au lieu de Présentation; de quoi Monseigneur l'Archevêque demeura fort surpris, et beaucoup plus, lorsqu'après avoir su dudit sieur Fijean qu'il avait présenté les lettres en la même forme qu'il les lui avait remises, et ne savait point la cause de ce changement, ni qu'il se fût fait, il voulut revoir celles qu'il avait écrites de sa main, et trouva le même mot de Présentation changé en celui de Visitation, sans qu'il apparût changement de caractère ni effaçure.» Alors, «l'on veid,» remarque la Mère de Chaugy, «que Dieu... avoit conduit l'esprit ou la main du secretaire, pour écrire ce qu'il avoit déterminé dans les conseils eternels de sa Providence.»

            Avant de partir pour l'assemblée des Etats généraux, Mgr de Marquemont avait tenu parole et, très obligeamment, demandé à saint François de Sales qu'il permît à la Mère de Chantal de venir en sa ville établir une Maison de la Visitation. «Le Serviteur de Dieu ayant rêpondu... qu'il prenoit à un tres grand honneur» que [425] l'Archevêque «eut fait choix de ses Filles,» ce Prélat s'employa aussitôt à l'exécution de la pieuse entreprise. Et pour marquer l'estime particulière qu'il faisait de la Fondatrice, il lui envoya son carrosse et voulut payer tous les frais du voyage. Il députa, pour aller chercher les Religieuses, M. Ménard, vicaire général, chanoine et sacristain de l'église Saint-Nizier, et le chanoine de Médio, avec mesdames des Gouffiers et Colin.

             «Toute cette belle compagnie,» écrit une annaliste, «fut très bien reçue à Annecy, tant par le saint Prélat que par notre bienheureuse Mère de Chantal,» à qui on donna pour coopératrices «nos Mères Marie-Jacqueline Favre, Assistante et Directrice; Péronne-Marie de Chastel, économe, dépensière, surveillante et robière; Marie-Aimée de Blonay, conseillère, sacristine, portière et lingère: toutes sujets d'élite et de choix.» Le 25 janvier 1615, François de Sales écrivait à Mme de la Fléchère: «Nostre bonne madame de Chantal part demain pour aller coucher a Clermont, ces messieurs et ces dames de Lion estant venus la prendre.»

            Les haltes du voyage étaient prévues, puisque le Bienheureux confia à la Sœur de Blonay sept billets écrits de sa main, pour qu'elle en remît «un tous les soirs à chaque gîte » à la Fondatrice. Celle-ci emportait quelque chose de plus précieux encore que les bénédictions affectueuses d'un Saint: elle avait avec elle les Constitutions écrites de la propre main du Fondateur, c'est-à-dire la législation toute céleste qui devait donner l'âme et la vie aux Monastères de l'avenir.

            La pieuse troupe arriva à Lyon le premier jour de février. Aux approches de la grande ville, la Sainte, selon une promesse de son bienheureux Père, eut la certitude que «les bons Anges du royaume de France lui faisaient l'accueil.» Le lendemain, fête de la Purification, l'établissement du Monastère fut l'occasion d'une grande solennité. Mgr l'Archevêque lui-même présida la cérémonie avec une entière satisfaction, M. Lourdelot donna l'exhortation; M. Ménard et M. de Sevelinges furent nommés, à la demande de la Mère de Chantal, l'un «Père spirituel,» et l'autre, confesseur de la Communauté commençante.

            Mme d'Auxerre reçut, le 3 février, l'habit de la Visitation et le nom de Sœur Marie-Renée. Les «damoyselles» de Valence et Boivin ne s'engagèrent pas dans la Congrégation, mais devinrent Religieuses du Tiers-Ordre de Sainte-Elisabeth, qu'elles contribuèrent [426] beaucoup à fonder à Lyon, et «où elles ont fort bien réussi;» tant il est vrai «qu'il y a diverses demeures en la maison de notre Père céleste, et que la paix de chaque âme consiste à connaître celle que la Providence lui a destinée.»

            Bientôt, le Monastère marcha avec le même ordre que celui d'Annecy. Sainte Jeanne-Françoise de Chantal y demeura neuf mois, et laissa pour Supérieure à son départ, la Mère Marie-Jacqueline Favre. [427]

 

 

 

Lettres patantes du Roy sur l'establissement des Dames Religieuses du Monastaire Saincte Marie de ceste ville de Lyon

 

            LOUYS, par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre, a touts presens et advenir, salut.

            Noz bien amées JANNE CHAPUYS, YSABEAU DANIEL, CLAUDINE CALLON et ANNE MARIE BELLET NOUS ont faict dire et remonstrer que pour le desir qu'elles ont du despuis long temps de vivre soubz quelque saincte Reigle, en servant et se vouant a Dieu, elles auroient choysi et esleu celle de la Congregation des filles dediées à Dieu soubz l'invocation de NOSTRE DAME DE LA VISITATION; en laquelle ayant resolu de passer le reste de leurs jours, elles se seroient addressées à nostre amé et feal l'Archevesque de Lyon, lequel approuvant leur bonne et devotte intention, leur aurait, sur la requeste qu'elles luy auroient presentée, promis, pour ce qui regarde sa dignité archepiscopalle, soubz nostre bon plaisir, de faire construire et eriger en nostre ville de Lyon, un Convent, dans lequel elles puissent vivre soubz les Constitutions qui leur seraient par luy ordonnées, conformement à ladicte Congregation, et a la charge d'y demeurer en perpetuelle closture, et ne demander, ny faire demander aucunnes aumosnes pour elles, ains de renter et dotter ledict Convent à proportion des Religieuses qui y seront receues, dont on luy feroit apparoir avant que aucune s'y renfermast, et à condition qu'elles seraient entierement, elles et leur Maison, soubz son regime et jurisdition, et de ses successeurs Archesvesques. Et dautant que ceste bonne intention des exposantes ne peust sortir son effect sans nostre permission et l'impetration de noz Lettres pour ce necessaires, elles Nous auroient tres humblement faict supplier icelles leur octroyer, aux charges cy devant mantionnées. A quoy inclinans pour l'utillité que le publicq pourra recepvoir pour l'exemple de leur pieté et bonne et saincte vye:

            Sçavoir faisons que Nous, désirans subvenir ausdictes exposantes en cet endroict, et Nous rendre participans de leurs devotes prieres et oraisons pour la prosperité de cest Estat, de l'avis de la Royne Regente, nostre tres honnoré (sic) Dame et Mere, et de nostre propre mouvement, grace speciale, plaine puissance et autorité royalle: Avons permis et accordé, et comettons et accordons par ces presentes, signées de nostre main, ausdictes exposantes, de faire construire, bastir et ediffier, en nostre dicte ville de Lyon, un Convent de la Congregation des Sœurs dediées a Dieu soubz l'invocation de NOSTRE DAME DE LA VISITATION, au lieu et place qu'elles choisiront ou auront choysi [428] pour cet effect, à elles appartenant, moings incommode au publicq, et par l'advis du Gouverneur et des Prevost et Eschevins d'icelle ville, pour s'y r'enfermer et vivre le reste de leurs jours aux conditions qui leur ont estes prescriptes par ledict Archevesque de Lyon et soubz son auctorité et jurisdition; sans qu'elles puissent estre en ce que dessus, troublées ou empeschées par quelque sorte de personnes ou en quelque maniere que ce soit. Et à ceste fin, les avons prinses et prenons en nostre protection et sauvegarde speciale.

            Si donnons en mandement à noz amez et feaulx, les gens tenans nostre court de Parlement à Paris, Seneschal de Lyon ou son Lieutenant, et à tous nos autres Justiciers quil appartiendra, que du contenu en ces presentes, ilz ayent à faire jouir lesdictes exposantes plainement, paisiblement et perpetuellement, sans permettre ny souffrir quil leur soyt sur ce faict, mis ou donné aucun trouble ou empeschement au contraire; car tel est nostre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, Nous avons faict mettre nostre séel à ces dictes presentes, sauf en autres choses nostre droict et l'auctruy en touttes.

            Donné a Paris, au moys de septembre, l'an de grace mil six cens quatorze, et de nostre regne, le cinquiesme.

                                                                       Signé par le Roy: LOUYS.

 

                                   Et sur le reply: Par le Roy, la Royne regente, sa Mere, presente.

                                                                                                                      PHELIPEAUX.

           

                        Et séellè du grand et petit seel à queue pendante, à lactz de soye.

 

Revu sur une copie inédite de l'époque, conservée aux Archives du 1er Monastère de Lyon, transféré à Venise. [429]




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